La communauté virtuelle est-elle une communauté?

 

Par Shmuel Trigano

 

Parmi les conséquences importantes de la pandémie, il y a, sans aucun doute, l’importance que la vie virtuelle a pris dans nos vies. Avec la dureté du confinement, le besoin de se réunir des individus isolés chez eux a contribué à la création de ce que je définirais comme une « communauté virtuelle ». Evénements familiaux, célébrations, cours sont ainsi passés au mode virtuel, grâce à la plate forme Zoom qui mulplie les interlocuteurs d’une rencontre par le son et l’image et permet d’expérimenter une façon d’être ensemble malgré la solitude réélle et l’éloignement.

Une grave question est posée par ce développement: une communauté virtuelle est-elle une communauté? La question se pose avec encore plus d’acuité pour les Juifs, en Diaspoara avant tout, où, du fait de la dispersion, la vie juive pourrait n’être que « virtuelle » et donc vouée à disparaître (du dehors, de la Cité, de l’existence). Mais elle se pose aussi d’une autre façon en Israël.

La virtualisation de l’existence collective s’accompagne d’une dématérialisation, d’une mise en images de la réalité et, malgré le rapprochement sensible, elle implique un éloignement insurmontable et infranchissable. Paradoxalement c’est à ce prix de la déréalisation que les esprits se rapprochent.

 

On me dira que cela est aussi le propre de la pensée et de l’intellect, qui supposent que   l’intellectuel se retire du monde réél et se recueille en lui même pour mieux penser le monde. On me dira aussi que la lecture est un acte de nature semblable quand le lecteur s’isole pour rejoindre un monde imaginaire. On m’objectera aussi que le judaïsme est une telle discipline, lui qui se tient devant un Dieu qui ne relève pas du visible et du physique.

C’est vrai mais ce qui risque de se passer après la pandémie, si le mode virtuel s’installe, c’est tout autre chose: le virtuel pourrait oblitérer le réél. Finalement pourquoi se déplacer pour prendre part à un acte collectif? On reste chez soi dans son fauteuil et on regarde passivement l’écran[1]. Ce serait une facilité pour le judaïsme diasporique du fait de la dispersion de ses membres. Ce serait une catastrophe pour la communauté réélle dont la dimension physique et corporelle est fondamentale. L’institution du Minyane de ce point de vue-là est très significative. Dix esprits rassemblés devant un écran ne forment pas un minyan. De même le rapport maître-élève, face à face, est primordial pour un cours concernant la Tora.

La dimension physique ici ne fait pas référence à la nécessité d’une incarnation mais au dispositif qui permet de se séparer dans la rencontre. C’est une idée paradoxale.  Il y a en effet , dans la pensée juive, une dialectique à l’œuvre entre le collectif et l’individu qui ne peut se poser s’il n’y a pas de collectivité réelle. Une communauté véritable n’est pas un entassement d’individus: l’assemblement des individus joue comme un ressort qui permet à chaque individu de rebondir  pour se dissocier de la massification qui guette toute assemblée. L’écran virtuel ne le permet pas.

Sur le plan symbolique, pensez à l’assemblée du Mont Sinaï qui, malgré la masse présente, rendit possible la vision de la Divinité invisible pour chacun en particulier – et c’est cela la dimension importante.  Imaginez vous un Maamad Har Sinaï télévisé, par Zoom interposé? Une « sortie d’Egypte » en restant  en Egypte? Tout lien doit impliquer une dissociation et le référent physique en est le point d’appui qui  lui évite l’ornière de la massification, dérision de communauté. En hébreu , pour dire « faire alliance », on dit « casser une alliance »[2].

La virtualisation de l’existence humaine, sa dématérialisation, sa mise en images serait l’ultime ravage que la pandémie pourrait provoquer.

Je parle ici bien sûr de l’après pandémie et pas des dispositifs visant à la maîtriser qui doivent être limités dans le temps et ne pas devenir une règle de comportement permanente.

Shmuel Trigano

*A partir d’une chronique sur Radio J le vendredi 24 avril 2020.

[1] Cette passivité a plusieurs dimensions: qui maitrise le dispositif , le « logiciel » du zoom? Il est plus qu’un instrument neutre. Il gouverne l’échange et le transforme. Et cela échappe à ses utilsateurs.

[2] Pour le lecteur intéressé, je renvoie à mon livre « La séparation d’amour, une éthique d’alliance » (Arléa 1998).

La rédaction de JForum, retirera d'office tout commentaire antisémite, raciste, diffamatoire ou injurieux, ou qui contrevient à la morale juive.

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bejar

Mais bon sang qu’est ce qu’une communaute ? Le symptome de la deliquescence de la laicite ? Ou autre chose ? Personnellement j’en distingue trois. Celle qui est anti laique, celle qui est neutre et celle qui est pro. Dans le 1er cas elle constitue bien un symptome ou pire une forme de chronicite. Dans les deux autres elle est une personne morale comme une association par exemple. Et a ce titre elle se situe bien dans un cadre prive. En France du moins. Plus exactement sous le couvert de la liberte et donc du liberalisme. Et en ce qui concerne les asociations de solidarite il y a debat a ce sujet. Car au contraire des associations de charite elles constituent tres concretement une partie de la republique. Quant a leur but il est non lucratif mais cela ne signifie pas qu’il n’y a pas de salaires pas de gain ni de profit. Simplement que ce qui est gagne ne peut etre partage avec des tiers. Pour faire court pas d’actions donc. Non lucratif pour moi, c’est les associations de benevoles qui constituent majoritairement le tissu associatif. Puis viennent loin derriere minoritairement celles qui emploient du personnel. Bien voici ce que je pense des communauites. En ce qui concerne leur virtualite je pense qu’elle est une nouvelle forme de communication. Et grace ou
a cause du Covid nous voyons meme actuellement comment la virtualite peut supleer voire remplacer le reel… Bref je vous pose la question ! Pourquoi est ce que les communautes devraient s’en passer ? Bien sur je ne parle pas des communautes anti laiques qui a mon avis dans le cadre d’une culture revolutionnaire devraient etre interdites parce que pro royalistes… Ni dans un contexte royaliste des communautes pro laiques qui devraient…