Qu’est-ce qui empêche le monde arabe de voir Israël comme un allié viable contre l’ennemi commun, l’Iran?

Ces derniers jours dans le monde arabe, et particulièrement dans les pays du Golfe persique, la peur de la menace iranienne s’est renforcée. L’accord qui doit se conclure d’ici la fin du mois entre le régime de l’Ayatollah et les Etats-Unis pourrait en quelques années faire de l’Iran la plus grande puissance du monde arabe.

Sans lui imposer de sanctions, l’Iran se servira de ses ressources naturelles, ainsi que de ses vastes quantités de pétrole pour devenir une puissance militaire importante. La capacité à contrôler les installations nucléaires de l’Iran étaient et resteront limitée en raison de l’immense superficie du pays et du manque de volonté du régime de coopérer avec les inspecteurs de l’ONU. L’Iran n’attend que la levée des sanctions pour pouvoir remplir à nouveau les caisses de l’Etat.

La Russie attend juste la levée des sanctions imposées à Téhéran pour accélérer le développement du programme nucléaire iranien (secrètement, bien sûr), en échange d’une somme qui pourrait sauver Moscou de la crise économique. Sans l’avouer, beaucoup en Occident se sont reconnus dans le discours prononcé par le Premier ministre Benyamin Netanyahou la semaine dernière au Congrès. L’ennemi commun pourrait-il rapproché Israël de l’Occident?

Justifier le discours de Netanyahou… en silence

Lors de son discours au Congrès, le Premier ministre a demandé aux Etats-Unis de ne pas confondre : le fait que l’Iran lutte contre l’organisation « Etat islamique » ne fait pas de Téhéran l’ami de Washington. En effet, l’Iran ne cache pas du tout son hostilité envers les Etats-Unis, et encore la semaine dernière, Téhéran effectuant un exercice simulant une attaque aérienne américaine dans le Golfe persique, et ce, en dépit des sourires échangés entre les représentants iraniens et les six puissances (les Etats-Unis, la Russie, la Grande-Bretagne, la France et l’Allemagne) lors des pourparlers à Genève.

Bien que le régime du président Hassan Rohani se dit «modéré», la rue iranienne continue de scander « mort à l’Amérique », le message n’a apparemment pas été compris à Washington. Des commentateurs arabes définissent le processus comme étant très dangereux pour le Moyen-Orient, comme une boule de neige qu’on ne peut plus arrêter.

L’Iran profite de la guerre contre l’EI et des pourparlers sur le nucléaire afin de renforcer son contrôle sur les pays du Moyen-Orient. De nos jours, les historiens peuvent comparer ce processus à celui qu’avait conduit Staline lorsque, à la tête de l’Union soviétique, il avait profité de la guerre contre les nazis pour prendre le contrôle de l’Europe de l’Est.

Au Moyen-Orient post-EI, quatre Etats pourraient s’établir sous les commandes de l’Iran. D’après la presse arabe, « les gardiens de la révolution » sont presque partout au Moyen-Orient. En Syrie, ils profitent de la guerre contre l’Etat islamique pour renforcer le pouvoir du régime d’Assad dans l’Ouest du pays, et au Sud de la Syrie, tout près des hauteurs du Golan, ils tentent de renforcer le pouvoir du Hezbollah et d’ouvrir un front face à Israël.

En Irak, les « gardiens de la révolution » profitent des bombardements de la coalition contre l’EI afin d’aider les milices chiites à prendre le contrôle de plusieurs régions du pays. Au Yémen, l’Iran tire profit de la guerre civile en renforçant les chiites Houtis dans le nord, et qu’ils aideront à prendre le contrôle du pays dans l’avenir.

La plupart des commentateurs arabes ont cité ou même justifié la déclaration de Netanyahou selon laquelle « l’Iran contrôle désormais quatre pays » – en faisant référence au Yémen, à l’Irak, à la Syrie et au Liban qui, avec le Hezbollah représente une autre région iranienne depuis plus de vingt ans.

« Israël plus dangereux ​que l’Iran »

Il semble que les commentateurs arabes, même dans les journaux saoudiens anti-Iran, veulent éviter toute confusion. L’ennemi de l’ennemi n’est pas un ami. Bader al-Rachid, un commentateur saoudien a écrit dernièrement un article publié à la une du journal Al-Hayat avec pour titre : « L’ennemi de mon ennemi est-il mon ami ? ». D’après l’auteur, dans les pays du Golfe, beaucoup pensent que l’Iran est bien plus dangereux pour le monde arabe que pour Israël, et de ce fait, il n’est pas nécessaire d’échapper à une normalisation des relations avec Israël. Al-Rachid affirme cependant qu’il n’est pas tout à fait d’accord avec ces affirmations « même si beaucoup pensent qu’elles sont très censées ».

Il faut toutefois noter que dans le monde arabe, et particulièrement en Arabie Saoudite, il est interdit d’écrire un article qui contredit la position du gouvernement local. Al-Rachid soutient qu’Israël constitue une menace beaucoup plus importante que l’Iran. Il affirme que l’Iran menace le monde arabe certes, mais précise Israël s’établit sur un sol arabe « qui ne lui appartient pas », et étend son occupation sur d’autres territoires arabes (en référence aux frontières de 1967). Il soutient également que bien que l’Iran a des visions expansionnistes, la politique d’Israël est bien plus agressive, en prenant pour exemples l’occupation du Sinaï et du Golan (1973), ainsi que l’invasion du Liban et l’occupation de Beyrouth (1982).

D’après l’auteur, la politique d’Israël demeure agressive et violente, chose qui se reflète notamment par les bombardements sur le sud du Liban et dernièrement, par les attaques près de Damas qu’il qualifie « d’occupation et d’attaques quotidiennes contre les Palestiniens ». Il ajoute qu’ »à l’heure où l’Iran soutient tous ceux qui tuent les Arabes, Israël est de ceux qui les tue ». « Nous sommes choqués de voir que l’Iran pourrait acquérir l’arme nucléaire à l’heure où Israël la possède depuis déjà des dizaines d’années », poursuit-il.

Al-Rashid ne manque pas non plus de rappeler qu’en 1981, Israël a détruit la capacité de l’Irak à développer l’arme nucléaire dans le monde arabe (bombardement du réacteur en Irak, sous le contrôle de Saddam Hussein). Plus loin dans l’article, il accuse les Etats-Unis d’avoir envahi l’Irak dans le seul but de servir les intérêts sécuritaires d’Israël, ce qui a finalement mené à la prise de pouvoir de l’Iran dans le pays. Selon ces affirmations, Israël serait plus dangereux que l’Iran, aussi parce qu’elle représente un point d’attraction pour les Juifs du monde entier, ce qui la rend plus puissante dans la région.

A la fin de l’article, le commentateur saoudien soutient que le conflit avec l’Iran peut être résolu pour la simple raison que dans le monde musulman, les Arabes et les Perses ont vécu ensemble pendant des siècles, et que le but aujourd’hui est de rétablir les frontières naturelles de l’Iran. Cependant, il affirme que « l’entité sioniste ne fait pas du tout partie de la région ». « Lorsque les Arabes se sont appuyés sur les Britanniques pour se libérer du régime de l’Empire Ottoman, ils sont devenus les propres esclaves des puissances européennes. Pour cette raison, il ne faut pas se fier aux entités coloniales », a mis en garde Al-Rachid.

« L’Iran, une excuse pour geler le processus de paix »

Un autre article a été publié dans le journal saoudien Al-Arabiya, suite au discours de Netanyahou au Congrès. Cette fois, le journaliste Ali Noun du quotidien libanais Al-Mustaqbal explique qu’avec toutes les atrocités commises par l’Etat islamique, le monde a oublié les crimes commis par le président syrien Bachar al-Assad. Selon lui, la menace iranienne a permis « au plus grand terroriste au monde de s’adresser au Congrès sur le danger qui menace la région ». Il soutient que, bien que Netanyahou ait évoqué certaines vérités sur le fait que l’Iran contrôle quatre pays et cherche à se doter de de l’arme nucléaire, il ne s’agit là que d’excuses pour échapper au processus de paix et pour attaquer ce qu’il surnomme « les amis de l’Iran » à Gaza (c’est-à-dire le Hamas).

Par ailleurs, le journaliste saoudien Daoud al-Rayan a sous-entendu dans l’éditorial d’Al-ARabyia que le discours de Netanyahou n’était que paroles, qu’il n’y a pas vraiment d’hostilité entre l’Iran et Israël, et que ces deux pays coopèrent contre les Arabes depuis l’époque du Chah – ouvertement à l’époque, en secret aujourd’hui. D’après le journaliste, les Etats-Unis cherchent à faire la balance entre ce que pourrait être le nucléaire chiite iranien et le nucléaire sunnite au Pakistan. En échange, l’Iran contribue à la guerre contre l’Etat islamique menée par les Etats-Unis en Irak et en Syrie. D’après al-Rayan, l’Iran n’a jamais aidé le peuple palestinien ou même soutenu la cause palestinienne.

Walid Shakir du journal Al-Hayat rapporte que les États-Unis envisagent les négociations de telles façons qu’elles mèneront à un dialogue entre son nouvel allié iranien et son allié historique israélien.

Mohammed al-Ramihi, commentateur koweïtien, justifie le discours de Netanyahu et affirme que pour l’Iran, un accord à la fin mars serait considéré comme une victoire sur le « grand Satan » (États-Unis), parce que Téhéran serait alors en mesure de dominer des pans entiers du monde arabe et de développer l’arme atomique.

Ces articles et analyses nous enseignent que la menace iranienne n’a pas contribué à changer la position du monde arabe envers Israël. Il considère toujours Israël comme un ennemi, et non comme un allié, dans la lutte contre l’Iran. Israël est considéré comme le troisième côté d’un triangle qui menace le monde arabe, avec l’Iran et la Turquie. Le nouveau gouvernement israélien devra trouver un moyen d’ouvrir la voie à un dialogue avec les États arabes qui sont menacés par l’Iran, en dépit de la haine et des soupçons. L’Egypte et la Jordanie peuvent sûrement l’aider dans cette tâche.

Yaron Friedman commente l’actualité du monde arabe pour le site d’information israélien Ynet, il est professeur spécialiste de l’Islam dans différentes institutions en Israël. Cet article est publié par i24news avec l’aimable autorisation du site d’information Ynet.

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gabriel Taieb

Ceci n’est pas tout à fait exacte, l’Egypte apparaît comme un allié d’Israël, du moins tant que Al-Sissi en sera le patron, mais il va falloir du temps pour changer les mentalités, n’oublions pas que les muz vivent encore au moyen-âge! Le véritable ennemi d’Israël, c’est le Haman noir de la maison Blanche. Quant au monde musulman, il faudra comme l’a déclaré Al -Sissi faire évoluer l’Islam et modifier le Qoran, où l’antisémitisme est virulent et pestillenciel. Comme je l’ai maintes fois dit, le Qoran et Mein Kampf ont énormément de point commun (j’ai lu ces deux « livres » presque entièrement, et à propos, c’est à Hitler que l’on doit l’invention de l »antisionisme »