Un défenseur et auteur juif polonais,

pionnier des droits de l’enfant,

est honoré 70 ans après son assassinat par les Nazis

Par BEN HARRIS 

En 2013, le marionnettiste de Nashville, Brian Hull, parcourait les rayons de la bibliothèque publique de Nashville, lorsqu’il est tombé sur un obscur livre pour enfants polonais qui portait un sorcier en couverture.

«Quand j’ai vu le livre, j’ai pensé : qu’est-ce que c’est que ce mauvais plagiat de Harry Potter?», déclare Hull, qui dirige la troupe locale de marionnettes de la bibliothèque et produit des spectacles de marionnettes indépendants par le biais de sa société, BriAnimations Living Entertainment. « Puis j’ai vu que son copyright portait la date de1933. »

«Kaytek le sorcier» est l’œuvre de Janusz Korczak, pédiatre juif polonais et auteur bien connu pour son refus d’abandonner les enfants de son orphelinat de Varsovie, au moment de leur déportation à Treblinka, malgré qu’on lui ait offert d’être épargné, ce qui aurait pu lui sauver la vie in extremis. Le livre n’a été disponible en anglais qu’en 2012.

«J’ai commencé à le lire et j’en suis devenu obsédé », a déclaré Hull. « Je pensais juste : Mais qu’a fait cet homme? Cela ne ressemble à aucun autre livre pour enfants que j’ai pu lire de ma vie. »

Hull s’est mis au travail dans son sous-sol pour adapter le roman et en faire un spectacle de marionnettes, avec musique originale et animations dessinées.

Le spectacle a été présenté pour la première fois devant un public à guichets fermés au Festival international de marionnettes de 2016 à Nashville.

 Hull n’a pratiquement plus cessé de la jouer depuis, qu’elle se produise dans des théâtres, des festivals et des écoles à travers tout le pays.

«À mesure que j’en apprenais plus sur Janusz Korczak», écrit Hull dans un pamphlet éducatif distribué par le Tennessee Performing Arts Center, «J’avais du mal à croire que j’avais pu vivre sans jamais entendre parler de lui».

Assassiné par les nazis en 1942, Korczak a laissé derrière lui un ensemble de romans, de poèmes et de perspectives pédagogiques, de format modique mais formidable, qui continue d’inspirer lecteurs, éducateurs et militants, plus de sept décennies après sa mort.

 Ses idées n’animent pas seulement les milieux éducatifs, mais aussi l’innovation dans le domaine du droit international.

Korczak a été l’un des tout premiers partisans de l’idée que les enfants ont des droits. Il a défendu cette idée dans une émission de radio qu’il a animée avant la guerre et en tant que signataire de la Déclaration des droits de l’enfant de 1924.

Né sous le nom de Henryk Goldszmit à Varsovie à la fin des années 1870 (l’année exacte n’est pas connue), Korczak a été élevé dans une famille juive aisée, dont la fortune s’est estompée après la mort et la maladie de son père. Korczak a étudié la médecine à l’Université de Varsovie et est devenu pédiatre.

Mais, parvenu à la trentaine, il abandonne la pratique de la médecine pour devenir directeur d’un orphelinat juif, où il commence à mettre en pratique ses idées sur l’éducation des enfants.

L’adaptation du livre pour enfants «Kaytek the Wizard» de Janusz Korsczak par le marionnettiste de Nashville Brian Hull a été diffusée à travers le pays. (BriAnimations Living Entertainment)

Fervent partisan des droits des enfants, Korczak a instauré une gouvernance démocratique à l’orphelinat, notamment en mettant en place un parlement où les enfants fixent leurs propres règles et gèrent leurs propres affaires.

Si quelqu’un enfreignait une règle, le délinquant pouvait être traduit devant un tribunal pour enfants supervisé par un groupe de juges en rotation.

Korczak a également fondé le premier journal national pour enfants et écrit plus d’une vingtaine de livres.

«Je dirais que beaucoup de ses actions avec les enfants sont maintenant considérées comme une forme d’apprentissage social et émotionnel, ce qui est dorénavant le mot clé en matière d’éducation», déclare Sara Efrat Efron, professeure d’éducation à la National Louis University, de Chicago.

 

Sara Efrat Efron

«On consacre beaucoup d’efforts à présent pour trouver des moyens de se concentrer sur la croissance émotionnelle et sociale, et les méthodes qu’on recommande font partie des choses que Korczak a fait jour après jour. Donc, il était vraiment en avance sur son temps et peut-être en avance sur notre temps. « 

Aujourd’hui, des sociétés dédiées à l’héritage de Korczak sont actives dans plus d’une douzaine de pays. Des écoles inspirées par ses idées pédagogiques existent en Allemagne, en Hollande, en Pologne et en Russie.

Ses enseignements sont à la base d’un camp d’été en Pologne et sa vie est l’inspiration de la chanson « The Little Review » de la chanteuse folk canadienne Awna Teixeira.

En 2012, une sculpture en bronze de Korczak a été dévoilé à l’Université de la Colombie-Britannique.

Les traductions des écrits de Korczak continuent à être publiées, y compris une édition chinoise de 2013 de son livre pour enfants « Le Roi Mathias 1er ».

Les efforts de Korczak en faveur des enfants étaient d’autant plus remarquables, dit Efron, qu’ils ont été entrepris dans les conditions les plus éprouvantes.

Avec l’occupation nazie de la Pologne, Korczak a été contraint de déplacer son orphelinat à l’intérieur du ghetto de Varsovie.

Alors que les conditions morales de la culture environnante se détérioraient, Korczak a refusé de tromper les jeunes quant à la réalité du monde, sans toutefois succomber au désespoir, en continuant de croire que les enfants étaient le meilleur espoir pour l’humanité.

Ces convictions été mise à rude épreuve en août 1942, lorsque les nazis sont venus chercher les 190 enfants de l’orphelinat. Dans ce qui allait devenir l’histoire par laquelle on se souvient le mieux de lui, Korczak, alors personnalité éminente de la Pologne, a décliné les offres qui auraient pu lui permettre de s’échapper.

Au lieu de cela, il a habillé ses enfants de leurs plus beaux vêtements et les a conduits à travers les rues jusqu’au point de déportation, où ils ont été placés dans des wagons à destination de Treblinka.

« L’attachement de Korczakà l’espoir n’était pas dû à la naïveté ni à l’aveuglement« , écrit Efron dans un article de 2016, « mais à un choix calculé, à une compréhension existentielle du fait que le désespoir signifie renoncer au changement, le seul qui permette ainsi à l’avenir de se réaliser. »

Des décennies après sa mort, les idées de Korczak vont être promues par le gouvernement polonais d’après-guerre.

La Pologne a proposé pour la 1ère fois, en 1978, la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant, qui sera adoptée par l’Assemblée générale en 1989.

La Pologne a aussi lancé, en 1968, l’Ordre du sourire, un prix international décerné par des enfants à des adultes qui se sont distingués dans la défense de leurs intérêts. Le secrétaire général de l’ONU a reconnu cette distinction en 1979.

Cette année, le prix a été attribué à Marta Santo Pais, représentante spéciale des Nations Unies sur la violence contre les enfants. Elle a prononcé le discours liminaire lors d’une conférence sur l’héritage, la pédagogie et la défense des droits de l’enfant de Korczak, qui s’est tenue à l’Université Columbia.

La conférence était parrainée par le Polish Cultural Institute New York, entre autres.

«L’idée principale de Korczak est qu’un enfant est un être humain, mais qu’il ne s’agit que d’un petit être humain. Par conséquent, ses droits ne peuvent être traités différemment des droits des adultes. C’était révolutionnaire pour son époque », a déclaré Anna Domanska, directrice par intérim de l’institut. «Il en va de même pour sa manière innovante de gérer un centre pour enfants orphelins. L’activité de Korczak a également été rendue possible par le climat social général de la Pologne de l’entre-deux-guerres, où les citoyens, qui jouissaient de leur liberté après 123 ans de domination étrangère, souhaitaient exprimer cette liberté aussi pleinement que possible. « 

En 2012, la Chambre basse du parlement polonais, le Sejm, a déclaré l’année de Janusz Korczak, qui marque le 70e anniversaire de son décès et 100 ans depuis la fondation de son foyer d’orphelins.

«Cela nous a permis de commémorer le vieux médecin et de rétablir sa mémoire, non seulement, dans la réalité polonaise, mais dans le monde entier», a déclaré Marek Michalak, médiateur polonais des droits de l’enfant de 2008 à 2018, chancelier du Prix international de l’Ordre du sourire et président de l’association internationale Janusz Korczak.

 «Korczak n’était pas seulement une victime de la Shoah, mais également le premier porte-parole des droits de l’enfant, pédagogue et auteur remarquable. »

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