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« Islamophobie », « islamo-gauchisme », mots tabous?

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"Islamisme", "islamophobie", "islamo-gauchisme" : les mots tabous qui changent après l'attentat de Conflans
« Les luttes idéologiques se commencent en prenant la parole, mais se terminent en rendant celle de l’autre inaudible, choquante ou grotesque. »
© Hans Lucas via AFP

« Islamisme », « islamophobie », « islamo-gauchisme » : les mots tabous qui changent après l’attentat de Conflans

Les médiologues

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« Une certaine hégémonie – c’est-à-dire un pouvoir d’imposer certains mots et de faire apparaître certaines idées comme naturelles et d’autres comme suspectes – est peut-être en train de basculer », analyse le médiologue François-Bernard Huyghe, après l’attentat contre Samuel Paty. En effet certains tabous, dans le langage et le discours politique, risquent bien de disparaître…

Un glissement sémantique produit-il un bouleversement idéologique ? En quelques jours l’effroi qui a suivi la décapitation de Conflans a balayé les codes des débats médiatico-politiques.

En juin 2015, lorsqu’un chef d’entreprise de Saint-Quentin-Fallavier eut la tête tranchée et plantée sur une pique par un jihadiste se réclamant de Daesh, il était de bon aloi sur les plateaux de se demander s’il ne s’agissait pas d’un acte de démence individuelle pour bien se garder de tout amalgame ou essentialisme. On raisonnait de la sorte : « Terroriste, sans doute, jihadiste vraisemblablement mais ne confondons pas avec le fondamentalisme ni avec le salafisme en général et a fortiori l’islam dans sa globalité. D’ailleurs il y a jihad spirituel, jihad défensif et jihad offensif. Les partisans de Daesh n’étaient-ils pas plutôt des gens qui jettent l’anathème sur les sunnites modérés ? Des musulmans anti-musulmans en quelque sorte ? Les combattre, certes (et nous les bombardions alors en Syrie) leur résister, bien sûr, car rien ne pourra nous désunir et nous tenons ferme pour les valeurs de la République, mais disons plutôt combattre le terrorisme, la radicalisation, l’extrémisme, la haine, faire la guerre à la guerre en somme. »

Il y a quelques jours, dans son discours de Mureaux, Macron qui avait un moment envisagé de mobiliser la Nation contre les « séparatismes », a fini par nommer l’islam radical ou l’islamisme comme danger prioritaire. Deux semaines et un crime plus tard, bien d’autres tabous ont sauté.

LES TABOUS ÉVAPORÉS

D’abord la gêne autour du mot islamiste : il n’y a plus rien de choquant à désigner ainsi l’assassin. Il voulait moins contribuer à la venue du califat que châtier un blasphémateur. Il entendait littéralement appliquer les lois divines en lieu et place de la loi des hommes. La loi qui, chez nous, permet de montrer une image qui offense une foi. Et n’autoriserait plus que l’on exécutât le chevalier de la Barre.

Dans le même mouvement de libération du politiquement correct, bien des choses sont devenues dicibles qui, il n’y a pas si longtemps valaient anathème, accusation de complaisance envers le Rassemblement National, indice le suprématisme, parfum de racisme…

« Chercher d’autres causes que psychiatriques ou socioculturelles à la violence terroriste – telles le pouvoir des idées et des croyances – n’est plus un crime contre le vivre-ensemble. »

Pour commencer, il est permis de critiquer la critique et de se rebeller contre le pouvoir culpabilisant du mot islamophobie, justement. Donc refuser qu’un mot supposant sur des motivations cachées (haine maladive d’une communauté) serve à interdire une analyse publique des faits. Du coup, constater que le thème victimaire a été instrumentalisé ne fait plus automatiquement de vous un complotiste. Et chercher d’autres causes que psychiatriques ou socioculturelles à la violence terroriste – telles le pouvoir des idées et des croyances – n’est plus un crime contre le vivre-ensemble. Mettre en cause le prosélytisme islamiste dans la pratique terroriste passe mieux.

Dans la foulée on en entend regretter l’aveuglement qui a favorisé la conquête des territoires perdus de la République, dénoncer l’omerta et la complaisance dont ont profité les adversaires de la démocratie… toutes choses qui, il n’y a pas si longtemps, marquaient au fer rouge.

L’ACCUSATION REVIENT CONTRE CEUX QUI LA FORMULAIENT

Bref ni le délit (raciste!), ni le déni (fantasmes déclinistes) ne font plus vraiment taire une colère populaire qui désigne son objet.

Mieux : l’accusation revient contre ceux qui la formulaient – on voit les complaisants politiquement corrects de l’UNEF se faire huer comme collabos dans les manifestations – ; qui parle d’islamo-gauchisme, d’années d’aveuglement et de laxisme n’est plus à la droite d’Attila.

« Les luttes idéologiques se commencent en prenant la parole, mais se terminent en rendant celle de l’autre inaudible, choquante ou grotesque. »

Un camp se renforce quand il décide des noms donnés à la stratégie de l’autre. Ainsi, un discours républicain ou souverainiste devient audible qui condamne la double manœuvre des islamistes : manœuvre positive en imposant sa présence et son droit (par l’école coranique, le port du voile, via ses associations et sa visibilité revendiquée) et manœuvre négative culpabilisante avec le répertoire multiculturel américain (condamnant le baby-boomer blanc, ses phobies, ses intolérances, son racisme systémique et sa fausse mauvaise conscience de ses crimes) historiques. En somme on peut dire tout ce qui précède sans que l’interlocuteur crie à la zemmourisation.

La bascule ?

En désignant l’ennemi (islamisme), en affirmant qu’il ne se fera plus imposer le Surmoi « islamophobie » (voir le cas de l’Observatoire de la laïcité), en fermant des mosquées ou des associations pour ce qu’elles disent, en assumant de mener une guerre de persuasion, en cherchant à éradiquer l’idéologie conquérante, y compris chez les enfants, le gouvernement joue cette tendance. Et la plupart de ceux qui ont accès à la parole publique, ce qui va dans le sens des sondages. Pour longtemps ?

Une certaine hégémonie – c’est-à-dire un pouvoir d’imposer certains mots et de faire apparaître certaines idées comme naturelles et d’autres comme suspectes – est peut-être en train de basculer. Moitié par une décision d’en haut, moitié sous une pression d’en bas. Mais ce sentiment qui se révèle depuis quelques jours sera à plus long terme confronté  à de fortes influences chez les élites et à de longues habitudes des médias. Les luttes idéologiques se commencent en prenant la parole, mais se terminent en rendant celle de l’autre inaudible, choquante ou grotesque.

A lire aussi : Renseignement, rectorats, politique… Conflans : ces petites lâchetés qui ont mené au grand désastre

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