The remains of the barracks and the main building of the Auschwitz German Nazi death camp are pictured ahead of German Chancellor Angela Merkel's landmark visit in Oswiecim, Poland, on December 5, 2019. - German Chancellor Angela Merkel will honour Holocaust victims on December 6, 2019 with her first official visit to the former Auschwitz-Birkenau death camp, a Nazi German killing factory where more than 1.1 million people, mostly European Jews, perished during World War II. (Photo by JANEK SKARZYNSKI / AFP)
Il s’appelait Usher, il avait 18 ans…il est mort à Auschwitz…mon grand-père
Nathalie Sosna-Ofir  12 avril 2018

 

 

 

Il s’appelait Usher, il avait 18 ans…il est mort à Auschwitz…mon grand-père, son père donc, rescapé du même camp, nous a toujours dit avoir vu son fils partir vers la mort, mais jamais ne nous avait confié les circonstances, certainement pour ne pas nous faire encore plus de peine…aujourd’hui, nous avons découvert, grâce au Professeur Tuvia Friling de l’Université Ben-Gourion, qui a publié, en 2016, « A Jewish Kapo in Auschwitz: History, Memory, and the Politics of Survival », que notre grand-père Icek Lobersztajn, matricule 54311 -donc aucun doute sur son identité- avait témoigné, à son retour des camps à Paris, avec un autre rescapé, contre un kapo qui faisait régner la terreur parmi les déportés. Eliezer Gruenbaum, un juif polonais -il se faisait appeler Léon Berger- fils d’Itzhak Gruenbaum qui deviendra le 1er ministre de l’intérieur de l’Etat d’Israël.

Un jour il a tant frappé Usher à coups de barre de fer alors qu’il tentait de venir voir son père deux blocs plus loin, qu’il en est mort deux jours plus tard.

Et son corps jeté dans un four….sur ces accusations, le kapo fut mis en détention à Paris mais le procès fut rapidement clos car « ni les accusés ni les victimes n’étaient françaises » et il s’enfuit en Israël…pour nous, c’est le choc…nous aurions préféré continuer à croire qu’il avait été assassiné par une main nazie et non par une main juive….qu’il repose en paix.

 

Et si c’était vraiment un numéro de téléphone ?

Nathalie Sosna-Ofir 2015

Il y a soixante-quinze ans, jour pour jour, mon grand-père Icek était libéré du camp d’Auschwitz…les cendres de son fils Usher, 18 ans, de ses dix sœurs et frères eux resteront dans ce cimetière maudit.

Revenu à Paris depuis les affres de l’horreur et de l’inhumanité, il pense à Sarah, sa femme, à ses six autres enfants à l’amour desquels il avait été arraché avec zèle, en ce sombre jour du 21 juillet 1942, par la police française, pour être déporté six jours plus tard par le convoi numéro 12, Train 901-7 de Drancy à Auschwitz Birkenau, ce camp mortifère, sur cette terre de Pologne qui l’avait vu naître, en 1900, dans le petit shtetl de Zéléchov.

Du Lutétia, où il vient chaque jour consulter les listes des survivants, aux rues parisiennes, il traine ses 27 kilos de désespérance, hagard, fatigué, vidé, épuisé, travaillant ici et là pour survivre. Il rencontre parfois des voisins d’avant la Shoah, rescapés ou ayant été cachés, qui peinent à le reconnaître sous les traits de ce monsieur si vieilli avant l’âge.

Au gré de ses errances, il croise un ancien voisin qui n’en croit pas ses yeux… »Sarah et les enfants étaient cachés en France et en Suisse, ils sont en vie et sont retournés dans le petit appartement de Belleville, cours les retrouver »…Il n’y croit pas, ne veut pas y croire et passe son chemin.

Pourtant, un jour, ses pas le mènent, un peu contre son gré, vers cette petite rue, ce modeste appartement, celui des jours heureux. Devant l’immeuble, il lève les yeux vers les fenêtres à la recherche d’ombres, se rappelle des rires des enfants, des odeurs de cuisine, des bols alignés sur la table au petit-déjeuner, des chants yddish qui résonnaient le Shabbat.

Il monte à reculons les marches du vieil escalier qui craque sous ses pas hésitants. Il redescend, remonte et fébrilement tape sur la porte en bois tout doucement comme pour ne pas réveiller les souvenirs et déranger les âmes endormies. Il attend, interminable attente, il n’entend rien comme s’il savait déjà qu’il n’y avait rien à entendre.

La porte s’ouvre, il n’ose pas lever les yeux, de peur de n’y voir que des fantômes. Puis, dans l’embrasure de la porte, Sarah, la bien-aimée, la mère de ses enfants, elle qui le croyait parti avec ces millions de sœurs et de frères de sang et de cœur gazés, fusillés, morts de faim, de froid ou de peur.

Maurice, Nathan, Faïga, Lisa -ma mère- Claude et Simon sont là aussi, vivants, bien vivants. Le visage marqué par ces années de peur et de séparation, ils rient avec le peu d’insouciance qui leur reste. Lui ne peut rien raconter, il ne parle pas, il ne pleure pas, plus de larmes, il est juste heureux mais ne peut pas le montrer.

La vie reprend, continue, l’âme blessée, le cœur affaibli, mais avec une envie irrésistible de vivre, vivre pour ceux qui ne sont pas revenus, vivre aussi pour se dédouaner d’être vivants, vivre pour se défaire de cette culpabilité, lourd fardeau dont il est si difficile de se délester.

Alors que je viens de naître, devenu veuf, mon grand-père vient vivre chez nous…Je passe beaucoup de temps, blottie, contre lui, sur le canapé. Il repliait toujours les manches de sa chemise blanche jusqu’aux coudes, été comme hiver et j’avais l’habitude de ces chiffres inscrits sur son avant-bras…je les caressais parfois et les répétais dans ma tête, comme font les enfants. En grandissant, je lui ai demandé ce qu’ils signifiaient… »tu vois, Nathalie » me dit-il en yiddish, « c’est le numéro de téléphone d’une personne si chère à mon cœur que je l’ai gravé sur ma peau pour ne pas le perdre et si je remonte toujours mes manches c’est pour que le tissu ne puisse jamais l’effacer ».

J’ai à plusieurs reprises vérifié en essayant de les frotter avec mes doigts et jamais ces chiffres ne se sont, en effet, ni effacés, ni même pâlis. L’inénarrable gravée à l’encre indélébile dans la chair. J’étais jalouse de cette personne qui lui était si chère alors que je pensais être celle qu’il chérissait le plus au monde. J’ai continué de grandir et on n’en a plus jamais reparlé…

D’ailleurs, il ne parlait jamais d’Auschwitz, si ce n’est pour raconter des épisodes heureux, des moments de solidarité où l’on partage son croûton de pain ou un coin de sa planche de bois pour se tenir chaud, mais jamais de celui où il a vu son fils aîné partir vers la chambre à gaz, sachant que c’était leur dernier regard croisé, ni du travail éreintant le dos courbé, des humiliations, du traitement zelé des kapos, des heures de désespoir, des compagnons de baraquement que l’on voit partir les uns après les autres se demandant quand viendra son tour…. Il avait la pudeur des survivants, que certains ont pris pour de la honte.

Il savait que je ne croyais plus depuis longtemps à son histoire de numéro de téléphone et je savais qu’il savait mais nous avons préféré continuer d’y croire. 5 4 3 1 1…et si c’était vraiment un numéro de téléphone ?

Aujourd’hui, mon grand-père tant aimé n’est plus là mais moi, du plus profond de mon âme d’enfant, j’ai encore envie d’y croire, d’y croire pour me dire que tout ça n’a jamais existé.

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