The Griffon. French Defense Minister Florence Parly attends the delivery of the first Griffon to the army. Versailles, FRANCE-04/07/2019 //01JACQUESWITT_choix010/1907041611/Credit:Jacques Witt/SIPA/1907041620

«Il est urgent de réinvestir dans notre Défense face à l’ampleur de la menace»

«En 100 jours, l’armée ukrainienne a ainsi perdu l’équivalent de notre parc de blindés lourds et ses pertes en homme représentent le quart de notre armée de terre.»

FIGAROVOX/TRIBUNE – La Défense a été la grande absente de l’élection présidentielle, déplore le député LR Jean-Louis Thiériot. Pour lui, la capacité à «gagner la guerre avant la guerre», c’est-à-dire à l’éviter, mérite de relever d’un «quoiqu’il en coûte» de la sécurité.

Les entrepreneurs, notre combat». La tribune de Jean-Louis Thiériot (LR) -  l'OpinionJean-Louis Thiériot est ancien président du conseil départemental de Seine-et-Marne. Avocat et historien, il a notamment publié «De Gaulle, le dernier réformateur» (Tallandier, 2018). Actuellement député LR, il est candidat aux élections législatives dans la 3e circonscription de Seine-et-Marne.

Malgré les armes qui partaient en Ukraine, la Défense a été la grande absente de l’élection présidentielle. Plus surprenant encore, alors que de nombreux pays européens adaptent leur outil militaire (Belgique: passage à 2,1% du PIB, Pologne à 3%, Allemagne: fonds spécial de 100 milliards), la France est totalement silencieuse. La situation de nos finances publiques, le stock de dette, les menaces inflationnistes et son corollaire, la hausse prévisible des taux, expliquent aisément ce silence gêné. Pourtant la situation est préoccupante et les décisions à prendre, urgentes.

Qu’il s’agisse de la mission parlementaire sur le «combat de haute intensité» que j’ai eu l’honneur de co-rapporter ou du récent rapport de la Cour des comptes, le constat est le même. Hors dissuasion, l’armée française a pour elle d’avoir un «modèle d’armée complet» et d’avoir l’expérience du combat. Mais elle est échantillonnaire, sans la «masse» et les stocks nécessaires pour durer dans un combat de haute intensité. En 100 jours, l’armée ukrainienne a ainsi perdu l’équivalent de notre parc de blindés lourds et ses pertes en homme représentent le quart de notre armée de terre.

La Cour des Comptes constate que, même en respectant la hausse annuelle de 3 milliards prévue par la loi de programmation, l’objectif d’un modèle complet à l’horizon 2030 ne pourra être atteint. Jean-Louis Thiériot

Face à ce constat, après avoir salué à juste titre le respect de la LPM, la Cour constate que, même en respectant la hausse annuelle de 3 milliards prévue par la loi de programmation, l’objectif d’un modèle complet à l’horizon 2030 ne pourra être atteint. Elle propose trois scénarios dont les deux premiers sont inacceptables: l’abandon de certaines de nos capacités sur le modèle de l’integrated review du Royaume-Uni, la «réduction homothétique» de nos investissements – l’allongement des programmes au prix d’une hausse des coûts finaux – ou l’augmentation de nos efforts, difficile à atteindre dans le contexte budgétaire que l’on connaît. Eu égard à l’ampleur des menaces, notamment en Europe, c’est pourtant le seul acceptable. Il suppose quelques mesures courageuses:

· Rédiger un nouveau Livre Blanc, posant sur le papier les intérêts français, la nature des menaces et les moyens nécessaires pour y répondre. Malgré l’actualisation de 2017, le dernier Livre Blanc date de 2013 et est partiellement obsolète.

· Combler d’urgence les trous capacitaires déjà identifiés: stock de munitions, frappes dans la profondeur (artillerie lourde dont le conflit ukrainien a montré l’ardente nécessité), génie, logistique, minage-bréchage, drones et lutte anti-drone, défense aérienne, parc Rafale à renforcer, armement de nos navires, pour n’en citer que quelques-uns, sans oublier l’entraînement des forces et le maintien en condition opérationnelle des matériels.

· Réfléchir à l’équilibre technologie/masse et renforcement du volume des forces probablement par un appel accru à la réserve et à la réduction des opérations intérieures telles que Sentinelle.

· Anticiper les défis de demain à l’horizon 2040 car les systèmes d’armes se bâtissent très en amont: armes hypersoniques, armes à énergie dirigées, ordinateur quantique, IA, guerre cognitive…

L’heure est au courage politique d’assumer des dépenses souvent impopulaires – encore que l’image des armées soit exceptionnelle et qu’il existe un véritable multiplicateur keynésien. Jean-Louis Thiériot

Tout cela coûtera cher, mais plus qu’en toute autre matière, la capacité à «gagner la guerre avant la guerre», c’est-à-dire à l’éviter, mérite de relever d’un «quoiqu’il en coûte» de la sécurité.

L’heure est au courage politique d’assumer des dépenses souvent impopulaires – encore que l’image des armées soit exceptionnelle et qu’il existe un véritable multiplicateur keynésien.

Elle est aussi à des solutions innovantes.

Pourquoi ne pas approfondir les possibilités du leasing avec un fonds privé, extérieur au budget de l’État, dédié à l’acquisition du matériel de Défense permettant de louer le matériel et de ne budgéter que le loyer ou ce qui serait détruit. Enfin, à Bruxelles, le combat doit être mené pour que les dépenses de Défense soient exclues des critères de Maastricht. La Belgique, la Pologne en ont déjà fait la demande. À la France d’être leader sur ce dossier.

Le pilier européen de la Défense de l’Europe est un enjeu clé, à condition d’être conduit avec lucidité sans naïveté. Tout ce qui renforce la capacité des Européens à se défendre eux-mêmes est une bonne chose. Mais, «l’autonomie stratégique européenne» demeure une chimère pour nombre de nos partenaires. Pour nos alliés, de l’Est notamment, l’Otan demeure l’horizon indépassable. Les 7 milliards du fonds européen de Défense (à comparer aux 1000 milliards de dépenses annuelles), les coopérations structurées permanentes et même l’excellent rapport de Thierry Breton sur l’Europe de la défense ne posent que des jalons. Pour longtemps encore la défense demeurera nationale et les accords bilatéraux ad hoc l’instrument le plus efficace.

Cette maxime, «autant d’Europe que possible, autant de nationale que nécessaire» s’applique aussi à l’industrie de défense. In abstracto, il serait souhaitable de disposer de géants européens. In concreto, sur des projets comme le SCAF ou le MGCS, on mesure les difficultés de coopérations qui n’ont de sens que si elles permettent d’obtenir pour moins cher, et plus vite, des matériels répondant aux besoins réels de nos armées. C’est loin d’être toujours le cas. Si l’on y ajoute le tropisme américain de certains acteurs – Airbus qui motorise l’Eurodrône avec des moteurs GE ou l’Allemagne qui dès l’annonce de la création du fond de 100 milliards commande des F35 américains- la vigilance doit être de mise.

La Défense, c’est bien plus que la défense militaire, c’est la défense civile, la défense économique, la défense cyber, la défense culturelle et morale. Jean-Louis Thiériot

Quelques priorités se détachent: mise en place d’un European buy act de l’armement en contrepartie des coopérations ; préservation de la liberté française en matière de grand export ; sauvegarde du financement de la BITD (base industrielle et technologique de défense) menacé par certains critères ESG ou certains projets funestes comme la taxonomie sociale et le label finance durable qui exclurait le secteur de la Défense. La création d’un secrétariat d’État à la BITD qui coordonnerait les différents acteurs pourrait être une réponse.

Tous ces éléments doivent être intégrés dans la notion de «Défense globale» définie par l’ordonnance de 1959 dont il faut retrouver l’esprit: la Défense, c’est bien plus que la défense militaire, c’est la défense civile, la défense économique, la défense cyber, la défense culturelle et morale. C’est la résilience de la nation, la promotion de la souveraineté pour les industries vitales, la constitution de stocks stratégiques. Sans tomber dans une fièvre obsidionale hors de propos, le renforcement des cellules planification du SGDSN (secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale) est une réelle nécessité.

Bref, l’heure est à l’action ! Elle est aussi, sur ce sujet clef, si le courage est au rendez-vous, à l’union nationale  des partis de gouvernement. L’épée de la France est au-dessus des partis !

Par Jean-Louis Thiérot  www.lefigaro.fr

La rédaction de JForum, retirera d'office tout commentaire antisémite, raciste, diffamatoire ou injurieux, ou qui contrevient à la morale juive.

S’abonner
Notification pour
guest

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

0 Commentaires
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires