G.W.F. Hegel: Traité du droit naturel (Gallimard, collection Tel)
Pour mon cher Ami disparu, qui était un fin juriste, Claude GOASGUEN, in memoriam

Maurice-Ruben Hayoun le 05.06.2020

Qu’est ce que l’état de nature face à l’état de droit ? Qu’est ce que le droit naturel, n’est ce pas là un oxymore puisque la nature n’obéit qu’à ses propres lois et évoque l’idée d’un esprit endormi ?

On oppose généralement le droit naturel au droit positif et dans quelle mesure peut on parler d’une science dans un tel cas, puisque les sujets mentionnés n’accèdent pas tous au rang de concept déclaré universel ? Telles sont les réflexions auxquelles se livrait le grand philosophe allemand Hegel (1770-1831) au début des années 1800.

Certes, ce n’est pas encore le Hegel de la Phénoménologie de l’esprit ni des Principes de la philosophie du droit, mais il s’agit incontestablement d’une ébauche, appelée à se parachever dans la suite de l’œuvre. On sent un philosophe attaché à l’Idée et au concept. Un peu comme si on devait définir le label de la science avec cette exigence d’universalité touchant tout. Il y a aussi la notion d’absolu et d’absoluité qui reviennent constamment dans les tout premiers chapitres de ce traité.

La question clef est la suivante : peut-on accéder à une science du droit naturel ? Et sur quelle base la fonder ? Evidemment sur la raison, mais cela ne se fera qu’au terme d’un long processus de conceptualisation qui répond à ce triptyque : juridicité, rationalité et normativité.

On cherche à aboutir à une utilisation adéquate du droit naturel. Le droit naturel vient il de la nature ou de la raison, donc selon son concept ? Il faudrait alors une conceptualisation critique de la nature car celle-ci équivaut à la violence et à la force, deux idées contraires à la notion même de droit.

Le droit est aussi lié à l’histoire car la philosophie du droit est en rapport avec la philosophie de l’histoire. Il y les coutumes et la tradition qui concourent à la création de ce droit naturel qui fait face au droit positif.. Mais peut on accorder le statut de science au droit historique qui évolue constamment ?

Certaines pratiques comme l’esclavage montrent que les peuples antiques, les Grecs et les Romains ne s’étaient pas encore élevés au concept de la liberté absolue. Pour eux, cette idée de liberté absolue de l’homme ne s’appliquait pas à tout le monde, ne connaissait pas l’universalité qui lui revient de droit. Ils déniaient donc aux esclaves la reconnaissance de leurs droits humains absolus. Hegel souligne que l’esclavage est contraire au droit parce qu’il nie tout droit rationnel.

L’auteur s’attarde aussi sur les droits inaliénables de l’homme qui existent éternellement dans le concept du droit. On peut aussi se demander si l’état de nature est une sorte d’état pré-politique… Hegel étend ses investigations de cette question du droit naturel afin de lui fournir une assise scientifique stable, c’est-à-dire qu’il fait tout pour aboutir à une conceptualisation.

L’autre thème central de ce traité du droit naturel est l ‘éthique ou loi morale. Qu’est ce que l’éthique scientifique ? C’est une loi morale qui procède par concepts et qui est validée par l’universalité de son action.

C’est le caractère le plus logique : ce qui est bon et recommandable ici ne saurait être considérée comme nocif ou néfaste ailleurs. Et ceci pose aussi la question des rapports de l’éthique et de la religion dont les dogmes et les rites ne sont pas nécessairement logiques ni prouvés.

Dans ce traité, Hegel cite, entre autres, l’historien Gibbon sur l’histoire de l’empire romain, ainsi que ses compatriotes Fichte et Kant qui parlait des racines métaphysiques du droit.
Voici quelques citations du Traité du droit naturel, mais aussi de la préface due au traducteur :
C’est le contenu de la loi morale qu’on demande et c’est seulement de lui qu’il est question. (p 99)
Il n y a absolument rien qui ne puisse de cette manière être transformé en loi morale (ibidem)
Ainsi, lorsqu’une maxime se rapporte à une détermination qui se détruit quand on la pense universellement, elle n’est pas capable de devenir principe d’une législation universelle. (p 103 in fine)

C’est d’elle que dépend la définition moderne du concept de droit naturel et la situation de ce concept dans l’ensemble de la science éthique. Nous devons considérer les résultats généraux de ce point de vue particulier ; comment une fois qu’on a posé la séparation comme insurmontable elle apparaît d’une manière propre à la science du droit naturel (p 108).

Et cette phrase qui revient au moins deux fois dans le Traité : La totalité éthique absolue n’est rien d’autre qu’un peuple. Cela résume bien l’ensemble du propos de l’auteur.

Le préfacier-traducteur effleure le problème de la nature du christianisme en écrivant ceci dès les premières pages du Traité : Le christianisme, qui est issu d’une révolte contre la confusion judaïque entre le droit et la religion, est dans son principe une religion morale. Cela implique qu’il ne se traduise pas en donnés objectifs et qu’il reste une affaire privée mais cela est compatible avec le prosélytisme. (p 12).

Mais on reste prisonnier de certaines idées préconçues qui font croire que le christianisme a eu raison du judaïsme en s’en séparant. Il écrit bien un peu plus loin qu’ il y a désormais séparation entre morale et le vie réelle…… C’est par rapport à positivité judaïque et à la servitude impériale que le christianisme est un progrès (p 13).

Il n’est pas du tout prouvé en termes de faits historiques que le christianisme ait dépassé en valeur spirituelle et religieux l’héritage juif, même si cela a été le rêve bimillénaire de l’ensemble de l’église chrétienne. La religion juive a simplement suivi une autre voie, opté pour un autre itinéraire que l’élargissement du sein d’Abraham (Ernest Renan), afin de digérer l’apport massif de la population païenne de l’Antiquité ?

La diffusion sans discernement du judaïsme, à l’exemple de ce que fit Saint Paul, eût été sa destruction, sa dissolution.

De biblique le judaïsme est devenu une religion biblico-talmudique, ce que les chrétiens des premiers siècles n’ont guère apprécié ni souhaité. Mais Hegel, qui avait écrit une Vie de Jésus est resté prisonnier de ces préjugés propres à l’église.

Et dans philosophie de l’histoire, la doctrine juive ne reçoit pas un traitement équilibré. Nous y reviendrons un jour prochain.

Maurice-Ruben Hayoun

Le professeur Maurice-Ruben Hayoun, né en 1951 à Agadir, est un philosophe, spécialisé dans la philosophie juive, la philosophie allemande et judéo-allemande de Moïse Mendelssohn à Gershom Scholem, un exégète et un historien français. il est également Professeur à  l’université de Genève. Son dernier ouvrage: Joseph (Hermann, 2018)

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