La grande migration des djihadistes de Daesh : de Syrie . . . vers la Libye, organisée par l’agence de voyage turque, le MIT

On assiste en janvier 2016, à une accélération des mouvements de djihadistes de Daesh ((asad-Dawlah al-Islamiyah fi al-‘Iraq wash-Sham) ou Etat Islamique qui refluent de Syrie vers la Libye. 

Il y a, certes, des raisons profondes à cet « envol vers plus de sécurité » de la part de Daesh, à la recherche d’un nouveau sanctuaire, alors que les pressions s’accroissent sur ses possessions territoriales en Irak et en Syrie, mais il y a aussi des conséquences très significatives pour la Libye, ses voisins et pour les insurrections sub-sahariennes, en particulier au Nigéria. En première ligne, pour faire face à ce nouveau défi, l’Egypte d’El-Sissi, mais aussi la France, très investie militairement au Mali, dans le Sahel, l’Italie par sa proximité géographique, en bref, l’Europe…

A convoy of ISIL militants in the Libyan town of Harawah on Dec. 6, reportedly headed toward oil fields in the area.

Un convoi de djihadistes de Daesh vers la ville d’Harawah en Libye, le 6 Dec., en quête de puits de pétrole dans le secteur .

Daesh voit en Libye l’opportunité d’accaparer les puits de pétrole de Cyrénaïque, à l’Est de la Libye, afin de compenser la perte de contrôle dont le groupe vient de faire l’expérience, par la saisie de livraisons de carburant syrien et irakien, transporté par des camions-citernes à travers la Turquie afin d’y être vendu sur les marchés internationaux.

Les frappes aériennes russes et la publicité accordée à la route de livraison du pétrole de Daesh en Turquie – ainsi que l’implication directe de Bilal Erdogan, le fils-héritier du Président islamiste turc – ont sérieusement fait chuter les revenus et la viabilité stratégique du pétrole de Daesh.

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Bilal Erdogan, l’héritier du trône de l’empire néo-ottoman cofondé avec Daesh, ici avec des commandants djihadistes servant d’intermédiaires en affaires.

On échafaude des spéculations raisonnables sur l’étendue du soutien aux mouvements de transfert de la base de Daesh en Libye, de la part des services de renseignements turcs, le Milli Istihbarat Teskilati (MIT), mais cela fait peu de doute que le MIT a toujours assisté Daesh (et les groupes précédents qui l’ont fondé) à la fois en Syrie et en Irak, autant qu’en Libye et partout ailleurs depuis plusieurs années. 

La Turquie est sous le coup de pressions accrues, l’obligeant à maquiller ses relations trop visibles avec Daesh à proximité de son propre territoire, largement à cause des déprédations militaires russes – et à un degré moindre, américaines – des forces de Daesh, et de la campagne intensive de révélations (menée par la Russie)  des liens que Daesh entretient directement avec le sommet des cercles dirigeants turcs et ses services de renseignements.

En outre, les liens plus qu’ambigus que Daesh maintient avec la Turquie et ses autres parrains étrangers ont aussi démontré que le groupe islamiste sait, quand il faut, de temps en temps, « mordre la main qui le nourrit« .

C’est aussi un lieu commun de dire que la soi-disant coopération turque dans le « combat international contre Daesh » s’est avérée insignifiante et de pure forme. Les opérations militaires turques, de ce point de vue, ont, cependant, fourni une bonne excuse à la Turquie pour intervenir directement en Syrie et en Irak afin de prendre les groupes militants kurdes pour cibles et de lutter contre les groupes djihadistes qui travaillaient contre Daesh. Mais, à cause de l’efficacité de l’action militaire russe, maintenant syrienne et occidentale contre les cibles de Daesh, la viabilité de Daesh en tant qu’entité géographique est, désormais plongée dans le doute à long terme.

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La recrudescence des forces de Daesh en Libye, particulièrement axée autour de sa possession géographique majeure, la ville de Syrte, provient, non seulement du transfert de combattants de Syrie et d’Irak, mais aussi de renforts de djihadistes venus d’Egypte, de Tunisie, du Soudan et du Mali. Il tombe aussi sous le sens que les combattants de l’allié déclaré (ou partie intégrante) de Daesh, Boko Haram, s’apprête à faire mouvement depuis le nord-est du Nigéria, afin de rejoindre le groupe Daesh en Libye, alors que le territoire confisqué par Boko Haram est compromis par l’efficacité, en amélioration constante, des opérations des forces armées nigérianes contre les djihadistes, conjuguée à une action unitaire de la Mission de la Force multi-nationale basée à N’Djamena, qui comprend des forces du Nigéria, du Tchad, du Niger et du Cameroun. 

Les sources des renseignements américains ont déclaré, à Washington, au journaliste Bill Gertz qu’au moins deux groupes de djihadistes ont annoncé à la fin décembre 2015, leur allégeance à Daesh en Libye : Le Conseil de la Shura des Révolutionnaires d’Ajdabiya et un autre groupe terroriste basé à Mistrata. 

La position de l’Egypte : ces mouvements ont des implications sécuritaires directes pour l’Egypte, pas seulement à cause de la proximité des opérations de Daesh à sa frontière, mais à cause du fonctionnement parallèle (et, sans doute, de l’identité d’intérêts) entre Daesh et les Frères Musulmans (Ikhwan), qui sont engagés au renversement de l’actuel gouvernement égyptien du Président  Abdul Fatah al-Sisi. Le parti turc gouvernant, l’Adalet ve Kalkinma Partisi (AKP), soutient, par définition le parti des Frères Musulmans, il a exprimé ouvertement son appui au Parti « Justice et Liberté » (Hizb al-Hurriya wa al-’Adala) des Frères Musulmans égyptiens, et exhorté à ce que son pouvoir soit rétabli à la direction de l’Egypte. 

La Turquie n’a de cesse de soutenir activement les Frères Musulmans égyptiens exilés au Soudan, aussi y a t-il une connexion évidente entre le sursaut de ses membres au Soudan et celui en cours en Libye, sous le sigle de Daesh. En outre, le MIT (services secrets turcs) est très actif au Soudan, puisqu’il y travaille non seulement avec l’Ikhwan égyptien, mais aussi avec d’autres groupes, comme Boko Haram au Nigéria.

L’Egypte a répliqué militairement contrer Daesh en Libye, au cours d’un passé récent, quand des travailleurs égyptiens expatriés ont été capturés et menacés par Daesh ou quand des travailleurs éthiopiens chrétiens expatriés se sont trouvés sous la menace de Daesh.

Six F-16 Lockheed Martin des Forces Aériennes égyptiennes ont frappé des cibles de Daesh à Derna et Syrte le 16 février 2015, lorsque Daesh a diffusé une vidéo (le 15 février) montrant la décapitation de 21 Coptes chrétiens égyptiens. De façon significative, l’Air Force libyenne s’est coordonnée avec l’EAF, en frappant également des cibles de Daesh. En revanche, l’Egypte n’a pas coordonné ses actions avec le gouvernement américain [favorable aux Frères Musulmans], mais a, plusieurs fois, appelé la coalition dirigée par les Etats-Unis à combattre Daesh et à élargir l’étendue de ses activités afin d’y inclure les composants de Daesh en Libye. L’Amérique a cherché à ralentir les ardeurs de l’Egypte, dans ses frappes contre Daesh, et s’est ensuite abstenue d’intervenir d’aucune façon contre Daesh en Libye. 

Cela vaut la peine de prendre en considération le fait que les actions de l’Egypte en Libye pourraient, durant une certaine période, être contrariées par le processus de reconstruction d’un nouveau gouvernement comme résultat de l’accord du 17 décembre, entre le Conseil des Députés – le « gouvernement de Libye officiellement reconnu par la communauté internationale » – et le Nouveau Congrès National Général, afin de créer un nouveau Conseil Présidentiel de neuf-membres et de signer un Accord de Gouvernement National, avec des élections qui devraient se tenir dans les deux ans. Comme résultat de tout cela, une période « d’indécision » chronique entre les factions rivales libyennes pourrait être perçue comme une magnifique opportunité pour Daesh, afin de consolider ses positions, mais cela peut aussi assurer qu’il n’existera pas de partenaire dans la chaîne de décision durant cette même période, en Libye, avec lequel l’Egypte pourrait coordonner ses frappes contre Daesh.

La principale conséquence de cette paralysie politique serait que toute nouvelle frappe égyptienne, si elle a lieu, devrait être de nature unilatérale et se verrait presque certainement critiquée par la Turquie et les Etats-Unis, agissant en harmonie (étant donnée la nature sans équivoque du soutien de l’actuelle Administration de Barack Hussein Obama à la Turquie). L’histoire des opérations secrètes dirigées par la Maison Blanche en Libye, travaillant directement avec les gouvernements turc et qatari afin de fournir des armes et aider Al Qaïda à avancer (et plus tard Daesh) permettant aux djihadistes de renverser l’ancien dirigeant libyen Mu’ammar al-Gadhafi en 2011, et les mouvements qui s’en sont suivis, avec l’aide de ces trois gouvernements, afin d’y consolider l’importation de groupes djihadistes, font de la Maison Blanche d’Obama l’otage (d’Ankara) dans toute action entreprise en Libye. 

L’Egypte, cependant, pourrait probablement être soutenue discrètement dans ses opérations contre Daesh et les  Ikhwan en Libye par le gouvernement russe et éventuellement par le gouvernement saoudien, qui peut aussi concevoir une menace contre l’Egypte, son principal partenaire stratégique, comme une menace indirecte contre le Royaume saoudien. La France fait aussi partie des probables soutiens des opérations égyptiennes en Libye. 

La position du Nigéria : un Daesh renforcé en Libye ne fera, en définitive, que rendre plus forts les combattants de Boko Haram dans le nord du Nigéria et pourrait aussi contribuer à ranimer les opérations djihadistes au Mali (où la France est directement impliquée). Mais la consolidation de Daesh en Libye pourrait aussi prendre trop de temps pour pouvoir réellement sauver Boko Haram, et dans le court terme, le processus visant à prendre le contrôle des champs de pétrole libyens sera sans doute la priorité exclusive de Daesh. Cela entraînerait les combattants de Boko Haram à être confrontés à un avenir plus incertain à l’intérieur du Nigéria, du Tchad et du Cameroun.

Au Cameroun, au Nigéria, au Tchad et au Mali, la France est aussi consciente des liens cruciaux qu’entretiennent Daesh et Boko Haram, et elle aurait intérêt à travailler avec l’Egypte pour partager une vision holistique ou panoramique de l’ensemble du conflit. Cela pose également la question, ensuite, de savoir pourquoi le Nigéria n’a pas encore commencé à établir une coordination par le partage de renseignements, avec l’Egypte, afin de contrer les relations de Daesh en Libye et au Soudan avec Boko Haram.

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Special to WorldTribune.com

Par Gregory R. Copley, rédacteur en chef, GIS/Defense & Foreign Affairs

 

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Adaptation : Marc Brzustowski

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