LE « POUR »

La prohibition serait une erreur

La réédition de Mein Kampf, écrit en 1924-1925 par Adolf Hitler, est de toute façon inéluctable puisque ses droits tombent dans le domaine public. Surtout, dans le monde numérique dans lequel nous vivons aujourd’hui, vouloir interdire Mein Kampf serait illusoire, un combat d’arrière-garde, voire contre-productif.

Traiter cet ouvrage par la prohibition serait une erreur et entretiendrait encore un peu plus l’appétence de la nature humaine pour tout ce qui est interdit.

J’entends les arguments de ceux qui excipent du risque de voir ressurgir « une chose du passé » comme le notait le Président du CRIF, Roger Cukierman. Pourtant, Mein Kampf est « une chose du présent ». Comme l’a rappelé récemment Antoine Vitkine aux Inrocks, l’opus d’Hitler est un best-seller qui fait un carton, notamment dans le monde arabe où il entretient, avec Les Protocoles des Sages de Sion, un antisémitisme structurel.

La LICRA a, dès l’origine, une histoire particulière avec ce livre. C’est la LICA de l’époque qui, en 1934, sous l’impulsion de Bernard Lecache, son président-fondateur, a financé la parution de 5000 exemplaires de la traduction française de Mein Kampf. La LICA l’a fait dans un but simple et pédagogique : les Français, et singulièrement les Juifs, devaient connaître la nature et la violence de la menace.

En 1979, plusieurs associations, dont la LICRA, par la voix de Robert Badinter, se sont opposées à la réédition du fac-similé, sans avertissement ni commentaire historique, de l’édition de 1934 par la maison Sorlot.

Nous nous trouvions alors quelques mois après les déclarations négationnistes de Darquier de Pellepoix dans L’Express. Robert Faurisson commençait à distiller son poison prétendument révisionniste dans une France largement insensible à la mémoire de la Shoah.

L’arrêt de la cour d’appel de Paris du 11 juillet 1979 a permis la publication de l’ouvrage à condition qu’il soit précédé d’un avertissement sans équivoque : « Mein Kampf, qui constitue assurément un document indispensable pour la connaissance de l’histoire contemporaine, est aussi une œuvre de polémique et de propagande dont l’esprit de violence n’est pas étranger à l’époque actuelle et qui par là même peut encore, malgré l’inanité de ses théories, contribuer à une renaissance de la haine raciale ou à l’exaspération de la xénophobie. Le lecteur de Mein Kampf doit donc se souvenir des crimes contre l’humanité qui ont été commis en application de cet ouvrage, et réaliser que les manifestations actuelles de haine raciale participent de son esprit.  »

Aujourd’hui, je considère qu’il faut être fidèle à la ligne définie par la justice en 1979, avec lucidité et vigilance. Les éditions de Mein Kampf, dans notre pays, doivent être des éditions contrôlées et responsables. Il importe que le lecteur soit accompagné à la lecture de cet ouvrage par un appareil historique et critique solide, qui place l’ouvrage dans son contexte et le présente pour ce qu’il est : un brûlot antisémite, nationaliste et programmatique de la Solution Finale.

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Alain Jakubowicz

Président de la LICRA

LE « CONTRE »

Il n’est pas souhaitable de publier une traduction française de Mein Kampf

Je ne suis pas opposé en principe à la préparation d’une édition critique de Mein Kampf qui est loin d’être un chef-d’œuvre littéraire, philosophique ou politique. Son auteur était atteint au plus profond de lui-même de cette incurable obsession antijuive face à laquelle même Sigmund Freud eût baissé les bras.
Après tout, des spécialistes ont tenté la même expérience avec un autre écrit, un faux célèbre, intitulé Les Protocoles des Sages de Sion…. Plus personne ne retient aujourd’hui les allégations mensongères et diffamatoires de cet ouvrage et pourtant, certaines traductions en arabe et même en japonais ont donné un nouveau souffle de vie à ce livre.

Faut-il retenter l’expérience avec Mein Kampf  ?  Depuis le 30 avril 2015, la mort d’Hitler remontant à 75 ans, bien des éditeurs ont été tentés de redonner à Mein Kampf une nouvelle vie, notamment après la réédition de cet ouvrage, muni d’un imposant apparat critique censé prévenir le lecteur contre la nocivité de l’ouvrage. Il y a là un paradoxe que les meilleures intentions du monde ne peuvent pas effacer. S’il est dangereux de livrer aux lecteurs, tant savants que non-spécialistes, le texte seul, pourquoi choisir d’en donner une version mettant en garde ce même public ?

C’est en détention, suite au putsch manqué de 1923 à Munich, que Hitler rédigera son livre Mein Kampf (Mon combat) que très peu de gens avaient pris au sérieux, notamment au sein de la communauté juive. En voici un exemple : le grand romancier et journaliste Joseph Roth, l’auteur de La Crypte des capucins, de La Légende du saint buveur et du Poids de la grâce, relate un dîner dans la maison d’un grand banquier juif de Vienne qui niait tout danger pouvant provenir d’Hitler. Quel intérêt aurions-nous à remettre ce livre au centre des débats aujourd’hui ?

Les historiens ont déjà fait ce travail de fourmi, traquant le moindre indice pour rattacher les idées peu originales d’Hitler à tel courant de pensée de l’époque ou à tel autre. Or, ce sont toutes ces idées que le lecteur retrouvera en parcourant un ouvrage aussi volumineux qu’indigeste, compilé par un auteur lors de sa détention, en se servant d’idées déjà datées de son propre temps, comme les ouvrages « racialistes » de Houston Stewart. Chamberlain (Les Fondements du XIXe siècle : Die Grundlagen des XIX. Jahrhunderts, 1899) et d’Oswald Spengler, notamment Le Déclin de l’Occident.

Sans oublier l’essai du comte Arthur de Gobineau, Essai sur l’inégalité des races humaines (1853-1855) qui fut très rapidement traduit en allemand grâce au zèle infatigable de son traducteur Ludwig Schemann qui rassembla les fonds nécessaires à sa publication en créant une société Gobineau.

Je pense vraiment que ce serait une erreur de publier une nouvelle édition de cet insupportable brûlot antisémite.

MRH petit

Maurice-Ruben HAYOUN

Professeur des Universités à Genève

 

Source : Le DRENCHE

 

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Titmosis

Je suis pour que des Juifs capables de faire de l’analyse de texte lisent ou plutôt étudient la première partie du livre écrite alors que Hitler se trouve en prison. Dans cette première partie il y a un chapitre intitulé « comment je suis devenu antisémite » Très surprenant ! Tout le reste du livre est sans intérêt en dehors du fait qu’il projetait d’agrandir l’espace vital allemand vers l’est au détriments des peuples slaves. Il l’a fait dans la brutalité qu’on connaît. La mention des Juifs n’est pas fréquentes dans l’ensemble de l’écrit. En tout cas il n’y a pas d’allusions à la solution finale qui ne sera décidée qu’à la conférence de Wansee en janvier 1942.

blum

Ce n’est vraiment pas la peine d’éditer « Mein Kampf », surtout s’il est en accès libre, sur internet.
Du reste, il suffit de se taper le coran. Il est en vente libre, sans annotations ni « appareil critique » ».
Cela ferait double emploi.
Ni l’un ni l’autre ne sont susceptibles de faire réfléchir les anti-juifs.
Notez bien que, par ailleurs, l’enseignement sur la shoah, largement dispensé , en Europe, ces dernières décennies, n’évitent nullement les agressions de toute sorte vis-à-vis des Juifs. Au contraire, semble-t-il.