Ernest Renan en son temps (3)

par Maurice Ruben Hayoun le 30.04.2020

Le caractère de mon père ne ressemblait nullement au sien. Mon père était plutôt doux et mélancolique. Il me donna le jour vieux, au retour d’un long voyage. Dans les premières lueurs de mon être, j’ai senti les froides brumes de la mer, subi la bise du matin, traversé
l’âpre et mélancolique  insomnie du banc de quart.

Dans toutes ces pages écrites avec tant de soin, dans son style désuet mais si beau des grands auteurs du XIXe siècle, Renan se penche sur son passé, mais il ne le fait pas de manière classique.

Il analyse, sans nous ennuyer, comment le petite Breton miséreux, issu d’une province oubliée, en marge du monde véritable, a pu conquérir Paris, fréquenter les puissants de ce monde et devenir une sotrte d’Himaya a de la culture et de l’érudition.

Chemin faisant, Renan évoque des personnalités soit de sa propre famille, soit de sa ville. Il montre aussi comment il a pu se raviser, changer d’avis sur telle ou telle autre figure de son environnement.

En fait, il évoque les grands bouleversements de son pays depuis la survenue de la Révolution. Il dit même avoir , à son âge mûr, été excédé par le tombereau de critiques envers ce grand événement historique qu’il jugeait jadis très sévèrement. Mais en constatant ce flot ininterrompu de critiques , il finit par s’écrier : on nous envie de posséder une telle chose…

Les changements politiques entraînent des divisions, des divergences d’opinion, jusques et y compris au sein d’une même famille. Et je parle de cela dans le pays de l’affaire Dreyfus qui a laissé des traces dans l’histoire politique du pays.

C’est ainsi que Renan évoque l’engagement de sa grand mère maternelle qui, au péril de sa vie, cachait chez elle des prêtres insermentés, qui récitaient la messe le soir, confinés chez elle. Un cousin excessivement patriote de cette même grand mère lui déclara un jour, en termes peu amènes, que si elle continuait dans cette voie, il n’hésiterait pas à la dénoncer…

Et quand on sait qu’une affidée de cette même grand’ mère, une certaine madame Taupin finit par être guillotinée pour les mêmes raisons, on a une idée du contexte politique et social de l’époque..

Un détail qui montre combien, des années après les faits, Renan a conservé une forte hostilité à l’égard de la hiérarchie catholique: lorsque le Directoire rétablit le culte, ce même prête que la grand’mère avait caché et hébergé chez elle, fut nommé dans une communauté proche de Lannion.

N’écoutant que son cœur et profondément heureuse de revoir ce compagnon d’infortune, elle prit sa fille par la main et se mit en route vers Lannion. Lorsqu’elle fut en présence de son ancien protégé, celui-ci fit preuve d’une excessive froideur : il s’adressa à elle, feignant de ne pas la reconnaître alors qu’ils avaient sous le même toit, pour ainsi dire ; et Renan ajoute ceci il la congédia après avoir échangé avec elle quelques mots, et sans même lui avoir proposé un verre d’eau…

On imagine la réaction de la noble dame qui, après avoir risqué sa vie pour la bonne cause, entreprit même un voyage afin de saluer ce prêtre qui représentait tant pour elle !

Et Renan y a de son commentaire peu amène mais Ô combien fondé : ce prêtre qui resta de glace semblait, par son attitude condamnable, dire ceci : Femme, croyez vous que cela suffise à créer des liens entre nous ? Vous n’êtes q’une femme, une simple femme et rien d’autre. Et comment pourriez vous représenter quelque chose pour moi  qui ai reçu mon ministère de Dieu ?

Cette anecdote a profondément blessé un Renan vieillissant ; presque au faîte de sa gloire et qui n’avait donc plus aucune raison de ménager une Eglise qui l’avant persécuté. Il est aussi possible que la proximité de cette femme dans le logis où elle cachait le prêtre ait développé une attirance secrè!te et un sentiment de culpabilité du dit prêtre… Encore une attaque silencieuse contre les vœux de chasteté et de célibat du catholicisme.

Les mêmes sentiments sont perceptibles lorsqu’il évoque le cas d’un étrange personnage que l’on finit par appeler Système car on en savait rien de lui et parce que lui même se tenait à l’écart de la population. Renan spécifie qu’il ne comprit vraiment e personnage
qu’après avoir lu La vie de Spinoza..

Cette évocation nous remet en mémoire ce qu’un penseur libre, un philosophe indépendant, a subi comme avanies de la part du culte établi, en l’occurrence de l’église catholique qui, à son époque, était connue par son cléricalisme abusif, du moins aux yeux d’un homme comme Renan.

Sans oublier le fanatisme de certains membres de la communauté juive locale. Les curés, nous dit l’auteur, ne l’aimaient point mais ils n’osaient pas s’en prendre à lui publiquement de peur de coaliser la population contre l’institution religieuse.

Et en effet, cet inconnu, vivant sous le seuil de la pauvreté, ne subsistait que par de menus travaux et surtout par des prêts de livres, jusqu’au jour, l’oukase ecclésiastique apparut : on se mit à brûler les livres qui ornaient sa riche bibliothèque.

Même le propre père de Renan ne dérogea pas à l’ordre ; il se débarrassa de certains livres, mais pas de tous, il conserva ceux qui lui parurent être les plus beaux.

Comme on peut le voir, Renan ne se concentre pas exclusivement sur sa personne ; il étend son intérêt à la sphère familiale et va encore plus loin puisqu’il se soucie aussi de la situation politique. Ses idées politiques nous sont bien connues ; il était monarchiste et jugeait que ce régime était le mieux adapté à la France.

Il s’était même présenté aux élections législatives par deux fois, et deux fois ce fut un échec ! Cet homme était voué à la science, et n’avait rien à faire en politique. C’est ce qu’il a appris à ses dépens par deux fois.

En revanche, il eut l’insigne honneur d’être élu à l’Académie française après avoir été le plus jeune membre de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres. Et puis, il y eut aussi l’élection comme administrateur général du Collège France qui en fit un personnage  membre d’un corps d’Etat…

En fait, il est passionnant de lire ces pages de Renan qui parlent de son environnement social et mettent ses réflexions en relation avec la situation politique. Il cite au moins deux dates dans ces Souvenirs… 1865 et 1875…

L’homme qu’on appelait Système par aimable dérision et aussi en raison de ses fréquents usages de ce terme, ressemble étrangement à Renan lui-même : lui aussi haïssait la superstition et la déclarait ennemie suprême de la raison.

A nouveau,  Renan s’en prend in petto à la pratique exégétique  de l’église. En effet, comme nous le verrons dans le texte portant sur Renan, exégète biblique, Renan a mis à mal certains dogmes de l’église catholique qui gisent pourtant au fondement de cette religion… Ce que nous dit Renan au sujet de la mort de ce fameux Système fait penser à la phrase d’André Malraux, en substance, après notre mort il ne reste de nous que de petits secrets.

A la mort de Système, le clergé acheta sa riche bibliothèque à vil prix et la fit détruire. Lorsque son enterrement fut passé, on chercha dans son misérable logis une lettre, un élément, un indice nous donnant la clef du mystère. On ne trouva rien, sauf peut-être quelque chose qui offrait une piste à suivre : dans un coin de la chambre un bouquet de roses desséchées, reliées par un ruban tricolore…

Après cette intrigante découverte, les gens supposèrent qu’il y avait derrière cela une belle mais triste histoire d’amour… Mais en dépit des traditions nationales bien connues (cherchez la femme !), on abandonna vite la piste sentimentale pour se replier sue le mystère présent dans la vie de tout homme, c’est-à-dire de chacun d’entre nous.
….(A suivre)

Maurice-Ruben Hayoun

Le professeur Maurice-Ruben Hayoun, né en 1951 à Agadir, est un philosophe, spécialisé dans la philosophie juive, la philosophie allemande et judéo-allemande de Moïse Mendelssohn à Gershom Scholem, un exégète et un historien français. il est également Professeur à  l’université de Genève. Son dernier ouvrage: Joseph (Hermann, 2018)

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