Pourquoi l’enseignement de la Shoah ne suffit pas à combattre l’antisémitisme aujourd’hui
Nous devons repenser l’histoire juive en passant d’une histoire de victimisation à une histoire de force, d’action et de contributions à la société mondiale.
par STEVE ROSENBERG
Face à la montée de l’antisémitisme, les écoles publiques, les organisations laïques et les institutions bien intentionnées se tournent souvent vers l’enseignement de la shoah comme principal outil pour lutter contre la haine envers les Juifs. Le raisonnement semble logique: en enseignant les atrocités de l’Holocauste – le pire massacre d’êtres humains de l’histoire moderne – les élèves et le grand public comprendront les dangers des préjugés et l’impératif moral de lutter contre l’antisémitisme.
L’enseignement de la Shoah est certes essentiel, mais elle ne suffit pas. Pire encore, dans certains cas extrêmes, elle peut se retourner contre eux et enhardir ceux qui nourrissent déjà une haine envers les Juifs.
Nous devons faire face à une vérité dérangeante: l’enseignement de la Shoah à lui seul ne parvient pas à trouver un écho auprès de nombreuses personnes aujourd’hui. Pour lutter efficacement contre l’antisémitisme, une stratégie plus large et plus globale est nécessaire. Cette stratégie doit compléter l’enseignement de l’Holocauste par des approches modernes qui font le lien avec l’histoire juive, le rôle et l’importance d’Israël et les expériences vécues par les Juifs aujourd’hui. Nous avons besoin d’un cadre plus innovant et plus efficace pour lutter contre l’antisémitisme, en soulignant les limites de l’enseignement de la Shoah et en proposant des solutions.
L’enseignement de la Shoah se concentre sur un événement singulier de l’histoire juive: l’extermination systématique de six millions de Juifs par l’Allemagne nazie. Si la gravité de cet événement ne peut être surestimée, cette approche étroite dépeint souvent l’histoire juive comme une histoire de victimisation et d’impuissance. Ce récit ne parvient pas à susciter l’empathie ou la compréhension chez ceux qui ne s’identifient pas déjà aux victimes. Pire encore, à l’ère numérique, l’enseignement de la Shoah peut amplifier les idéologies haineuses. Les forums en ligne regorgent de négation, de déformation et de glorification de l’Holocauste, transformant ce qui devrait être des leçons de morale en matière d’extrémisme.
Une étude réalisée en 2021 par la Conference on Jewish Material Claims Against Germany a révélé des lacunes alarmantes dans les connaissances sur l’Holocauste chez les jeunes Américains. Environ 63 % des jeunes ne savaient pas que 6 millions de Juifs avaient été tués pendant l’Holocauste, et près de la moitié d’entre eux ne pouvaient pas nommer un seul camp de concentration. Ces chiffres mettent en évidence un problème clé : même lorsque l’enseignement de la Shoah est mis en œuvre, il est souvent superficiel et ne parvient pas à contextualiser l’histoire plus large de l’antisémitisme ou sa pertinence aujourd’hui.
Lorsque des incidents antisémites se produisent, la réponse réflexive consistant à introduire l’enseignement de la Shoah rate son objectif. Elle suppose que l’enseignement des atrocités passées empêchera la haine actuelle – une hypothèse erronée. Au lieu de cela, nous avons besoin d’une approche plus holistique qui relie l’Holocauste à un continuum de résilience, de culture et de contributions juives, tout en s’attaquant aux mythes modernes et à la désinformation sur les Juifs et Israël.
L’antisémitisme n’a pas commencé avec Adolf Hitler et n’a pas pris fin en 1945. La haine des Juifs s’étend sur plusieurs siècles et continents, et prend diverses formes : religieuses, économiques, raciales et politiques. De l’expulsion des Juifs d’Espagne en 1492 aux pogroms d’Europe de l’Est au XIXe et au début du XXe siècle, les communautés juives ont été confrontées à une oppression systémique bien avant l’Holocauste. Enseigner cette histoire permet de contextualiser l’Holocauste comme un chapitre d’une histoire beaucoup plus longue de survie et de résilience juives.
Prenons par exemple l’affaire Dreyfus, qui s’est déroulée à la fin du XIXe siècle en France, où Alfred Dreyfus, un officier juif de l’armée, a été faussement accusé de trahison. Cette affaire a révélé l’antisémitisme profondément ancré dans la société française et a influencé l’appel de Theodor Herzl à la création d’un État juif. Ou encore le Farhud de 1941, un violent pogrom contre les Juifs à Bagdad, qui souligne la manière dont l’antisémitisme s’est propagé au-delà de l’Europe. En intégrant ces histoires dans des cadres pédagogiques, nous pouvons aider les gens à comprendre que l’antisémitisme est un problème mondial et durable qui ne se limite pas à l’Allemagne nazie.
Pour compléter l’enseignement de la Shoah, les élèves doivent également se familiariser avec l’histoire et l’importance d’Israël. Israël n’est pas seulement un État politique ; c’est l’aboutissement de millénaires d’aspiration juive à une patrie. Le lien des Juifs avec Israël remonte à des milliers d’années, enraciné dans l’histoire biblique et maintenu à travers l’exil et la diaspora. Pourtant, dans le discours polarisé d’aujourd’hui, Israël est souvent présenté à tort comme un oppresseur, ce qui alimente les discours antisémites.
L’éducation doit mettre l’accent sur la façon dont Israël incarne la résilience et l’autodétermination juives. Il est essentiel de mettre en valeur la diversité de la société israélienne, où les Arabes vivent librement, participent à la démocratie, possèdent des entreprises et siègent à la Knesset. Par exemple, Mansour Abbas, un homme politique arabe israélien, dirige le parti Ra’am et a exercé une influence considérable sur la politique israélienne. De même, les citoyens arabes d’Israël excellent dans divers domaines, du sport à la médecine, remettant en cause le faux récit selon lequel Israël est un État d’apartheid.
Mettre en lumière ces réalités permet de contrer la désinformation qui alimente souvent l’antisémitisme, notamment sur les campus universitaires et via les réseaux sociaux. Cela permet également de recadrer l’histoire juive, de la victimisation à la force, à l’action et aux contributions à la société mondiale.
Pour que l’antisémitisme soit pertinent pour un public plus large, il est essentiel de le relier à des valeurs et des luttes universelles. Par exemple, l’antisémitisme est souvent qualifié de « canari dans la mine de charbon » de la haine sociale : lorsque les Juifs sont pris pour cible, d’autres groupes minoritaires suivent souvent. En le présentant comme un baromètre du déclin social plus large, les éducateurs peuvent aider le public non juif à considérer la lutte contre l’antisémitisme comme leur combat également.
De plus, pour lutter contre l’antisémitisme dans un contexte moderne, il faut démystifier des mythes omniprésents, comme celui selon lequel les Juifs exerceraient un pouvoir ou une influence disproportionnés. Perpétrés par des personnalités de tout l’éventail politique, ces mensonges alimentent l’antisémitisme contemporain et doivent être combattus directement. L’éducation doit permettre aux élèves de reconnaître et de remettre en question ces stéréotypes, qu’ils apparaissent dans les médias, en politique ou dans les conversations quotidiennes.
Pour ce faire, nous avons besoin d’une approche globale qui intègre les éléments suivants :
-Éducation historique élargie : Enseigner la longue histoire de l’antisémitisme, des préjugés anciens aux manifestations modernes, à travers différentes cultures et régions.
-L’histoire d’Israël : mettre en lumière l’histoire, la diversité et les contributions d’Israël à la société mondiale. Montrer comment Israël illustre la résilience juive et contrecarre les discours d’oppression.
– L’antisémitisme contemporain : Aborder la manière dont l’antisémitisme opère aujourd’hui, des théories du complot à l’activisme universitaire. Doter les étudiants des outils nécessaires pour le reconnaître et l’affronter.
– Contributions juives : célébrer les réalisations culturelles, scientifiques et artistiques du peuple juif à travers l’histoire. Déplacer l’accent du statut de victime vers la vitalité.
-L’enseignement de l’Holocauste dans son contexte : Continuez à enseigner l’Holocauste, mais en l’inscrivant dans le cadre plus large de la persévérance juive. Utilisez les témoignages de survivants pour humaniser l’expérience et la relier aux problèmes actuels.
-Actions interconfessionnelles et interculturelles : Établir des partenariats avec d’autres groupes minoritaires pour relever des défis communs. Souligner l’interdépendance de la lutte contre la haine sous toutes ses formes.
-La lutte contre l’antisémitisme ne se limite pas à la commémoration : elle exige de la compréhension, de l’action et le courage de faire face à la haine sous toutes ses formes. Ce n’est qu’en dotant les gens des connaissances et des outils nécessaires que nous pourrons espérer garantir un avenir sans ce fléau.
Les opinions et faits présentés dans cet article sont ceux de l’auteur, et ni JNS ni ses partenaires n’assument aucune responsabilité à leur égard.
STEVE ROSENBERG
Steve Rosenberg est le directeur du GSD Group et le président du conseil d’administration du Philadelphia Jewish Sports Hall of Fame. Il est l’auteur de Make Bold Things Happen: Inspirational Stories From Sports, Business and Life.
JForum.fr avec www.jns.org
Une exposition sur les trains de la Seconde Guerre mondiale, enseignant des leçons sur l’Holocauste, est présentée dans tout le pays. Crédit : avec l’aimable autorisation de Hate Ends Now.