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Du dialogue interreligieux…

Commençons par deux citations pour traiter ce sujet ; la première est d’Ernest Renan (ob. 1892) auquel on demandait si Dieu existait. Il répondit par une inimitable pirouette dont il avait le secret : Pas encore!

C’est une des perles les moins connues du «renanisme», ce qui signifie que l’auteur de La vie de Jésus se laisse toujours une petite porte par laquelle il peut fausser compagnie à ses contradicteurs et à ses détracteurs : les deux étaient souvent les mêmes…

La seconde citation provient de Franz Rosenzweig (ob. 1929), l’auteur de L’étoile de la rédemption (1921) : Dieu a, certes, créé le monde mais il n’a créé aucune religion…

C’est au sein de ces deux spéculations, initiées par deux hommes éminents, que je vais développer le sujet de l’interreligieux.

On doit d’abord dire que cette notion de dialogue au sein même des systèmes de croyance et de l’histoire du salut, est de naissance récente. Car durant de longs siècles, les religions se distinguaient plus par leur haine que par leur amour de l’Autre.

Les religions n’étaient pas des institutions de paix mais de guerres, d’où les guerres de religion qui ensanglantèrent toute l’Europe au cours du XVIIe siècle, avec l’irruption, un bon siècle auparavant, de la Réforme et sa violente contestation du dogme du culte établi.

C’est la paix d’Augsbourg qui mir fin à la guerre de trente ans qui laissa notre continent européen dans un état exsangue. Et puis, bien avant, il y eut les croisades qui utilisèrent des motivations religieuses (récupérer le saint Sépulcre) pour masquer des mobiles moins avouables.

Peut-être, mais c’est loin d’être certain, faudrait-il excepter les guerres menées au nom du monothéisme contre le polythéisme et l’idolâtrie ; étaient elles vraiment légitimes et vertueuses puisqu’elles visaient des peuples qui avaient d’autres traditions que celles du judaïsme, du christianisme et de l’islam ?

Aujourd’hui, ce n’est plus très sûr et l’on reparle avec honte et tristesse des massacres des peuples amérindiens par les Espagnols, et le tout au nom du Christ, présenté comme un Dieu d’amour et de miséricorde.

Jusqu’à la Réforme et un peu au-delà, ne pas avoir de religion, être athée, ou ne pas pratiquer le culte établi dans toute l’Europe chrétienne, était un véritable crime qui expulsait de la société civile et de l’Etat de droit.

Ce fut le cas des communautés juives sur le sol européen, qui ne reçurent l’égalité des droits qu’après la Révolution française et même certains acquis furent repris après l’échec des révolutions de 1848.

Il faut signaler ici les efforts de Moïse Mendelssohn (1729-1786) qui rédigea une excellente préface à la traduction des Vindiciae judeorum du rabbin amstellodamois Manassé ben Israël, que j’ai traduite de l’allemand il y a quelques années ; il y expliquait que l’Etat devait être neutre à l’égard de l’appartenance religieuse de tous ses citoyens et plaidait en faveur d’un découplage entre les fonctions occupées et la religion pratiquée…

Plus tard, en 1783, trois ans avant sa mort, il rédigea sa dernière œuvre intitulée Jérusalem ou pouvoir religieux et judaïsme où il plaidait pour une laïcité générale, avant la lettre. L’objectif était, à ses yeux, de faire coïncider le combat en faveur des droits des juifs avec les droits de l’Homme, en général.

Mais ce message resta lettre morte et l’Europe chrétienne (car c’est bien d’elle qu’il s’agit) continua sur sa lancée, comme elle l’avait fait avec Baruch Spinoza, le premier penseur moderne à avoir quitté officiellement la religion dans laquelle il était né sans adhérer à une autre. Eh bien, près de deux siècles après sa mort, on continua d’exécrer le spinozisme.

La question de fond qui sous-tend ce problème du dialogue entre les religieux est de s’interroger sur l’essence de la foi : une foi peut elle en supporter une autre, qui prospérerait à ses côtés, sous les mêmes latitudes ?

En d’autres termes, ne sommes nous pas condamnés à penser salus extra ecclesiasm non est (Hors de l’église, pas de salut). On dit qu’il s’agit d’un apocryphe célèbre et qui a la vie dure, il demeure que souvent (l’affaire Calas, l’affaire Finaly), certains s’en sont servis pour justifier l’injustifiable. Et je ne cite même pas la terrible injonction qui dit : Force les à rentrer (intrare)(zwänge sie hinein), ce qui est un appel éhonté à la conversion forcée.

Comment faire une place, si réduite soit-elle, à une autre foi qui revendiquerait au moins la même part de véridicité que la nôtre ? Ce fut un long et pénible combat au terme duquel on a fini par se laisser convaincre que les religions devaient enfin devenir des facteurs de paix et non des fauteurs de troubles ou de guerres.

Dans ce domaine aussi, Renan fut un précurseur : il dit spécifiquement que pour s’accommoder de l’existence légitime d’une autre religion, il ne faut pas croire absolument en la sienne propre, faute de quoi on ne pourra jamais cohabiter avec d’autres gens, d’autres cultures, d’autres gens ?

Ce dialogue interreligieux a, depuis les origines, concerné principalement les juifs et les chrétiens. Issus du même tronc, séparés par un terrible divorce qui fut jalonné par deux millénaires de persécutions sanglantes, judaïsme et christianisme finirent par comprendre, au terme de la seconde guerre mondiale et de la Shoah, qu’il était temps de se parler, de se comprendre, même si on ne pouvait pas encore s’aimer, quand bien même le Christ recommande dans les Évangiles, d’aimer même son ennemi !

L’église est la fille –rebelle- de la synagogue, mais elle sut se pencher sur son passé et ausculter ses racines juives. En outre, cette saignée à blanc que fut la Shoah a profondément touché les meilleurs fils de la chrétienté.

Ainsi eut lieu en 1948 la conférence de Seelisberg (Suisse) qui adopta dix points, censés assurer les fondements du dialogue interreligieux.

Un homme admirable, un juif de France, grand historien de son temps, Jules Isaac, fut le premier à créer un groupe de dialogue judéo-chrétien. Le personnage est un peu ambigu dans son action, mais sa démarche est parfaitement cacher.

Et c’est à lui qu’on doit cette merveilleuse mention du judaïsme dans la déclaration finale de Vatican II, Nostra Aetate On peut dire que le cœur de l’église catholique, cette hyperpuissance des esprits et des cœurs de plus d’un milliard et demi d’hommes et de femmes, a fini par battre dans le bon sens.

Tout en affirmant haut et fort son attachement à son crédo, et sans abandonner son zèle missionnaire (que le grand rabbin Jacob Kaplan qualifia, en son temps, de pillage des âmes), l’église admettait la légitimité de la foi juive, que la nouvelle alliance ne frappait pas l’ancienne de caducité et que Dieu aimait encore son peuple, ce peuple d’où l’église elle-même était issue.

On le voit, la chose n’est pas aisée, il faut naviguer entre de multiples écueils qui sont là depuis deux millénaires. La science historique et la philologie ont fortement contribué à cette nouvelle approche.

Les principaux thèmes théologiques n’ont pas été résolus, mais le seront ils un jour ? Ce serait alors vraiment l’avènement de l’époque messianique. Mais un pas a été franchi, un pas d’une importance cruciale : on est passé du mépris à l’estime. Et les relations se sont radoucies entre juifs et chrétiens.

Mais cette affaire ne concerne vraiment depuis 70 ans que les Juifs et les Chrétiens : quid de l’islam ?

Vatican II a mentionné l’islam mais, comme le notait avec sagacité l’ancien chef de la curie romaine, son éminence la cardinal Sodano, le vrai débat a lieu entre les fils de l’alliance, les relations avec la troisième religion abrahamique se limitant à des échanges culturels de politesse (sic).

Mais depuis quelques années on se trouve confronté à une situation nouvelle, celle créée par l’apparition de l’islamisme et l’Etat Islamique qui a laminé en peu de temps la présence chrétienne dans le Moyen Orient, alors que ce fut sur cette même terre que le christianisme fit ses premiers pas.

Peut on espérer un dialogue interreligieux avec l’islam ? C’est souhaitable mais il faut des partenaires sérieux et représentatifs. C’est tout le problème. Pour parler de religion avec autrui, il ne faut pas croire que seule, la sienne, existe et détient par devers elle toute la vérité. Le dialogue inter religieux et l’exclusivisme religieux s’excluent mutuellement.

Si les Juifs et les Chrétiens sont parvenus à quelques résultats dans ce domaine de l’entente et du dialogue, c’est parce qu’ils ont procédé chez eux à trois mesures, condition sine qua non pour parler et échanger sur un pied d’égalité : bannir l’exclusivisme religieux, procéder à la critique textuelle des textes révélés ou prétendus tels et, dernier mais non moindre, accorder aux femmes les mêmes droits et les mêmes devoirs.

Il reste encore beaucoup de travail.

Maurice-Ruben Hayoun

Le professeur Maurice-Ruben Hayoun, né en 1951 à Agadir, est un philosophe, spécialisé dans la philosophie juive, la philosophie allemande et judéo-allemande de Moïse Mendelssohn à Gershom Scholem, un exégète et un historien français. il est également Professeur à  l’université de Genève. Son dernier ouvrage: Joseph (Hermann, 2018)

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