Appauvries par l’exil et la sécheresse, des familles afghanes se disent réduites à vendre leurs filles en mariage. Si le phénomène n’est pas complètement nouveau, son augmentation apparente inquiète.

Elle a les cheveux en bataille rougis par le henné. Ses yeux verts pétillent quand elle sourit et sa bouche dévoile des dents d’adulte qui n’ont pas encore fini de pousser. Si ce n’est de la crasse recouvrant ses pieds nus dans les déchets qui encombrent le sol de terre battu, Habiba a tout d’une fillette de sept ans comme on les connaît.
Zulmaï, son père, était policier au sein de l’armée nationale afghane. Un travail dont il était fier. Cependant, quand il a compris que le gouvernement allait s’effondrer, il l’a abandonné.
Je ne gagne plus d’argent du tout, soupire l’homme à la peau burinée par des années d’exposition au soleil brutal du sud de l’Afghanistan.
Zulmaï a perdu sa maison et s’est installé dans un camp de déplacés avec sa famille. Quelques rideaux, des murs de terre et un peu de paille leur servent d’abri. Pour survivre, l’homme s’est enfoncé dans les dettes.

Le père d’Habiba, Zulmaï, était policier au sein de l’armée nationale afghane. Quand il a compris que le gouvernement allait être renversé par les talibans, il a abandonné son travail. Il est ici accompagné de ses deux filles.PHOTO : RADIO-CANADA / MARIE-EVE BÉDARD
Il doit 8500 dollars à une famille qui exige maintenant le remboursement. C’est son droit, dit-il, mais il n’a pas d’argent. Il a donc offert en mariage au fils de ses créanciers sa cadette, Habiba.
La famille dit que c’est mieux qu’elle s’installe déjà chez eux pour travailler au lieu de ne rien faire chez moi, mais je leur réponds qu’elle est trop petite pour travailler.
Habiba s’accroche à la chemise de son père pour y enfouir son visage quand elle l’entend. Zulmaï lui a dit ce qui lui arrivait, sans pour autant lui expliquer le détail de tout ce que signifie le mariage.
Elle sait et elle me dit qu’elle ne veut pas y aller, elle est trop petite. Vous voyez comme elle m’aime.

La plupart des quelque 300 personnes qui vivent dans un camp de misère en plein cœur de Kandahar ont été déplacées de la province de Badghis par les combats des dernières années et la pauvreté. Le petit lot de terre occupé est délimité par une montagne de poubelles qui pourrissent au soleil. L’odeur vous prend à la gorge.

Notre vie entière, c’est ces déchets. Nous les fouillons pour pouvoir vendre le plastique et le métal que nous trouvons pour survivre, dit Ghuncha Gul.
Lui n’a que des garçons. Et il compte sur eux pour travailler dans les monticules nauséabonds tous les jours. Un travail dégradant, mais honnête, insiste Ghuncha Gul. Ce qui n’a pas empêché les talibans d’arrêter un de ses fils il y a une semaine. Plutôt que de le relâcher, ils ont demandé à son père de le leur laisser, pour qu’il puisse faire l’école coranique.
Ils m’ont dit qu’ils le garderaient à la madrassa et qu’il pourrait rentrer nous voir une fois par semaine.
Mais c’est à manger que ses enfants réclament, explique Ghuncha Gul. Et pour cela, le père a besoin de toutes leurs petites mains au travail.
On ne fait que regarder la vie passer, il n’y a rien ici, se lamente Zar Bibi, couverte d’une burqa bleue cernée de taches. On ne vaut rien pour les talibans, pourquoi nous aideraient-ils?
Le mari de Zar Bibi a également contracté une dette de plusieurs milliers de dollars auprès de parents éloignés. Un emprunt qu’il faut éponger. Sa fille Rukia, huit ans, fera office de paiement. Qu’elle soit à des années de la puberté ou pas, sa mère dit ne pas avoir le choix.
« Je dois la leur donner, c’est une obligation. Il n’y a pas d’autre solution. »
— Une citation de  Zar Bibi, mère de la petite Rukia, 8 ans
Assise à ses côtés, Rukia ne peut s’empêcher de sourire et de ricaner. Elle ne se doute pas une seconde de ce qui l’attend et ne prête aucune attention à la conversation des adultes autour d’elle.

Si je le lui dis, elle ne l’acceptera pas. Mais quand ils viendront pour ma fille, je la leur donnerai, qu’elle le veuille ou non, dit sa mère. À huit ans, c’est impossible qu’elle en soit heureuse. 
Le moment venu, Zar Bibi va mentir à Rukia. Elle lui dira qu’elle part vivre chez un oncle qu’elle n’a jamais rencontré. Ce qui lui arrivera après ne sera plus de son ressort, dit-elle. Je ne sais pas du tout comment elle réagira là-bas. Bien sûr qu’elle est trop jeune pour comprendre sa situation. Je suis certaine qu’elle va pleurer et ne pourra pas accepter son sort.

Il n’y a pas d’âge minimum légal pour le mariage en Afghanistan, histoire de ne pas interférer avec les affaires familiales. Cela n’a pas empêché les talibans de publier un décret fixant le montant maximal qu’on peut payer pour une jeune fille. Un peu plus de l’équivalent de 5000 dollars canadiens : voilà ce que peut valoir une jeune promise, selon le décret. Avant l’arrivée au pouvoir des talibans, l’âge minimum légal du mariage était fixé à 16 ans.
Selon un rapport publié par l’UNICEF en 2018, 28 % des femmes âgées de 18 à 49 ans ont été mariées avant l’âge de 18 ans. L’organisme s’inquiète d’une augmentation marquée de ce fléau au cours des derniers mois.
Quand on demande à Abdul Rahman combien d’enfants il a, il répond spontanément sept. Sept garçons, précise-t-il. Puis, il se ravise : il a aussi trois filles. Trois d’entre eux sont des filles, et sept sont des garçons. C’est ma fille, dit-il, désignant Salia d’un geste.
La petite a le visage parsemé de discrètes taches de rousseur qui lui donnent un air espiègle et a les yeux maquillés de noir.

Sous la tente qui leur sert de maison, elle récite des versets du Coran. Quelques fois par semaine, Salia peut se rendre à l’école religieuse pour filles près du campement. Ce sont les seules écoles ouvertes, dit sa mère. Elle y apprend à réciter le Coran, mais elle ne sait pas le lire. Les matières de base ne sont pas au programme.
Quand on lui demande ce qu’elle aimerait, Salia répond timidement qu’elle voudrait apprendre à écrire. Un rêve tout aussi simple qu’inaccessible. Son père l’a vendue dans le village d’où il s’est enfui, criblé de dettes lui aussi.

Nous n’avons pas d’excuse pour notre fille. Le père et la mère sont à blâmer, pas elle. Pourquoi faut-il que ses parents la donnent comme ça? C’est impossible de négocier. Il faut payer ses dettes, affirme Abdul Rahman.
À ces petites filles qui seront femmes sans jamais vraiment avoir été enfants, on ne doit apparemment rien du tout.

Radio-Canada

 

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Yossef

Je vous laisse méditer cela dans le journal ‘Courrier International, il y a un article sur le fait, que certains gazaouis ne peuvent s’entraîner pour et participer à des concours de musculation en raison du blocus israélien. Il serait bien, que vous transmettiez cet article sur ces pauvres petites afghanes a Courrier International.

Schlemihl

La gauche, enfin ce qu’ on appelle la gauche, ne s’ intéresse pas à l’ Afghanistan, ni à Gaza non plus d’ailleurs. Elle s’ intéresse aux juifs.