Chute du mur de Berlin: la fin de l’histoire n’a pas eu lieu

De l’espoir aux désillusions

Il y a 30 ans, le mur de Berlin s’effondrait et un vent d’optimisme soufflait, à tort.

Attachement des peuples à leurs identités, retour de l’islam politique, effet pervers de la mondialisation marchande, effacement des classes moyennes occidentales, méfiance envers la technocratie supranationale : autant de réalités dont aucun analyste de la fin du bloc communiste n’avait prophétisé l’émergence après la chute du mur de Berlin. Ce sont pourtant sur elles que se sont fracassées nos illusions nées de la fin de la Guerre froide.

Prophètes de bonheur

Il y a trente ans, l’impensable se produisait : le mur de Berlin s’effondrait. Cet événement qui clôturait de façon heureuse le siècle des totalitarismes, semblait porter des promesses prodigieuses. Pour quelles raisons n’ont-elles pas été tenues ? L’Europe, et l’Occident en général, ont-ils pris leur cas pour une généralité ? Avons-nous cru trop facilement sur l’instant, portés par le vent d’optimisme qui soufflait en provenance de l’est du continent, à l’avènement de la fin de l’histoire et de ses cortèges de malheurs et de larmes ?

L’erreur serait, trente ans plus tard, de sous-estimer l’importance de l’événement. Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, l’Europe était coupée en deux. A la suite de la conférence de Yalta, l’URSS avait fait main basse sur sa moitié orientale. L’édification du mur de Berlin symbolisait cette partition contre-nature.

L’effondrement des régimes communistes, satellites du « grand frère » soviétique, marquait en 1989 la fin anticipée du XXème siècle qu’avaient balafré, sur notre continent, deux guerres mondiales et deux totalitarismes.

Un vent d’optimisme souffla alors sur l’Occident. Le philosophe américain Francis Fukuyama théorisait, dans son livre La Fin de l’histoire, le triomphe définitif des démocraties libérales. Le monde entier allait se rallier au modèle politique et économique occidental.

Dans un registre similaire, après la première guerre du Golfe, George Bush père annonçait l’avènement d’un « nouvel ordre mondial », sorte d’avatar de la pax americana. Trente ans plus tard, où en sommes-nous de ses projections optimistes ?

Le retour par la grande porte de la question religieuse

La fin de l’histoire n’a pas eu lieu. Chassé par des occidentaux trop sûrs d’eux-mêmes, le tragique est revenu par la fenêtre. Par un matin de septembre 2001, il s’est abattu sur New-York.

L’attentat du Word Trade Center fut l’événement inaugural du 21ème siècle, comme août 1914 avait été le prélude du siècle précédent. L’utopie d’une mondialisation heureuse avait vécu.

Avec cet attentat sanglant d’une ampleur inédite, la question religieuse faisait un retour fracassant sur la scène internationale. En 1989, ils étaient nombreux à penser que l’humanité avait surmonté les dissensions liées aux croyances, que le progrès avait relégué celles-ci au magasin des accessoires de l’histoire.

Les différences religieuses allaient prendre le même chemin irénique et pacifiste que le consensus politique libéral dont les élites occidentales saluaient l’épiphanie sous les vivats des foules énamourées et de leurs rejetons biberonnés à Erasmus. Il fallut déchanter.

Sortant d’une léthargie pluriséculaire, l’islam s’invitait sur le théâtre géopolitique mondial. Quelques années plus tôt, la révolution iranienne aurait déjà dû nous mettre la puce à l’oreille.

Mais la puissance aveugle : l’Occident, maître de la mondialisation économique et projetant ses problématiques sur le reste du monde, n’avait pas remarqué que l’accession de l’ayatollah Khomeiny au pouvoir marquait un tournant chez les peuples dont les régimes se voulaient indépendants à la fois de l’Est et de l’Ouest.

Depuis 2001, la question de l’islam politique est devenue une obsession majeure pour les diplomaties comme pour les peuples européens. Ceux-ci étaient devenus, depuis 1945, soit des athées pragmatiques à l’Ouest, soit des athées contraints par des régimes militants à l’Est. Le sursaut de l’Islam prit tout le monde de court.

Fin de la mondialisation heureuse

En consacrant le libéralisme démocratique et libre-échangiste, la chute du mur de Berlin véhicula également l’illusion de la convergence des mondialisations politique et économique.

Trente ans plus tard, il faut rabattre de ces espérances. La mondialisation marchande a accéléré l’émergence, dans le jeu économique, de pays qui veulent leur part du gâteau mais qui n’entendent pas pour autant se rallier au modèle politique occidental. Ces pays, animés d’une volonté farouche de laver des siècles d’humiliation et de pauvreté, sont, pour certains d’entre eux, des mastodontes démographiques (Inde, Chine, Bangladesh), auxquels  il faut ajouter les « tigres » asiatiques très dynamiques (Corée du Sud, Vietnam, Singapour, et tous les autres), ainsi que les pays sud-américains.

L’axe du monde se déplace vers le Pacifique, ce qui n’arrange pas les affaires de l’Europe. Devra-t-elle se contenter d’un soft power culturel ? Après avoir dominé le monde pendant des siècles depuis la Renaissance, ce serait une maigre consolation, et une blessure narcissique de premier ordre. Là encore, le vent d’optimisme de 1989 semble bien loin !

Car le déclin relatif de l’Europe ne concerne pas seulement la dimension géopolitique. Il se répercute également au niveau économique.

Dans ce domaine, la mondialisation a propulsé la Chine, devenu l’atelier du monde, à la première place, au coude à coude avec les Etats-Unis. Le libre-échangisme, en mettant en concurrence (déloyale, car les droits sociaux ne sont pas les mêmes dans tous les pays) les travailleurs des différents pays les uns avec les autres, a appauvri la classe moyenne de l’Amérique du Nord et de l’Europe occidentale.

Contrairement aux prévisions, ce libre-échangisme, que les prophètes de bonheur présentaient en 1989 comme le bras économique de l’hégémonie culturelle « douce » de l’Occident, a été le catalyseur de la déchéance des classes moyennes de celui-ci. Or, ces classes moyennes étaient le soutien de toujours de ses régimes démocratiques, comme l’a montré Christophe Guilly.

C’est ainsi que la concurrence faussée, liée au mondialisme économique, fit le lit de ce que l’on a appelé le « populisme ». Depuis, la défiance des peuples envers les classes dirigeantes, qui leur avaient vendu le libre-échange comme le sésame de leur prospérité, n’a cessé de grandir.

Certes, le libéralisme a bien enrichi l’Occident, mais c’était avant l’entrée en scène des « pays émergents » (ancienne dénomination des puissances qui font maintenant jeu égal avec les ténors européens, japonais et américains). Les cartes sont maintenant rebattues.

La chute du mur n’a pas abattu les frontières

Enfin, la prophétie d’un monde pacifié et sans frontières a été démentie elle aussi dans les décennies suivantes. Un instant, la chute du mur de Berlin laissa entrevoir la perspective d’un monde dénué de conflits et de barrières de toutes sortes.

Trente ans plus tard, les frontières sont de retour, et avec elles les identités. A l’Est de l’Europe, les peuples renouent avec les traditions qui leur permirent jadis de résister au rouleau compresseur communiste et auxquelles ils sont redevables de leurs libertés recouvrées.

A l’Ouest de notre continent, un vent de fronde souffle contre les élites qui voudraient uniformiser les peuples avec les gourdins du Droit, du Marché et du Surmoi d’un Vivre-ensemble sur l’autel duquel il faudrait immoler tous les démentis que lui oppose la réalité. Ce que l’on appelle le « populisme » est une révolte à la fois contre le déni des identités nationales et contre la perte de souveraineté des peuples au profit d’entités transnationales et technocratiques sans légitimité démocratique.

Décidément, l’irénisme qui suivit la réunification européenne à la suite de l’effondrement du bloc communiste semble bien loin !

Source: www.causeur.fr

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