Le Professeur Maurice-Ruben HAYOUN est un auteur prolifique et des plus ouverts sur son temps. Il peut aussi bien nous parler d’Emmanuel Levinas, du Golem de Gustav Meyrink comme nous donner son sentiment sur la politique nationale et internationale. Ici même, sur JForum, il nous a ainsi livré de très beaux textes.

Autre exemple de sa capacité d’adaptation, il profite de son séjour à New York pour écrire plusieurs chroniques, que nous avons le plaisir de retranscrire ici.

Voici la septième de ces chroniques (pour lire les six premières : Chroniques New Yorkaises : Pessah à New York, Chroniques New Yorkaises II par Maurice-Ruben HAYOUN©Chroniques New Yorkaises III par Maurice-Ruben HAYOUN©Chroniques New Yorkaises IV par Maurice-Ruben HAYOUN©Chroniques New Yorkaises V par Maurice-Ruben HAYOUN©) et Chroniques New Yorkaises VI par Maurice-Ruben HAYOUN©


Un vendredi soir à la Park Avenue Synagogue

Vendredi peu avant 18 heures : Danielle et moi sommes prêts pour nous rendre à la synagogue de Park Avenue qui est tout près, 10 minutes de marche à  pied. Nous hésitons quelques instants sur l’adresse mais opportunément un taxi s’arrête et en descendent les membres d’une même famille qui viennent prier.

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18h35 : nous franchissons le portail de la synagogue. Mon attention est attirée par l’absence de toute garde armée statique. A l’intérieur, on nous prie seulement de laisser nos portables à l’extérieur. Cela tombe bien, car nous n’en avons pas sur nous.

Une voix féminine qui déclame les Psaumes du chabbat nous accueille : j’avais pourtant cru que cette synagogue était conservatrice, mais je dois me rendre compte que conservatrice ne veut pas dire nécessairement orthodoxe… Car, dans le talmud, il est bien écrit au sujet des femmes et de la prière Qol ba isha erwa : la voix d’une femme est une nudité.

Park Avenue Synagogue - New York City
Park Avenue Synagogue

Il est donc assez risqué de leur faire chanter des Psaumes le vendredi soir dans une synagogue. En ce qui me concerne, je n’en prends pas ombrage, car je considère, sans démagogie, que la place dans la femme dans le culte juif doit être réévaluée.

Cette PAS (c’est son diminutif actuel) est bien organisée puisque dès que nous entrons, on nous remet un dépliant narrant l’historique de l’institution.  Elle fut fondée en 1882. L’architecture est belle, quoiqu’un peu baroque, voire surchargée, avec des lumières très vives. Mais le public – un gros tiers des places est occupé – semble apprécier, et notamment ce petit orchestre qui accompagne la cantatrice – je veux dire la ministre officiante -, un batteur, un guitariste, un pianiste, etc…

Certes, on peut se réclamer de la harpe du roi David et dire que deux millénaires de persécutions ont conduit le judaïsme a se faire plus discret.

Le rabbin commence par faire venir à lui les jeunes qui viennent de célébrer leur bar mitsva – leur majorité religieuse. Ensuite, il fait réciter un kaddish par les fidèles qui sont en deuil. C’est après que l’on renoue avec la prière – pardon ici il est de bon ton de dire : le culte (en bon anglais : to worship). On lit à haute voix le Shema Israël, du moins la première partie, revenant aux fidèles le soin de compléter le reste à voix basse. On se lève pour la amidah, de même que le rabbin prie les endeuillés de se lever lors du kaddish.

En gros, rien de révolutionnaire, mais un enrichissement pour moi quant au champ sémantique du conservatisme judaïque. Un détail : tous les hommes portent la kippah à la synagogue. C’est déjà ça…

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J’ai tenu à me rendre à ce service religieux car, comme vous le savez probablement, j’ai écrit un livre sur Le judaïsme libéral, mais aussi, il y a quelques années, un Que sais-je ? sur La liturgie juive. Et vu l’indigence du judaïsme libéral et réformé d’aujourd’hui, je me suis focalisé sur les racines allemandes de cette même tendance religieuse au sein du judaïsme. Et je dois dire qu’aux premières décennies du mouvement, quelle richesse, que de contenu, que de densité !Résultat de recherche d'images pour "maurice ruben hayoun"


Je suis partagé entre deux tendances contradictoires : d’une part, je crois en l’évolution du processus historique auquel rien n’échappe et d’autre part, je suis hésitant face à des aménagements arbitraires venus de personnes non autorisées, non qualifiées, ni par leur savoir ni par leur culture.  

Je suis partagé entre deux tendances contradictoires : d’une part, je crois en l’évolution du processus historique auquel rien n’échappe et d’autre part, je suis hésitant face à des aménagements arbitraires venus de personnes non autorisées, non qualifiées, ni par leur savoir ni par leur culture.  En gros, rien de révolutionnaire.

Le débat autour d’un dépoussiérage du judaïsme remonte à de longues années. Je dois dire que je suis sidéré par la vacuité du discours de femmes rabbins, plutôt de rabbins journalistes, qui font plus de public relations que de religion.

Et ce en arguant que chacun a son judaïsme, et que ceci est le reflet de la diversité, alors qu’il s’agit plutôt d’une forme moderne de bouddhisme ou une auberge espagnole.

Les sages du Talmud, qui ne se disaient même pas rabbins alors même qu’ils ont constitué l’ossature spirituelle d’Israël, ont formé la carapace défensive qui a permis aux juifs de traverser les siècles sans trop d’encombres… Avec un prix, certes, mais tout de même.Résultat de recherche d'images pour "park avenue synagogue"

Les gens devraient faire attention au discours que leur tiennent les non informés et les non savants. Ils ont le droit d’agir comme ils l’entendent, mais ils doivent en savoir plus sur les sources. Chacun ou chacune a le droit de dire ce qu’il ou ce qu’elle veut. Mais on doit s’entourer d’un minimum de précaution.

Car à trop suivre la mode, on parle de la mode exclusivement et les modes se démodent vite. Or, le judaïsme, depuis plus de deux millénaires, n’a pas cessé de changer tout en restant lui-même.

Mainte prière juive dont je ne saisissais pas l’impact jadis me semble aujourd’hui lumineuse. Il convient donc de prendre ses propres dimensions et d’être au clair sur ses propres capacités. Et ceci vaut pour nous tous et aussi pour ceux qui tentent par tous les moyens de sortir des rangs et d’attirer l’attention.

Me revient à l’esprit, malgré la fièvre de l’autre jour, une phrase tirée du corpus midrachique et talmudique : oy lahém la biryot mé élwonah shel Tora Malheur aux créatures qui offensent la Tora.

J’ajoute aussi, pour finir, Dieu leur pardonnera tant la miséricorde divine n’a pas de fin.

Maurice-Ruben HAYOUN

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Le professeur Maurice-Ruben Hayoun, né en 1951 à Agadir, est un philosophe, spécialisé dans la philosophie juive, la philosophie allemande et judéo-allemande de Moïse Mendelssohn à Gershom Scholem, un exégète et un historien français. il est également Professeur à  l’université de Genève

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