Muhammad vs Meguini: le procès du droit de blasphème

Peut-on appeler un salafiste un salafiste?

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Marwan Muhammad. Sipa. Numéro de reportage : AP21942980_000004. Ahmed Meguini. Photo: Benjamin Boccas.

 

Dans le contexte post-Bataclan et sur Twitter, Ahmed Meguini, activiste laïque et président-fondateur de l’association LaïcArt, s’est emporté et a traité, dans un coup de sang, une personnalité islamiste qu’il exècre « d’enfant de putain de salafiste » et de « petite merde ». Pour cela, l’objet de ses mots fleuris, Marwan Muhammad, directeur exécutif du Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF) et professionnel des plaintes en série devant les tribunaux, a intenté une énième action en justice. Mais pas pour n’importe quel motif : injure à caractère racial ! C’était le sens du procès qui a eu lieu au tribunal de grande instance (TGI) de Nanterre le 6 juin 2017, et dont le délibéré interviendra le 4 juillet 2017.

Tous racistes?!

L’accusé a reconnu sans peine les faits, les injures ainsi que la grossièreté de son langage, sans aucune autre forme de procès. Mais il contestait la qualification d’injure raciale, rappelant sa qualité et sa personne. Et pour cause ! Voilà donc Ahmed Meguini, fils d’immigrés musulmans, maroco-algérien d’origine, et de culture musulmane, accusé de racisme. N’est-ce pas plutôt l’athée revendiqué, l’apostat assumé, le laïque effréné qui a été attaqué en justice par M. Muhammad, islamiste notoire parcourant les territoires de France et de Navarre ? Si encore l’auteur de l’insulte avait été par exemple un catho tradi, la qualification de la plainte aurait eu un peu plus de sens et aurait pu paraître crédible du point de vue juridique. Mais la qualité du défendeur, fils d’immigrés, journaliste, polémiste et activiste laïque ouvre un certain nombre de questions sur les motivations de M. Muhammad à aller en justice pour une banale vitupération virtuelle.

Tous les musulmans ne sont pas salafistes

En portant plainte pour injure à caractère racial, Marwan Muhammad ne réfutait absolument pas la qualification de « salafiste » ; bien au contraire, il s’offusquait en criant au racisme. Comme si en traitant M. Muhammad de « salafiste », mot mis en exergue durant tout le procès, Ahmed Meguini avait insulté tous les musulmans derrière lui. Tout du moins, c’était ce que M. Muhammad sous-entendait à la barre, essayant d’insinuer que par cette injure, tous les musulmans seraient salafistes.

Sans oublier son jeune avocat qui, par une rhétorique sophiste, expliquait aux juges que parce que tous les salafistes étaient musulmans, l’injure aurait donc visé l’appartenance à l’islam de M. Muhammad. Et donc tous les musulmans. Un raisonnement pour le moins alambiqué qui fit lever les sourcils des professionnels du droit, d’autant que Maître Guez Guez, n’hésitait pas à argumenter en faveur du… « conditionnement » de la liberté d’expression aux limites de l’espèce. Rien que cela. Mais rien d’étonnant, car sur cette dernière, Marwan Muhammad est pour le moins très ambigu. En effet, il déclarait déjà en 2012 sur le site du CCIF qu’il « serait par exemple intéressant d’inciter les journalistes à réfléchir à l’idée de régulation et de modération à l’intérieur même de leur corps professionnel ». Lorsque l’on sait qu’Ahmed Meguini a été journaliste, satellite gravitant dans la sphère de Charlie Hebdo, cette phrase fait curieusement sens. L’action en justice aussi. Volonté de censure ? La question mérite d’être posée.

Un avocat anti-”collabeurs”

C’est ainsi que le directeur du CCIF, sans oublier de faire la publicité de son collectif en récitant éléments de langage et chiffres à la barre, s’était vêtu de son plus beau costume d’antiraciste, avant d’être mis mal à l’aise par l’avocat de M. Meguini qui lui demandait ce que lui et son collectif faisaient pour les homosexuels de culture musulmane qui subissaient nombre de sévices à cause de leur orientation sexuelle au sein même de leur communauté. Tentant de délivrer une image bienveillante à l’égard de tous, il n’en demeure pas moins que ses soutiens, que Causeur a tenté d’interroger avant d’entrer en salle d’audience, ont rivalisé d’agressivité durant tout le procès : ricanements, mépris, regards noirs, etc.

La personnalité du jeune avocat de Marwan Muhammad retient l’attention. Le jeune homme s’était déjà illustré dans le cadre des annulations d’arrêtés anti-burkini à Nice durant l’été 2016, ayant défendu les positions du CCIF jusque devant le Conseil d’Etat. Gravitant dans l’islamosphère depuis longtemps, Sefen Guez Guez a qualifié de « collabeur » Amine El Khatmi – élu PS ayant notamment dénoncé l’islamophobie comme étant « un concept créé pour étouffer toute critique de la religion » – dans un tweet ayant été effacé depuis. L’avocat avait alors, sans surprise, plaidé « l’humour », mais l’accusation tombait comme un couperet. L’accusation de traîtrise qu’encourent toutes les personnes de culture musulmane qui défendent la laïcité, dont Meguini fait également l’objet.

Coup de com’

En réalité, l’enjeu du procès était essentiel : a-t-on encore le droit de critiquer la branche la plus radicale de l’islam ? Car si les juges décident de condamner la critique du salafisme et la qualifier d’injure raciale, c’est bel et bien la critique de l’islam qui sera visée de manière sous-jacente. Comme si les meurtres perpétrés au sein de Charlie Hebdo n’avaient pas été assez sanguinaires. Comme si le danger représenté par les tentatives d’intimidation du CCIF – qui menace de procès quiconque émet un désaccord – ne représentait pas une menace assez réelle pour la liberté d’expression. L’avocat de M. Muhammad avait clairement démontré que son objectif n’était pas la réparation du préjudice causé par l’insulte, mais bel et bien une volonté politique : en s’en prenant directement et personnellement à l’avocat de Meguini pour cause d’affaires défendues, en s’en prenant aux amitiés de Meguini avec Mohamed Sifaoui et la militante laïque Céline Pina, en attaquant la personnalité de l’accusé.

Fixés le 4 juillet

M. Muhammad, contrairement à ce qu’il a déclaré à la barre, ne semblait pas le moins du monde être terrifié par ces insultes qui l’avaient prétendument blessé. L’affaire Meguini a tout l’air d’un coup de com’ destiné à jurisprudentialiser le délit de blasphème.

Recueillant l’assentiment final du procureur qui a estimé que la ligne rouge n’était pas franchie par Ahmed Meguini, l’assistance s’est levée et s’en est allée, en attendant le verdict des juges. Cette affaire, en apparence banale, contient un enjeu de taille. Qu’en sera-t-il ? Réponse le 4 juillet. Quel que soit le jugement rendu, il y aura certainement appel.

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