Il y a peu, je m’émerveillais des délires d’un sociologue accusant la laïcité française des dérives islamistes. Je n’avais encore rien vu ni rien lu. François Durpaire et Béatrice Mabilon-Bonfils, spécialistes es sciences de l’éducation, exposent dansFatima moins bien notée que Marianne (éditions de l’Aube) la cause profonde de la non-intégration des jeunes déséquilibrés : la faute aux profs, bien entendu, et particulièrement aux manuels d’histoire, qui stigmatiseraient l’islam en l’associant systématiquement à la violence et au terrorisme. On trouvera ici une analyse pertinente de l’ouvrage, et les réactions indignées ou ironiques des enseignants.

Nos pédagogues veulent-ils que l’on mente ?

Les programmes du second cycle traitent de la question coloniale (et de la décolonisation), une belle occasion de faire dans la repentance. Mais ils traitent aussi du monde moderne, des attentats du World Trade Center, de la montée de l’intolérance, des diverses guerres du Moyen-Orient et d’Afrique depuis la Libération, et même de l’actualité récente : atrocités, attentats, guerres inlassables, attentats, dictatures diverses, enlèvements, tueries, attentats, mouvements insurrectionnels fondamentalistes, wahhabisme, attentats, soumission forcée des femmes, menées salafistes partout dans le monde, attentats, attentats, attentats. Ainsi va l’islam moderne dans sa version dure. Nous n’y pouvons rien. So it goes, comme dit Kurt Vonnegut dans Abattoir 5.

À noter que les programmes de seconde parlent de la chrétienté médiévale (l’Inquisition, les croisades), ce qui pourrait heurter les catholiques. Qu’il est aussi question, plus tard, du génocide arménien, ce qui ne doit pas faire plaisir aux Turcs. Ou du fascisme, ce qui pourrait contrister les Italiens, et du nazisme, ce qui fleure bon l’anti-pangermanisme… So it goes : l’enseignement de l’histoire n’a pas été conçu pour faire plaisir aux uns et aux autres – ni à nous-mêmes. Mais peut-être nos pédagogues voudraient-ils que l’on mente ? Que l’on réécrive les manuelscomme les Japonais l’ont fait récemment ? Révisionnisme, quand tu nous tiens…

Ou que l’on écrive que Darwin n’est qu’une hypothèse, face à l’autre hypothèse de la création divine… Ou que l’on accepte la demande des intégristes qui veulent des horaires de piscine spécifiques pour leurs femmes, avec un personnel féminin – comme à Mantes-la-Jolie… Les autorités locales ont repoussé cette prétention exorbitante – jusqu’à quand ?

Une « laïcité d’inclusion »

Les deux auteurs, il y a tout juste un an, juste avant que commence le cycle infernal des tueries parisiennes et des agressions dans tout le pays (et encore lundi à Marseille, où un tout jeune homme a agressé à la machette un enseignant juif, ce qui fait suite à une agression similaire, il y a un mois), avaient identifié le responsable du « malaise » ressenti, paraît-il, par les jeunes musulmans français, une excuse par avance, un dédouanement a priori. Dans L a Fin de l’école (PUF, 2014), ils mettaient en cause l’absence de culture informatique, panacée universelle, comme nous l’avons déjà souligné. Cela avait permis à Mabilon-Monfils, qui a devant elle une belle carrière de conseiller du ministre, de proférer quelques grandes inconvenances sur l’école « ouverte », dont elle fait la promotion.

Aujourd’hui, elle et son co-auteur dénoncent la vision négative propagée par des manuels, qui, conformément au programme, traitent du terrorisme islamique sous toutes ses formes. L’histoire est un produit dangereux – et d’ailleurs, nombre d’enseignants, parce qu’ils connaissent leur métier, savent utiliser les manuels – et même ne pas les utiliser. Peut-être pourrait-on leur faire confiance – même si le politiquement correct montre çà et là le bout de son nez ?

Qu’un philosophe, Raphaël Logier, enseignant par ailleurs à l’IEP d’Aix, dans cette belle région Paca qui vote à 40 % pour le FN, ce qui doit bien signifier quelque chose, paraisse approuver les conclusions des deux olibrius est inquiétant. La « laïcité d’inclusion » proposée par Durpaire et Mabilon-Bonfils lui paraît une bonne idée – alors même que chacun sait, comme je l’ai expliqué dans Voltaire ou le djihadet dans Liberté Égalité Laïcité, que tout ajout à « laïcité », « aménagée », « ouverte » ou « inclusive », réduit le mot et son idée, tout comme un adverbe ajouté à « je t’aime », « bien » ou « beaucoup », réduit la formule magique de l’amour.

La lettre de la loi de 1905

La tendance actuelle est à passer des accommodements avec le fanatisme – « les préjugés », disaient les hommes des Lumières. Dans un ouvrage récent (Situation de la France, Desclée de Brouwer, 2015), Pierre Manent proposait carrément d’aménager la laïcité et la France de façon à tenir compte du mode de vie musulman. Reddition en rase campagne face à un islam conquérant et démographiquement dynamique. Qu’un fervent partisan de la laïcité comme Catherine Kintzler, qui analyse finement ce livre inacceptable, ne comprenne pas qu’il s’agit, comme pour Durpaire et consorts, d’un renfort de cinquième colonne me sidère. Non seulement il ne faut pas faire une « place spécifique » à l’islam (ni à aucune religion, ou alors nous nous renions en tant que République laïque), mais il faut très sérieusement appliquer la lettre de la loi de 1905, et restreindre les manifestations religieuses, quelles qu’elles soient, au domaine privé – en particulier en les interdisant sur l’ensemble de la voie publique, et en donnant à la police les moyens de faire appliquer la loi, alors que je vois les forces de l’ordre, aujourd’hui, fermer les yeux quand passe une burka…

Je dis cela dans l’intérêt même de l’islam, auquel je ne veux ni mal ni bien : les musulmans non fondamentalistes (et ils sont majoritaires) devraient étudier l’histoire, et comprendre que toute prétention exagérée à augmenter les positions religieuses entraîne un jour ou l’autre une révocation de l’Édit de Nantes, et ce qui s’en suivit.

Confusion mentale

On ne s’étonnera pas que les sites pédagos ou fondamentalistes fassent à cet ouvrage une publicité enthousiaste. Ni qu’ils pratiquent l’amalgame avec une toute récente étude de l’Ined intitulé « Trajectoires et origines » sur l’intégration difficile des immigrés – étude que Libé a bien voulu lire de biais. Le rapport de l’Ined en soi est passionnant et complexe – notant par exemple que les filles de seconde génération réussissent mieux que leurs frères, ce qui tendrait à prouver que l’exclusion (réelle) n’a pas seulement l’origine pour ressort principal.

Je ne suis pas prophète, je ne peux témoigner que de ce que je vois autour de moi à Marseille. Alors je préfère me fier à un vrai spécialiste, et tant qu’à faire prenons-le enfant d’immigrés, déshérité par ascendance (né à Neuilly parce que ses parents habitaient un bidonville de Nanterre), et membre de la majorité : Malek Boutih, membre fondateur de SOS-Racisme, député PS de l’Essonne, un département où j’ai été enseignant,en ZEP, dix ans durant. « Enfant de la République », dit-il lui-même. On l’a chargé d’un rapport (remis en juillet 2015) sur la dérive islamiste des jeunes immigrés ou enfants d’immigrés, qui ne dissimule pas l’audience « énorme » des organisations terroristes dans une jeunesse désemparée. Invité à On n’est pas couché le 12 novembre 2015 – l’émission n’a en fait été diffusée qu’en janvier, à cause des attentats du vendredi 13 –, il s’est expliqué fort éloquemment sur ce qui se passe réellement dans les banlieues. Que Yann Moix – à la grande stupéfaction de Matthieu Kassovitz — n’y ait rien compris ne témoigne que de la confusion mentale d’un certain parisianisme convenu.

Malek Boutih est l’un des rares à ne pas tenir un discours angélique. À ne pas alimenter la vision idyllique des bisounours parisiens. L’un des rares aussi à dénoncer la collusion des élus – à commencer par ceux de son parti – avec les salafistes. À dénoncer le communautarisme, qui nous amène tout droit dans le mur – mais n’est-ce pas ce que cherchent les fondamentalistes ? Nous sommes une seule nation, un seul peuple – ou nous ne sommes plus rien.

PAR JEAN-PAUL BRIGHELLI

Le Point

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André

 » Les attentats de janvier 2015, puis du 13 novembre 2015, ont été une remise en cause pour l’école de la République. Les terroristes, pour ceux qui étaient français (tous l’étaient lors de la première vague d’attentats), ont eu à fréquenter entre 40 et 50 professeurs au cours de leur scolarité avant de projeter la destruction des valeurs de leur propre pays.  » …  » Les attaques du 13 novembre 2015 interrogent sur le ressentiment de jeunes radicalisés qui ont fait leur scolarité au sein du système éducatif français.  »

Voilà le genre de propos scandaleux que l’on peut trouver dans ce livre de « spécialistes en sciences de l’éducation ». Mais quid des valeurs de substitution qu’ils se sont trouvé et qu’ils revendiquent en assassinant des badauds, celles de l’islam radical de « l’Etat islamique » ? Enfin, « trouvé » pas vraiment puisqu’ils étaient déjà tous musulmans de naissance… Quid de leur origine algérienne pour les 9/10ème ? Motus et bouche cousue, rien à voir, allez hop ! circulez…

Bref, l’école en France fabrique des assassins criant « allahou akar » et « mort aux juifs »…

André

Ce n’est pas exactement dans le livre mais dans la présentation du livre par l’éditeur. Les auteurs n’y trouvant rien à redire, dont acte…

André

Plus personne ne croit à ces salades de soit disant spécialistes de l’éducation. Plus ils se mêlent d’éducation et plus on s’enfonce, tout le monde peut le constater. A ce propos, les enfants de parents asiatiques ne parlant pas un mot de français causent moins de problème et s’en sortent plutôt très bien à l’école. Curieux, non ? Peut-être sont-ils moins revendicatifs et revanchards et qu’entendre parler de leurs ancêtres gaulois les fait seulement marrer, comme lorsqu’ils lisent « Astérix le gaulois »…