INTERVIEW – Avec la victoire du «Leave», les marchés financiers, la livre britannique et les cours du pétrole sont au plus mal ce vendredi. Les banques centrales se disent prêtes à agir. Mais cela sera-t-il suffisant pour endiguer les chutes ? Quelles conséquences économiques ? Des économistes nous livrent leur éclairage.

Les Bourses mondiales en chute libre, la livre sterling au plus bas depuis plus de 30 ans, le pétrole à nouveau sous les 50 dollars: la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne fait des dégâts sur les places financières. Autre signe de la défiance des investisseurs: l’or, le placement refuge par excellence, est au plus haut depuis mars 2014. Faut-il craindre une catastrophe économique et financière à court terme? Des économistes livrent leur avis.

• Christopher Dembik, économiste de Saxo Bank: «C’est la douche froide. Personne ne s’y attendait. C’est un raté des marchés financiers et des sondeurs qui étaient trop confiants. Le gros de la chute sera enregistré aujourd’hui. Maintenant, d’un point de vue financier, on peut endiguer la chute des marchés grâce à une action concertée et rapide des banques centrales (baisse des taux ou rachat de livres sterling). Et c’est ce qui se passe très clairement. Il y a un risque de panique chez les déposants. Nous sommes dans une période de véritables incertitudes. Si la chute des marchés n’est pas endiguée, une forte dévaluation de la livre sterling est à redouter. D’autres pays, comme la Chine, pourrait aussi dévaluer leur monnaie.

Christopher Dembik, économiste de Saxo Bank

D’un point de vue économique, cette journée est une réplique de même ampleur que la faillite de Lehman Brothers. À long terme, une défiance vis-à-vis de l’Europe, en matière d’investissements est à craindre. La croissance était déjà très faible, on n’est pas encore sortie de la crise. Il est trop tôt pour estimer l’impact économique sur la croissance.

En revanche, nous aurons une multiplication de demandes de sorties de l’Europe venant des pays d’Europe centrale ou orientale. Et ce, surtout si le Royaume Uni réussit sa sortie. On peut s’attendre à une multitude de discours anti zone euro. En cela, le référendum hongrois sur l’immigration sera à suivre.

Sur les 15 à 20 dernières années, l’Europe a mal fonctionné et a été mal expliquée. Aujourd’hui, les gouvernements sont affaiblis de partout. L’intégration est difficile, il n’y a rien qui lie les pays entre eux. Il y a un risque de décomposition, de mort lente de l’Europe. On va au clash entre la France et l’Allemagne. L’Europe a besoin de davantage d’intégrations économique et fiscale, d’un budget commun».

Patrice GAUTRY, chef économiste de l’Union bancaire Privée: les marchés n’ont pas envie de rire ce matin. Jusqu’à hier soir, ils croyaient au «remain», puis patatras! Le soutien des villes en faveur du maintien a été moins fort que prévu. La réaction des marchés, pour ce scenario était prévisible. Les actifs de protection sont mis en avant: les taux longs, le yen, l’or…C’est l’inverse pour les actions, notamment celles des banques, qui sont à la baisse. Le choc pour les marchés est d’autant plus important qu’ils sont pris à contre-pied. On entre dans une période d’incertitude et de volatilité.

Patrice Gautry, économiste chez l'UBP

Faut-il craindre un risque systémique? Non, car les banques centrales vont réagir. Elles vont se concerter rapidement et intervenir pour contenir la volatilité sur les changes et encadrer les marchés financiers. En plus des banques centrales, il faudra l’intervention des hauts responsables politiques, comme ceux de l’Allemagne et de la France, pour contenir les effets négatifs. Il faut éviter tous les débordements observés pendant les crises précédentes. C’est gérable: l’Europe en 2008, 2009, 2012 était en crise mais elle est toujours là, tout comme l’euro.

Le choc économique sera toutefois important pour le Royaume-Uni. Il y aura un choc de confiance. Les investissements pourraient en pâtir, notamment à la City. Pour la suite, il y a deux possibilités: soit le Royaume-Uni et l’Europe forment deux blocs indépendants, soit un processus de négociation bilatéral se met en place, comme pour la Suisse, avec des liens économiques possibles. La France ne sera pas le pays le plus impacté. On va peut-être perdre quelques dixièmes de point de croissance. Les plus touchés seront surtout l’Allemagne, la Belgique, les Pays-Bas et les pays de l’est de l’Europe

En revanche, le choc politique est important au Royaume-Uni et en Europe. Les partis anti-Union européenne pourraient s’appuyer sur cette victoire du Brexit. Des échéances électorales sont prévues en Espagne, en Italie, au Pays-Bas. Ce sera un vrai test pour l’Europe. Pour résumer, c’est un choc mais ce n’est pas la fin du monde.

Bruno Colmant, chef économiste chez Degroof Petercam

• Bruno Colmant, chef économiste de la banque Degroof Petercam : L’impact est beaucoup plus important que prévu. Il y a un vrai problème de crédibilité sur l’euro. Une vague de scepticisme va s’abattre sur l’Europe. On va avoir une hausse de la prime de risque sur les pays les plus fragiles. Ce sera aussi la fin des taux bas. La volatilité va augmenter structurellement donc aura une fin d’année compliquée. Les banques centrales vont alimenter l’économie en dollar mais leurs actions sont aussi limitées.

D’un point de vue macroéconomique, il y aura une rupture des flux commerciaux. Ce ne sera pas forcément mauvais pour les Britanniques qui pourraient profiter de leur livre dépréciée. Mais le reste de l’Europe aura plus à perdre.

D’un point de vue politique, le Brexit est selon moi l’une des multiples expressions de la discontinuité de l’Europe. Ce n’est plus un projet porteur.

Philippe Waechter, chef économiste chez Natixis AM

• Philippe Waechter, chef économiste chez Natixis AM: On a vu tout au long de la nuit un retournement brutal des marchés, un vrai changement d’anticipation. Il y a un ajustement très marqué à attendre et on ne sait pas quel sera son point d’arrêt. On ne sait pas quand les choses vont se stabiliser. Les marchés prennent en compte les impacts économiques et récessionnistes et en partie les risques politiques. C’est une période d’instabilité centrée sur le Royaume-Uni qui peut être pénalisante pour l’Europe. On attend l’intervention des banques centrales, comme elles le font à chaque crise. Puis on va attendre la réaction politique au sein du Royaume-Uni et celle des dirigeants européens.

Il y aura forcément un impact macroéconomique. Le Royaume-Uni pourrait perdre son triple A, a averti S&P. Ses relations avec les autres pays seront modifiées en profondeur. Son accès au marché européen sera modifié, les accords commerciaux ne s’appliqueront plus. Le pays sera dans une situation fragile. Il est probable qu’une partie de l’activité bancaire en euros reviennent sur le continent. Tout ceci va créer de l’incertitude car il s’agit de la 5e économie mondiale.

Celui qui succèdera à David Cameron voudra couper les ponts très vite avec l’Europe. Après tout, il considère qu’ils sont mieux en dehors.

Gero Jung, chef économiste de Mirabaud AM

Gero Jung, chef économiste de Mirabaud AM : «Le résultat du référendum britannique de ce jour va à l’encontre des attentes des marchés et de notre scénario de base. La conséquence est une volatilité extrême dans les marchés financiers à court terme. À moyen terme, les conséquences pour l’économie britannique seront désavantageuses, sans être catastrophiques. Nous estimons que la croissance britannique va diminuer de 0.5ppt pendant les huit trimestres à venir, l’investissement étant la composante du PIB qui sera affecté le plus. Actuellement, l’Union Européenne représente presque 500 milliard de livres des investissements directs venant de l’étranger, ou 50% du total. A constater aussi que même avant la décision d’aujourd’hui, l’investissement représentait l’élément le plus volatile parmi les composantes du PIB britannique. Au niveau des échanges commerciaux, presque 50% des exportations britanniques vont à l’Europe, alors que dans le sens inverse, ce chiffre est de seulement 11% pour les autres 27 pays de l’Union. Les effets d’échanges commerciaux auront un coût à l’avenir, les bénéfices immédiats étant moins de dépenses fiscales réservées à la contribution du Royaume Uni au projet européen, qui représente (en terme net) une épargne de presque 0.5% de l’activité économique. En conclusion, l’impact est non-négligeable, mais selon nous, l’économie du Royaume Uni va éviter une récession durable».

,

Le Figaro

La rédaction de JForum, retirera d'office tout commentaire antisémite, raciste, diffamatoire ou injurieux, ou qui contrevient à la morale juive.

S’abonner
Notification pour
guest

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

2 Commentaires
Le plus récent
Le plus ancien Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
Sharon

Un bon economiste est celui qui trouve toujours de bons arguments pour justifier ses erreurs d’appreciation.

haBIBI

Intéressant ! cela confirme que la majorité des économistes bardés de leur pseudo-science et fiers de leurs certitudes sont en réalité des ânes.