Cette paracha Bamidbar inaugure le livre du même nom dans le Pentateuque et présente plusieurs caractéristiques.

 

 Elle inaugure en effet un livre remarquable par le nombre et par la densité des événements qui ne vont pas tarder à se produire : médisance des explorateurs, révolte  de Korah, guerre «contre-prophétique» menée par Bilaâm, et tant et tant d’autres épisodes appelant l’analyse, la réflexion, le commentaire et le commentaire  du commentaire, à plusieurs voix, au long  des siècles.

Ce même livre présente néanmoins quatre caractéristiques. D’abord son articulation, de ce fait même, avec au moins les deux livres précédents. Pourquoi?

L’on pourrait dire que la dominante du livre de Chemot est celle de la loi et du droit ; que celle de Vaykra est celle de la sanctification et de la purification.

Le lien entre Chemot et Vaykra  devient ainsi et ensuite manifeste puisque dans la conception juive de la vie le droit régule son niveau social, tandis que la sainteté se rapporte à son niveau éthique, chacun, en relation de réciprocité, faisant preuve de l’autre.

Cette articulation se retrouvera d’ailleurs dans l’organisation des matières  et des titres de la Michna et du Talmud.

Et BamidbarBamidbar constitue rien de moins que la mise à l’épreuve du réel de ces deux dimensions corrélées suivant le  paradigme énoncé dans le livre de Chemot «Nous accomplirions – et- nous- écouterons».

Cette sentence est, ne l’oublions pas, d’un seul tenant.

Telle est alors la troisième de ces caractéristiques: la Loi d’Israël ne se réduit pas à ses énoncés verbaux, à ses expressions rhétoriques.

Elle doit s’inscrire, on ne le répétera jamais assez, non seulement dans l’épure des modèles institutionnels, somme toute idéaux, mais aussi et surtout dans les manières d’être, dans les façons de se conduire, dans la mise en oeuvre de la Loi et dans la réalisation des objectifs éthiques.

Sous ce seul point de vue le livre de Bamidbar devrait être considéré comme un classique de la science politique en ce qu’il relate précisément, par des épisodes-types, des mises à l’épreuve quasiment modélisées, combien il est difficile justement de passer d’une Loi céleste, d’une éthique idéale, aux conduites et aux comportements qui les valident réellement.

L’on définit souvent les régimes démocratiques, négativement, par opposition aux régimes dictatoriaux, ceux qui interdisent l’usage de la pensée et de la parole libres, et, positivement,  comme se fondant sur la délibération, le dialogue.

Ce qu’enseigne le livre de Bamidbar c’est à quel point l’usage collectif de la parole ne va pas de soi s’il s’agit d’ajuster entre elles des aspirations libres, de concilier des désirs subjectifs, de cohérer des volontés souveraines.

Si « parler c’est dire », les explorateurs médiront, Korah’ contredira, Bilâam maudira.

Jusqu’au moment quasiment céleste où confrontées au contentieux non encore résolu relatif à l’héritage de leur père, les filles de Tséloph’ad se contenteront d’en parler, raisonnablement,  à Moïse, de sorte que cette fois leur question appelle une réponse au lieu de la rebuter ou de la dévoyer.

On doit toutefois s’interroger sur l’entame de cette paracha qui énumère dans le détail de leur nom l’investiture officielle des responsables du peuple d’Israël et la constitution de ceux-ci en tsévaot, terme traduit à  contre-sens par armée, au sens militaire, alors que ce terme désigne génériquement l’organisation cohérente de groupements en fonction de leurs objectifs, de leurs compétences, de leur expérience.

Dès lors, il est possible de lire cette entame sur le plan strictement institutionnel, comme un chapitre de l’histoire du droit et des institutions de l’Antiquité.

Une autre lecture est cependant possible car dés lors aussi que des vocables comme tsava, ou lispor apparaissent, et qu’ils sont également utilisés pour désigner des entités ou des réalités d’un autre ordre, qui se rapportent au Créateur ( Hachem Tsevaot ) ou à la structure et au fonctionnement de l’Univers (ôlam hasephirot),  il faut comprendre que le champ d’Israël ( Mah’ané Israêl ) et que le champ divin se correspondent, sont homothétiques.

Ce qui se  déroule dans le monde d’en- bas affecte donc nécessairement le monde d’en-  haut. Chaque événement ne notre vie concrète se réverbère selon une tout autre dimension, celle de hauteur, par laquelle  se révèle son impact réel.

D’où l’appel constant à ne jamais s’installer dans l’indifférence ou à imaginer que nos actes s’inscrivent dans notre aire existentielle exclusive; qu’ils ne tirent pas à conséquences; qu’ils n’engagent pas notre responsabilité « outre-mesure», comme le dit si bien cette expression courante.

Il faut alors être soucieux de ce qui, là encore et justement, outre- passe, par la force des choses, ce qui nous semble juste et à droit mais «à nos yeux».

Tel est alors le point commun de tous les épisodes, heureux ou malheureux, qu’agencent entre eux le livre de Bamidbar : au delà de leur occurrence, ils engagent l’avenir d’Israël pour longtemps, jusqu’à nos jours.

D’où la nécessité de les aborder avec attention et de les scruter jusque dans leur téâmim.

 Raphaël DRAI ( 1942-2015) Zal

 

 

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