Bo (5774) – L’ horizon lointain.
29 Décembre 2013

Pour s’imprégner de l’enseignement principal unique de la parasha de cette semaine, je demande souvent à mon auditoire d’effectuer une expérience par la pensée. Imaginez que vous êtes le guide d’un peuple qui a souffert de l’exil pendant plus de deux siècles, et qui a été réduit en esclavage et opprimé.

Maintenant, après toute une gamme de miracles, il est sur le point de partir libre. Vous les rassemblez et vous vous levez pour vous adresser à eux. Ils attendent vos paroles avec une immense espérance. C’est un moment crucial qu’ils n’oublieront jamais. De quoi allez-vous leur parler ?

La majorité des gens répondent : de liberté. Ce fut la décision qu’a prise Abraham Lincoln, lors du discours de Gettysburg, lorsqu’il invoqua la mémoire d’une « nouvelle nation, conçue dans la liberté » et qu’il se projeta vers l’avenir en évoquant « une nouvelle naissance de la liberté ». Certains suggèrent qu’ils sauraient inspirer le peuple en lui parlant de la destination vers laquelle il se dirige, la « terre ruisselant de lait et de miel ».

Pourtant, d’autres disent qu’ils préviendraient, aussi, les gens des dangers et défis qu’ils rencontreraient sur ce que Nelson Mandela appelait « la longue marche vers la liberté ».

Chacun de ces choix aurait pu constituer le discours majeur d’un grand leader. Guidé par Hachem, Moïse ne fit rien de cela . C’est ce qui a fait de lui un guide incomparable. Si vous examinez le texte de la parasha Bo, vous verrez qu’à trois reprises, il en revient aux mêmes thèmes : les enfants, l’éducation et l’avenir lointain .

Et quand vos enfants vous demanderont : « Que veux-tu dire par ce ritu_el ? Vous direz, « c’est le sacrifice de Pessah à l’intention d’Hachem, parce qu’il est passé au-dessus des maisons des Israélites en Egypte, lorsqu’il a frappé les Egyptiens, mais a épargné nos maisons. (Ex. 12: 26-27)

Et vous expliquerez à votre enfant, ce jour-là, “ C’est grâce à ce qu’a fait pour moi Hachem lorsque je suis sorti libre d’Egypte » (Ex. 13:8)

Et lorsque, le moment venu, votre enfant vous demandera, “Qu’est-ce que cela signifie ? Vous pourrez lui répondre, « Ce fut avec une main puissante qu’Hachem nous a fait sortir d’Egypte, la maison de l’esclavage ». (Ex. 13: 14)

C’est un des actes les plus contre-intuitifs de toute l’histoire de l’art de diriger les peuples. Moïse n’évoquait pas, alors, le jour présent, ni même le lendemain. Il parlait du futur éloigné et du devoir des parents d’instruire leurs enfants. Il laissa même entendre – comme le suggère la tradition juive – que nous devrions encourager nos enfants à poser des questions, ainsi la transmission de l’héritage juif ne concerne pas l’apprentissage par cœur mais un dialogue interactif entre les parents et les enfants .

Ainsi les Juifs sont devenus le seul peuple dans l’histoire à fonder sa survie même sur l’éducation. Le devoir le plus sacré des parents est d’enseigner à leurs enfants. L’épisode de Pessah lui-même est devenu un colloque continuel sur la transmission de la mémoire . Le Judaïsme est devenu la religion dont les héros étaient des maîtres et dont la passion était l’étude et la vie de l’esprit . Les Mésopotamiens ont construit des ziggourats (édifices religieux mésopotamiens à degrés). Les Egyptiens ont construit des pyramides. Les Grecs ont construit le Parthénon. Les Romains ont construit le Colisée. Les Juifs ont construit des écoles. C’est la raison pour laquelle, eux seuls, parmi toutes les civilisations de l’Ancien Monde, sont toujours vivants et forts , œuvrant encore toujours et pour poursuivre la vocation de leurs ancêtres, qui constitue leur héritage intact et indéfectible.

La perspicacité de Moïse était profonde. Il savait qu’on ne peut pas changer le monde par des réalisations extérieures seulement, par des architectures monumentales, ni des armées ni des empires, ni l’utilisation de la force et du pouvoir. Combien d’empires s’en sont allés alors que la condition humaine reste en souffrance, identique à elle-même?

Il n’y a qu’une seule et unique manière de changer le monde, c’est au travers de l’éducation. Vous devez enseigner aux enfants l’importance de la justice, de la droiture, de la gentillesse et de la compassion. Vous devez leur enseigner que la liberté ne peut uniquement être maintenue que grâce aux lois et à une attitude de retenue.

Vous devez continuellement leur rappeler les enseignements de l’histoire, « nous étions esclaves de Pharaon en Egypte » car ceux qui ont oublié la dureté et l’amertume de l’esclavage perdent finalement la ferme volonté et le courage de se battre pour la liberté. Et vous devez encourager les enfants à questionner, relever des défis et à débattre. Vous leur devez de la considération , si on veut les amener à respecter les valeurs que vous souhaitez les voir adopter.

C’est un enseignement que la plupart des cultures n’ont pas encore appris, après plus de trois mille ans d’existence. Les révolutions, les protestations et les guerres civiles continuent de se dérouler, incitant le peuple à penser que le seul fait de détrôner un tyran ou de mettre sur pied une élection démocratique mettra fin à la corruption, créera les conditions de la liberté, et mènera à la justice et à l’instauration de la Loi – et les peuples sont encore surpris et déçus quand cela ne se produit pas. Tout ce qui se joue, en fait, n’est jamais qu’un changement des têtes dans les coulisses du pouvoir.

Dans l’un des plus grands discours du 20ème siècle, un membre éminent de la Justice américaine, le Juge Learned Hand, a dit :

Je me demande souvent si nous ne laissons pas trop reposer nos espoirs sur les constitutions, les lois et les tribunaux. Ce sont des espoirs vains – croyez-moi – ce sont des espoirs vains. La Liberté réside dans les cœurs des hommes et des femmes, et lorsqu’elle y meurt, aucune constitution, aucune loi, aucune Cour de Justice ne peut la sauver, aucune constitution, aucune loi, aucune Cour de Justice ne peut même faire quoi que ce soit pour l’aider 1″>Article original.

Ce que Dieu a enseigné à Moïse est que l’enjeu réel ne repose pas sur l’obtention de la liberté, il repose sur le fait de préserver cette idée bien vivante, dans le cœur des générations successives. Cela ne peut se réaliser qu’au travers d’un processus soutenu d’éducation. Pas plus, cela ne peut être délégué au loin et à d’autres, à des professeurs et à des écoles. Une bonne part doit prendre place au sein même de la famille, à la maison, et avec l’obligation sacrée qui émane du devoir religieux. Jamais personne n’a perçu cela plus clairement que Moïse, et ce n’est que grâce à ses enseignements que les Juifs et le Judaïsme ont survécu.

Ce qui fait les grands dirigeants est qu’ils pensent à l’avance, en se préoccupant, non pas tant du lendemain, mais de l’an prochain, ou de la prochaine décennie, ou de la prochaine génération. Dans l’un de ses discours les plus brillants, Robert F. Kennedy s’est exprimé sur le pouvoir qu’ont les chefs de transformer le monde quand ils ont une vision claire d’un avenir possible :

Certains pensent qu’il n’y a rien qu’un homme ou une femme ne puisse faire contre l’énorme éventail des fléaux du monde – contre la misère, contre l’ignorance, ou l’injustice et la violence. Pourtant, la plupart des grands mouvements, de pensée et d’action, a découlé du travail d’un seul homme. Un jeune moine a inauguré la réforme protestante, un jeune général a étendu un empire de Macédoine jusqu’aux extrémités du monde, et une jeune femme a revendiqué le territoire de la France. C’est un jeune exploreur italien qui a découvert le Nouveau Monde, et Thomas Jefferson, âgé de seulement 32 ans, qui a proclamé que tous les hommes sont créés égaux. « Donnez-moi un endroit où me tenir », disait Archimède, « et je soulèverai le monde ». De tels hommes ont ébranlé le monde, et, comme eux, nous le pouvons tous » 2″>Article original.

Le leadership visionnaire forge le texte et la texture du Judaïsme. C’est le Livre des Proverbes, qui dit : « Sans une vraie vision chazon »>Article original, le peuple périt » (Prov. 29: 18). Une telle vision, dans l’esprit des prophètes était toujours dirigée vers un avenir de long terme. Hachem a dit à Ezekiel qu’un prophète est un guetteur, quelqu’un qui grimpe sur une position hautement avantageuse et qui, ainsi, peut prévoir le danger à longue distance, avant même que quiconque ne puisse en être conscient au niveau de la terre (Ezek. 33: 1-6). Les Sages disaient : « Qui est sage ? Celui qui prévoit les conséquences à long terme ha-nolad« >Article original.” 3″>Article original. Deux des plus grands dirigeants du vingtième siècle, Churchill et Ben Gurion, étaient également d’éminents historiens. Connaissant le passé, ils pouvaient anticiper l’avenir. Ils étaient comme des maîtres d’échec qui, parce qu’ils ont étudié des milliers de combinaisons de jeux, reconnaissaient presque immédiatement les dangers et possibilités dans toute configuration des pièces sur l’échiquier. Ils savent ce qui se passera, si vous réalisez ce mouvement ou tel autre.

Si vous voulez être un grand maître dans quelque domaine que ce soit, du Premier Ministre au parent, il est essentiel de penser à long terme. Ne jamais choisir l’option facile, parce qu’elle est simple ou rapide ou qu’elle apporte une satisfaction immédiate. Vous en paierez un prix élevé à l’issue de la partie.

Moïse a été le dirigeant le plus grand, parce qu’il pensait plus loin que quiconque. Il savait que le réel changement , dans le comportement humain résulte du travail de nombreuses générations.

Par conséquent, nous devons placer notre priorité la plus élevée à éduquer nos enfants dans le cadre de nos idéaux, pour qu’ils poursuivent ce que nous avons commencé, jusqu’à ce que le monde change, du fait que nous-mêmes avons changé. Il savait que si vous projetez à un an, c’est mieux de planter du riz. Si vous prévoyez d’ici une décennie, alors plantez un arbre. Si vous vous projetez vers la postérité, la valeur suprême est de transmettre à un enfant 4″>Article original. L’enseignement de Moïse, vieux de trente-trois siècles, demeure toujours incontestable, à ce jour.

Par le Rabbin et Lord Jonathan Sacks,

rabbisacks.org Article original

Adaptation : Florence CherkiMarc Brzustowski.

1″>Article original “L’Esprit de Liberté” – discours lors de la cérémonie de – « Je Suis un Jour Américain », Central Park, NY City (21 Mai 1944).
2″>Article original Les Kennedy : Une famille américaine d’avant-garde, 112.
3″>Article original Tamid 32a.
4″>Article original June déclaration attribuée à Confucius.

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