À l’instar des questions de politique étrangère et européenne, la problématique du terrorisme jihadiste a été complètement occultée pendant la campagne électorale en Belgique. Avant qu’elle ne refasse surface, la veille du scrutin, dans les conditions tragiques qu’on sait.

Pour les spécialistes, l’attentat commis au Musée juif de Bruxelles était pourtant inscrit dans les astres. Les jeunes Européens partis combattre en Syrie aux côtés des organisations islamistes font en effet peser une menace majeure sur les pays du Vieux Continent, qui se révèlent impuissants à juguler le phénomène. Dans « Al-Qaïda en France » (1), le consultant international Samuel Laurent a décortiqué, sur la base d’une enquête, les mécanismes qui conduisent ces jihadistes européens à s’engager par centaines dans un conflit qui n’est pas le leur. Ses conclusions? Non seulement l’islam radical progresse à une vitesse stupéfiante en Europe, mais de plus, une organisation terroriste est déjà implantée en France . Entretien.

Quel danger représentent ces jeunes qui passent par la Syrie?

Quand on est en Syrie, on est dans les rangs des salafistes. Personne n’est intéressé par les brigades « sécularisées ». D’ailleurs il n’y en a quasiment plus. Les quelques groupes de l’Armée syrienne libre (ASL) qui se présentent comme non-religieux ne les intéressent absolument pas. Ils sont là pour faire le jihad et recherchent les groupes les plus religieux et les plus stricts. Ce ne sont pas les brigades internationales. Ils sont donc bercés par le salafisme. Il s’agit d’un vrai endoctrinement idéologique, qu’ils vont rapporter chez nous.

Mais tous ne vont quand même pas rallier Al-Qaïda?

Non. La plupart des combattants européens qui vont là-bas ne combattent pas dans les rangs d’Al-Qaïda. À moins d’être un Shebab de Somalie ou un vétéran d’Afghanistan ou d’Irak, on ne s’engage jamais chez Al-Qaïda, comme certains l’ont affirmé. On y est invité, avec un système de parrainage.

Mais si vous êtes Belge ou Français, sans passé de djihadiste, cela n’est pas possible. Ils commencent par faire leurs preuves dans des brigades locales. Celles-ci sont aussi salafistes, mais militairement et de façon opérationnelle, cela n’a rien à voir.

La plupart d’entre eux se découragent donc. Parce que c’est une guerre terrible et parce que les Européens sont soumis à des pressions plus fortes. Ils sont observés avec beaucoup plus d’attention. C’est un premier filtre, puis ils vont rentrer. Ils n’en sont pas moins dangereux.

Pourquoi?

Parce qu’il y a le terreau idéologique. Ils l’ont tous. Le salafisme, ce n’est pas une religion. C’est un système global, absolu. Un système politique, judiciaire, social, économique et évidemment aussi religieux. Chez les salafistes, on déconstruit totalement votre vision du monde et on vous réapprend comment il fonctionne. C’est d’abord la fraternité des croyants: ils forment un bloc et tous les autres forment un bloc également. Il s’agit d’une opposition irréductible. Il y a eux et il y a nous.

Ils récusent ensuite tout ce qui a trait à l' »ancien monde »: la démocratie, la justice, le système bancaire… Le salafisme vous coupe de tout ce que vous connaissiez avant. C’est une rupture totale avec le passé familial et social. Du coup, ces gens se retrouvent complètement marginalisés. Ils se retrouvent enfermés dans une logique communautaire et paranoïaque.

De là à passer à l’acte…

À l’exception de ceux qui craquent en dernière minute, ce sont tous des terroristes en puissance. Parce qu’ils ont définitivement effacé cette notion de blocage qui peut survenir avant de passer à l’acte . Il y a dans les banlieues françaises des milliers de jeunes qui sont bercés dans la haine des Juifs, des Français, des Belges, des Européens, de l’Occident. Ils n’ont pas tous nécessairement à la base la volonté d’aller tuer quelqu’un dans la rue. Mais quand ils l’ont fait pendant des mois en Syrie, ce blocage n’existe plus. Cela ne leur pose plus aucun problème.

Mehdi Nemmouche, l’auteur présumé de la tuerie du Musée juif de Bruxelles, en serait l’exemple?

Il a le profil de ceux qui sont dans ces filières, sans que l’on sache exactement s’il s’agit réellement d’un membre d’Al Qaïda, ou s’il fait partie de ceux qui rentrent rapidement. Mais Nemmouche, c’est une créature de la Syrie. La Syrie permet aux salafistes de mettre en pratique leurs idées.

Comment des jeunes issus d’une immigration pratiquant à l’origine un islam plus ouvert en sont-ils arrivés là?

C’est une question sociétale que je me pose. Quand je vois ces jeunes, ces convertis, qui d’un coup, vont se plonger là-dedans, c’est toute la contradiction d’une conversion qui s’opère sur la base d’un livre dont ils ne comprennent strictement rien. Parce que je ne pense pas que dans les banlieues de Paris ou à Bruxelles, on soit en présence de linguistes chevronnés qui ont compris toutes les nuances du Coran.

A mon sens, cela relève plus d’un problème qui se situe dans nos sociétés, qui sont devenues incapables de répondre aux aspirations de la jeunesse. Je pense que l’on vit dans des sociétés qui sont en crise d’identité et quelque part, en déficit spirituel – je ne parle pas nécessairement de religion. Cette crise pousse les gens à chercher des certitudes là où il n’y en a plus.

Parce que quand on rentre dans le salafisme, on comprend tout, tout d’un coup. On est tranquille. Comme dans toutes les extrêmes, on simplifie énormément. On n’a plus aucun doute. On vous explique chaque minute de votre vie. Cela guide votre existence. Tout est codifié. C’est un manuel de vie présenté sans faille.

On peut quand même objecter qu’il s’agit d’un système d’asservissement, meurtrier, et surtout, qui ne marche nulle part…

Pour les salafistes, il n’y a aucun pays qui applique réellement la charia. Que ce soit l’Arabie saoudite ou l’Iran. L’Iran, ce sont des Chiites qu’ils abhorrent. L’Arabie saoudite, c’est un régime abject à leurs yeux qui prend toute liberté avec la charia. C’est un régime qui prend prétexte de la charia pour asseoir l’autorité de monarques et de princes. Le système n’a jamais été mis en place, sauf de façon locale par les talibans. Mais il n’y a jamais eu de véritable Etat qui soit une sorte de califat islamique. Quant à la charia, elle représente à leurs yeux le système le plus égalitaire, le plus charitable, le plus honnête qui soit.

Est-ce que le conservatisme religieux mène au salafisme? Pour beaucoup, les « accommodements raisonnables » ne feraient qu’encourager le radicalisme…

Oui. De toute façon, ces gens sont dans le cadre d’une véritable stratégie de conquête. C’est un vrai phénomène de société. La Syrie provoque le départ de milliers de gens qui reviennent avec cette idéologie. Les réseaux sociaux explosent. Leur seul objectif est le jihad d’annexion. C’est le fondement même du salafisme, sa seule politique étrangère: imposer la charia et l’islam le plus dur sur l’ensemble de la Planète par tous les moyens.

Alors, tout ce qui va dans leur sens – l’égalité hommes-femmes remise en question, etc – leur permet d’avancer un peu plus, de pousser leurs pions. Cela ne les apaise en rien, cela les conforte. On fait leur jeu. Certains, comme l’imam radical Anjem Choudary en Angleterre, vous expliquent cela en toute franchise et avec cynisme : on s’engouffre dans toutes les brèches de la démocratie et de la liberté d’expression.

Leur objectif est de détruire les démocraties, les droits de l’homme, les modèles européens. Soit par un coup d’Etat, soit par un soulèvement populaire, soit par des troubles à répétition.

Comment combat-on cela?

Mon travail, c’est de ramener des infos… Mais quand on est face à cela, on peut dire que l’on est devant une menace sociétale et un danger existentiel. Donc, il ne faut rien lâcher et utiliser tous les moyens à notre disposition. À la fois dans le domaine sécuritaire, mais aussi dans le domaine de la liberté d’expression qu’on leur octroie. Et cela ne doit ne pas uniquement concerner ceux qui vont en Syrie. Le problème n’est pas uniquement avec ceux qui partent. Il est aussi dans nos cités, à Bruxelles.

Peut-on interdire un phénomène comme le salafisme, de la même façon qu’on interdit ce qui touche au nazisme?

Cela demande une réflexion politique approfondie. Comment peut-on interdire quelque chose qui n’est pas un parti, qui n’a pas d’existence légale, pas de représentation ou de forme juridique… Peut-être faut-il passer par la suppression d’aides sociales. En tout cas, il faut réagir, car le phénomène prend une ampleur terrifiante .

Où en est-on au niveau du renseignement?

En France, on est mauvais . On a raté toutes les occasions. Quand la guerre a commencé en Syrie, personne n’a compris que l’on était dans un scénario beaucoup plus dangereux que l’Afghanistan ou le Sahel. La dimension religieuse en Syrie est énorme. On évoque la fin des temps Article original. Il y a un appel d’air très important. En plus, la proximité joue. C’est très facile d’y aller par la Turquie. La seule réaction chez nous a été de contrôler davantage l’octroi de passeports, alors qu’il n’en faut pas pour aller en Turquie…

On aurait dû dès le début infiltrer ces filières. On aurait eu une photo très nette de ce qui se passait là-bas. Maintenant, on est extrêmement faible. Ce sont les Espagnols qui nous ont avertis du départ probable de la sœur de Merah en Syrie. Ce sont les Allemands qui nous ont avertis du périple de Nemmouche. En plus, en infiltrant ces filières, on pourrirait la vie de ceux qui les suivent, elles ne seraient plus fiables .

(1) Samuel Laurent, Al-Qaïda en France, éditions du Seuil.

Entretien d’Olivier Gosset avec Samuel Laurent

Posté le 10 juin 2014 par Philippe Degouy

blogs.lecho.be Article original

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