Première publication des conclusions de l’enquête sur la flottille. Si Barak et Ashkenazi se renvoient la balle, il semble évident qu’une meilleure coordination aurait permis de mener l’opération d’une tout autre façon.

PHOTO: AP , JPOST

Tout est parti d’un film. Lundi 12 juillet, le général à la retraite Guiora Eiland tenait une conférence de presse et présentait les conclusions de son enquête sur les événements du navire turc, Mavi Marmara, qui se dirigeait vers Gaza. L’ancien chef de la Direction stratégique de l’armée et du Conseil national de Sécurité diffuse un court-métrage d’environ 20 minutes. Tout y est retracé, depuis la planification de l’opération, mi-février, jusqu’à la date fatidique du 31 mai, quand les commandos arraisonnent le navire pour le conduire au port d’Ashdod.

Parmi les détails évoqués : une lettre. Adressée par le chef d’état-major, Gabi Ashkenazi à l’attention du ministre de la Défense, Ehoud Barak et du Premier ministre Binyamin Netanyahou, elle met en garde les deux dirigeants. Le 13 mai, soit deux semaines avant l’opération baptisée « Sea Breeze 7 », les propos d’Ashkenazi sont on ne peut plus clairs : « L’action interministérielle est nécessaire. L’option militaire, dont la saisie du navire et l’arrestation des passagers, doit être le recours ultime. »

La missive, présentée dans le film et par la suite dans les médias, montre qu’Ashkenazi avait conscience des risques liés à l’arraisonnement du navire, et avait surtout exhorté ses supérieurs à activer les canaux diplomatiques pour intercepter la flottille. L’épisode malheureux que l’on connaît découlerait donc de l’incapacité de Netanyahou et Barak à tenir compte des conseils de leur chef militaire.

Tous les feux braqués sur lui, Barak se défend comme il peut. Sa riposte : faire valoir que plusieurs semaines avant l’opération, il avait ordonné à Tsahal de « combler les lacunes du Renseignement » et d’envisager la possibilité que des terroristes soient à bord de l’embarcation. Lors d’une réunion au ministère de la Défense, le 3 mai dernier, avant même la lettre d’Ashkenazi, Barak aurait exhorté le Mossad à recueillir davantage d’informations sur les passagers du navire et leurs intentions. Il aurait également demandé au vice-amiral de la Marine, Eliezer Marom, de préparer les commandos de la Shayetet. Le contenu de la réunion en question, entre officiels du ministère de la Défense et de Tsahal, était cependant classé confidentiel.
Mais la presse en a eu vent. Les responsables militaires n’ont donc pas hésité longtemps avant de désigner l’entourage de Barak comme responsable de fuites dans les médias.

Une mésentente aux lourdes conséquences

Les affrontements entre Barak et Ashkenazi sont désormais monnaie courante. En l’espace de quelques mois, les deux hommes se sont heurtés à différentes reprises. En avril, les liens s’étaient tendus après la décision de Barak de ne pas reconduire d’une année le mandat du chef d’état-major, comme il l’avait fait pour le chef du Mossad et celui du Shin Bet. Autre pomme de discorde : le processus de nomination du vice-chef d’état-major. Les deux hommes ne pouvaient tomber d’accord sur un candidat. Barak appuyait la candidature de Yoav Galant, commandant de la région Sud, tandis qu’Ashkenazi soutenait le général Gadi Eizenkot, commandant de la région Nord. C’est finalement Benny Gantz, qui occupait alors les fonctions d’attaché militaire aux Etats-Unis, qui a été désigné.

La relation entre Barak et Ashkenazi a sans aucun doute joué un rôle dans les erreurs « professionnelles », comme les appelle Eiland, qui ont conduit à l’incident du 31 mai et aux dommages diplomatiques collatéraux. Si les deux dirigeants ne peuvent se mettre d’accord lors des réunions, et ne trouvent pas le moyen de coordonner leurs actions, la question se pose : « peuvent-ils réellement faire face à des menaces comme celles de l’Iran, du Hezbollah ou du Hamas ? »

« Ni faute ni négligence »

Lors de son exposé, Eiland s’est refusé à critiquer les agents impliqués. S’il reconnaît « des erreurs opérationnelles », l’enquête ne révèle ni faute ni négligence. Son seul véritable reproche : ne pas avoir prévu de plan B, en cas de violence.

Sur le fond, la commission d’enquête a approuvé l’action des commandos. Elle estime que les soldats ont eu raison d’ouvrir le feu, alors qu’ils étaient confrontés à la violence des passagers qui souhaitaient forcer le blocus maritime sur la bande de Gaza.

D’après le général à la retraite, les officiers n’ont pas à payer personnellement pour les débordements lors de missions. Cette façon de veiller sur Tsahal est, de fait, probablement l’une des raisons pour lesquelles il a été choisi pour diriger l’enquête. Ses positions sont connues : il y a quatre ans, Eiland présentait déjà les conclusions d’une enquête interne de l’armée. Le 10 juillet 2006, soit deux jours avant que la seconde guerre du Liban n’éclate, il avait soumis un rapport sur l’enlèvement de l’officier Guilad Schalit par le Hamas.
Très prudent dans la formulation de ses conclusions, Eiland n’avait pas exigé de sanctions contre les officiers de la division de Gaza, en dépit de divers incidents opérationnels qui ont facilité le kidnapping.

La seule pénalité retenue : l’enregistrement de l’incident dans les dossiers personnels de plusieurs officiers supérieurs du commandement Sud, dont le colonel Avi Peled. Cependant, un an plus tard, Peled était nommé commandant de la brigade Golani, preuve que l’enlèvement de Schalit n’a pas été retenu contre lui. Le commandant de la division de Gaza de l’époque, Aviv Kochavi, semble lui aussi être passé entre les mailles du filet. Il attend actuellement une promotion.

Contrastant avec le rapport d’Eiland, les conclusions de l’équipe qui a enquêté sur l’enlèvement, le 12 juillet 2006 des réservistes Eldad Réguev et Ehoud Goldwasser sont plus cinglantes. Bien que le rapport ne comporte pas de recommandations particulières contre lui, le général Gal Hirsch, homologue de Kochavi au Nord, s’est retiré de ses fonctions après la publication du document.

Un problème plus général se pose : quelle est la responsabilité personnelle des soldats ? Ces dernières années, la norme consiste précisément à publier des conclusions générales sur l’armée, tout en exonérant les officiers qui pourraient être tenus pour responsables des bavures.

Deux écoles de pensée subsistent, à l’heure actuelle, au sein de l’armée. La première soutient que le rapport d’Eiland doit se limiter au niveau opérationnel et faire des recommandations tactiques sur la façon de mener une opération similaire dans le futur. Selon la seconde, Eiland devrait pointer du doigt la responsabilité personnelle de chacun. Les adeptes de cette façon de penser soulignent qu’après une bavure tactique qui a conduit à une telle déroute diplomatique, quelqu’un doit payer le prix.

Reste à savoir qui.

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