La Mosquée de Paris a joué un rôle dans la Résistance pendant la Seconde guerre mondiale. Le recteur de l’époque a même protégé des juifs. C’est ce que raconte Les Hommes libres, un film dont le conseiller historique est Benjamin Stora. Il nous explique l’époque et les enjeux.TC. : Qu’est-ce qui est au cœur de ce film ?

Benjamin Stora : La vie quotidienne des travailleurs maghrébins en France sous l’Occupation. Le cœur du film, c’est l’histoire d’hommes abandonnés, livrés à eux-mêmes après l’Exode de 1940. Ils étaient quand même­ cent mille travailleurs algériens en France en 1939. Leur vie n’a jamais été racontée dans le cinéma français. Les trois quarts étaient des Kabyles.

C’était des hommes seuls qui vivaient dans des conditions misérables. Ils étaient manœuvres, ils travaillaient dans la métallurgie. Sous l’occupation allemande, il y avait encore quelques milliers de ces hommes pris au piège, qui ne pouvaient pas retourner dans leur pays, toutes les voies de circulation ayant été anéanties.

Dans ce film, la Mosquée de Paris joue donc un rôle central.

C’était un endroit où ils allaient manger. Ils ne pouvaient plus travailler. Ils avaient faim. La Mosquée de Paris est apparue comme un lieu de socialisation.

Le film montre toutefois que le recteur de la Mosquée a collaboré avec l’occupant.

Comme toutes les institutions françaises de l’époque. C’était un homme nommé par l’État. Mais il a gardé personnellement son indépendance. Et c’est cela l’élément nouveau que révèle le film et que les historiens français ne prennent pas en compte parce qu’ils ne connaissent pas le lien du recteur avec le sultan du Maroc. Le recteur était très lié au sultan du Maroc.

Or, ce dernier avait refusé de livrer les juifs aux Allemands parce qu’il considérait qu’il s’agissait de ses sujets et qu’il avait un devoir de protection envers eux. Quand les Américains ont débarqué, il a été le premier à les accueillir à Casablanca en janvier 1943. C’est alors que s’est tenue la première conférence des Alliés entre Roosevelt, Churchill, Giraud et de Gaulle, à l’hôtel Anfa.

Ce que vous racontez permet d’expliquer cette scène étonnante lors de la rafle du Vel’ d’Hiv : deux enfants juifs sont recueillis dans la mosquée à la barbe des Allemands.

C’est à la fois surprenant et plausible. J’avais recueilli en Algérie le témoignage de juifs séfarades, qui parlaient donc l’arabe, et qui avaient effectivement mangé à la Mosquée de Paris en 1942. Ce n’est pas un phénomène de masse mais il y a des juifs qui se sont réfugiés là-bas. Le cas le plus spectaculaire, qui est dans le film, c’est celui du chanteur juif kabyle Simon Hallali à qui le recteur a fait délivrer une attestation comme quoi il était mahométan, comme on disait alors, et ce papier lui a permis d’avoir la vie sauve. Certes, la plupart des juifs qui vivaient à Paris venaient d’Europe centrale et ne se sont jamais approchés de la mosquée. Mais il y avait des juifs séfarades qui, eux, savaient ce qu’était l’islam.

Pourquoi sommes-nous surpris de voir des musulmans sauvant des juifs ?

Parce qu’on voit avec les lunettes d’aujourd’hui. En Algérie, quand les juifs ont eu leurs biens confisqués, les musulmans ne se les sont pas appropriés. Il y a un risque d’anachronisme historique très fort de la part de ceux qui prétendent condamner les relations qui existaient à la lumière du conflit israélo-palestinien d’aujourd’hui.

Un problème demeure pourtant : il n’existe aucun document prouvant que la Mosquée ait sauvé des juifs.

Il n’y a pas de document officiel. Ce sont des circonstances individuelles : un homme apporte des papiers à des gens dans un appartement et tombe sur deux enfants qu’il ramène à la Mosquée. Cela veut dire qu’il y avait une possibilité pour deux enfants de demeurer à la Mosquée. C’est la complexité de l’Histoire. Je trouve même incroyable qu’il puisse y avoir polémique alors que c’est la première fois qu’un réalisateur de culture musulmane parle de la Shoah. Je ne connais aucun réalisateur musulman qui en ait parlé jusqu’à présent.

Comme conseiller historique du film, vous vous êtes fondé sur quels documents ?

Les archives du Quai d’Orsay, celles de la police, qui sont des notes de surveillance. Lorsque le major allemand lit, dans le film, une lettre qui accuse le recteur de couvrir la fabrication de faux papiers, c’est un document d’époque. J’ai fait ma thèse de troisième cycle en 1978 à l’École des hautes études en sciences sociales sur Messali Hadj, Algérien arrivé en France en 1923, fondateur en 1937 du Parti du peuple algérien (PPA).

Il a refusé la collaboration et a été condamné par Vichy à 16 ans de travaux forcés. Fondateur du Mouvement National Algérien (MNA) après la guerre, il fut progressivement marginalisé par le FLN qui le trouvait trop conciliant avec la France. Messali Hadj est un grand oublié de l’Histoire. On a un point aveugle de la recherche historique française parce que Messali a refusé de collaborer.

Vous évoquez en fait les prémices de la guerre d’indépendance algérienne.

Il y a des Algériens qui ont collaboré et des Algériens qui furent du côté de la Résistance parce qu’ils étaient pour l’indépendance. C’étaient des messalistes. Ils étaient nationalistes. Messali Hadj était en contact avec le Parti communiste. Ces Algériens-là, ils avaient en fait une tradition communiste, socialiste, révolutionnaire. Ils étaient dans les syndicats du Front Populaire. En 1940-1943, la plupart de ces malheureux qui vivaient à Paris, oubliés, abandonnés, appartenaient à une histoire qui est celle du syndicalisme français.

Et pourtant, ce sont des hommes invisibles, ils n’existent pas.

Ce que je trouve positif dans Les hommes libres, c’est de faire entrer les jeunes des banlieues dans l’histoire française, de leur redonner une place dans l’histoire de la nation, à travers l’engagement dans la résistance. On réintègre des mémoires particulières dans une histoire nationale. Le mérite de ce film incroyable, qui reconstruit un récit républicain, c’est de dire à ces jeunes : vous avez des grands-parents, des arrières grands-parents qui ont été dans les mouvements de résistance française.

Une histoire ignorée

C’est un Paris insolite et jamais montré au cinéma qu’ex­pose le réalisateur français d’origine marocaine Ismaël Ferroukhi, 49 ans, dans Les hommes libres. Nous sommes en 1942. Younès, jeune émigré algérien, gagne sa vie à Paris dans le marché noir. Arrêté par la police française, il accepte, pour ne pas être emprisonné, une tâche d’indic à la Mosquée de Paris, la police soupçonnant le recteur de cacher des résistants et des juifs. À la Mosquée, Younès rencontre un chanteur algérien, Salim. Il s’appelle en réalité Simon Hallali et connut son heure de gloire avant-guerre dans les cabarets orientaux de la capitale. Berbère juif qui chantait en arabe sur des accents de flamenco, Simon Hallali échappa aux rafles de l’occupant et de la police de Vichy grâce au recteur et fondateur de la Mosquée de Paris, le Marocain mélomane Si Kaddour Ben Ghabrit, interprété par Michael Lonsdale, qui le fit passer pour musulman, allant jusqu’à graver le nom du père d’Hallali sur une tombe du cimetière musulman de Bobigny. Le recteur de la Mosquée fut décoré après la guerre de la médaille de la Résistance.

Le cinéaste expose, grâce aux recherches de l’historien Benjamin Stora, les courants idéologiques qui agitèrent la Mosquée autour de ces résistants maghrébins qui, après la victoire des Alliés, revendiquèrent dans les années 1950 l’indépendance de l’Algérie.

Les hommes libres, d’Ismaël Ferroukhi, 1h32, en salle.

Benjamin Stora

Enseigne l’histoire du Maghreb contemporain à l’université Paris-XIII. Il a notamment publié : La guerre invisible, Algérie, années 1990 (Presses de Sciences Po, 2001), Le Mystère de Gaulle – son choix pour l’Algérie (Robert Laffont, 2009),

Lettres, récits, et carnets des Français et des Algériens pendant la guerre d’Algérie (Les Arènes, 2010), Le nationalisme algérien avant 1954 (CNRS éditions, 2010).

Publié dans Témoignage Chrétien

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Jean

Ce Benjamin Stora ,ne l’oublions pas, est encore trotskyste même si comme son ami Jospin ,de la même obédience ,les Lambertistes ,il s’en cache .

Comme Mélenchon d’ailleurs qui a rejoint ses anciens pires ennemis (les staliniens du P.C.F. )

Il est pro arabe et relativise , autant qu’il le peut, le terrorisme algérien du F.L.N., qui s’en est pris essentiellement à des civils ,quand il ne le légitime pas .

Implicitant alors une « légitimité » du terrorisme palestinien bien sûr .

C’est un faux cul , une crapule ,un négationniste de la même espèce que Faurisson simplement sur un autre sujet .

Mais ce fumier réécrit l’histoire avec son regard de gauchiste .

J’ai honte de cet ex compatriote (une autre explication serait qu’il ait eu un membre de sa famille tué ou blessé par des gens de l’O.A.S. ou par des partisans ou tenants de la colonisation).

Les pogroms anti juifs ne manquèrent pas dans les pays à majorité musulmane . Pour en avoir une vue d’ensemble ,il faut lire Le Dhimmi de Bat Yeor (universitaire israélienne ) traduit chez Anthropos

roland1974

C’est une bonne remarque concernant l’acteur,…Pourtant il faut reconnaitre qu’il ne manque pas d’acteur d’origine algérienne en france,…ça résume un peu leur attachement envers la communauté juive

Lucie-boulitrop

C’est curieux comme la mémoire subit les manipulations médiatiques du moment. Tout d’un coup, parce qu’un Benjamin Stora assiste un film réalisé par un Algérien (et c’est tout à son honneur) sur un thème complètement inconnu et même pas prouvé on gomme des faits réels, terribles et eux vraiment prouvés. On nous prend pour des Zozos comme si nous étions TOUS complètement incultes et imbéciles. Nous ne sommes pas TOUS des moutons de Panurge et nous savons ce qui est arrivé à nos familles au Maroc (Fès, Meknés et même Casablanca en 1952). Alors moi je veux bien croire à cette histoire s’il y a des témoins. Et puis autre chose, pourquoi Mickael Londsdale dans ce rôle de Recteur ? N’y a t il pas un Marocain ou Algérien digne d’endosser ce rôle pour le rendre encore plus crédible.

Armand Maruani

Article intéressant à lire sur les liens entre Mohamed V et les juifs du Maroc .

http://www.telquel-online.com/274/couverture_274.shtml histoire des camps de concentration au maroc .

Cen3461

C’était le 7 juin 1948 au Maroc

Je n’avais que 14 ans à l’époque, un peu plus d’un an après ma Bar Mitzva (*) et pourtant je me souviens encore parfaitement de cette effrayante nouvelle qui nous parvint à Rabat : des Juifs avaient été massacrés à Oujda (frontière algéro-marocaine) et à Djérada le 7 juin 1948……………………3 semaines après la Déclaration d’Indépendance de l’Etat d’Israël !

Ce jour-là, sans raison particulière apparente, quoique…………………., des Arabes, en médina d’Oujda, assassinèrent 5 Juifs et un non-Juif, détruisant des boutiques et des maisons appartenant à des Juifs. La police n’intervint pas et des « mokhaznis », supplétifs marocains de la police, au lieu de défendre les victimes, se joignirent aux émeutiers.

Le même jour, à Djérada, ville minière à 50 kilomètres d’Oujda, d’autres émeutiers, ou peut être les mêmes d’ailleurs, assassinèrent 43 Juifs et en blessèrent 155 (hommes, femmes, vieillards, enfants, bébés) dont un Rabbin (Moïse Cohen) et toute sa famille (sa femme et ses 5 enfants dont le plus jeune n’avait que quelques mois……………comme à Itamar).

Le pacha d’Oujda, qui assista aux obsèques des victimes, fut lui-même poignardé dans la grande mosquée par un des émeutiers assassins de ces malheureux Juifs.

Nous étions naturellement à l’époque du Protectorat et, malgré que le Général Juin, Résident Général de France au Maroc, se soit rendu à Oujda pour faire savoir à la population que justice serait rendue, l’Administration française ne fit rien……………….ou pas grand chose.

Ce massacre rappela aux anciens ce qui se passa à Constantine (Algérie) en 1934, année de ma naissance. Le 5 août, 28 Juifs (hommes, femmes, vieillards, enfants, bébés) furent assassinés, des dizaines grièvement blessés, des maisons et boutiques juives saccagées.

Contrairement à ce que certains Juifs d’Afrique du Nord veulent bien croire, ou faire croire, surtout ceux qui conservent encore des « coutumes arabes » comme ces « you-you » qu’on peut entendre jusque (scandaleusement) dans des Synagogues » (**), les relations entre Juifs et Arabes furent émaillées de certaines émeutes similaires, certes moins graves que celles d’Oujda et Djérada, comme ce fut le cas par exemple à Mekhnès et Sefrou.

Ces dramatiques événements ne doivent cependant pas nous faire oublier la courageuse attitude du Sultan du Maroc (devenu le Roi Mohammed V après l’Indépendance du Maroc en mars 1956) pendant la sombre période de la collaboration de l’ex-maréchal Pétain avec les Allemands. Il (le Sultan) refusa en effet d’obéir aux ordres de Vichy qui voulait étendre au Maroc le statut des Juifs décrété en France. Mais aurait-il pu résister longtemps sans le débarquement américain au Maroc en novembre 1942, débarquement auquel s’opposa le Général Noguès, Résident Général de France ? Rien n’est moins sûr !

Le souvenir de ce sinistre 7 juin 1948 fut non pas oublié mais atténué par un autre 7 juin, en 1967 celui-là, au 3ème jour de la Guerre de Six jours, lorsque le Général Motha Gur, à la tête de ses parachutistes, arriva au Kotel (Mur occidental) et libéra Jérusalem.

(*) On disait couramment « communion » comme on disait « galette » et non « matsa », « calotte » et non « kippa », « Pâques » et non « Pessah »……………….

(**) Tout dernièrement encore, j’assistai à une Bar Mitzva et, tant à la Synagogue que dans la salle de fêtes, on pouvait entendre des « you-you », les mêmes que ceux que les femmes arabes poussent, joyeusement et hystériquement, dans les rues de Gaza, Ramallah ou d’autres villes arabes lorsque des Juifs israéliens sont assassinés. Souvenons-nous de ces horribles « cris » de joie de femmes arabes lorsque l’assassinat de la famille Fogel (Z’’L) fut connue !

Charles Etienne NEPHTALI

PEDRO

Une prècision sur le texte de Mr Maruani , concernant les evenements d’Algèrie et actes terroristes , je me permets de prèciser que l’attentat d’Oran en 1961 , contre uncoiffeur d’Oran sortant le jour de Rosh Ashana de la Synagogue , avec son enfant sur le bras , a ètè sur le moment attribuè à un terroriste , mais après l’independance , nous avons eu confirmation qu’il n’en ètait rien , mais perpetrè par des gens qui voulaient faire basculer le quartier juif , qui ètait jusque là restè plus au moins neutre et qu’il fallait entrainer dans le combat de l’Algèrie Française . Ce qui ètait normal avec le recul , mais ils auraient pu employer un autre argument. De toutes façons la rèaction a èté immediate .

Armand Maruani

N ‘OUBLIONS PAS QUAND MÊME . UN ÉCHANTILLON DE L’AMOUR DES ARABES POUR LES JUIFS EN ALGÉRIE .

Les Juifs, qui, comme dhimmis, n’ont pas le droit d’être propriétaires fonciers sont le plus souvent artisans ou commerçants : tailleurs, brodeurs, cordonniers, mais aussi orfèvres, bijoutiers ou joaillers. Ils peuvent même battre la monnaie du Dey.
. En 1815, c’est le grand-rabbin d’Alger, Isaac Aboulker qui est décapité lors d’une émeute
émeutes antijuives à Oran en 1897 où des Arabes sont payés pour piller les maisons juives , puis sur les émeutes dramatiques de Constantine en août 1934 qui font 25 morts parmi les Juifs et 3 Arabes tués par la police et qui révèlent l’impuissance « suspecte » des autorités73.

Parmi les exactions subies par les Juifs : la profanation en 1960 de la synagogue d’Alger ainsi que du cimetière d’Oran , l’agression contre le rabbin de Batna en 1955, l’incendie dans une synagogue à Oran en 1956, le meurtre du rabbin de Nedroma en 1956, le meurtre du rabbin de Médéa en 1957, la projection d’une grenade dans une synagogue de Boghari, Bousaada, le saccage de la synagogue de la Casbah à Alger en 1961, des attentats dans les quartiers juifs en 1957, 1961 et 1962 à Oran et Constantine88. Le 2 septembre 1961, l’assassinat d’un coiffeur juif à Oran entraîne représailles et contre-représailles entre Juifs et Arabes .