Les « grandes coalitions » ont la cote en Europe.
Les dithyrambes sur le triomphe d’Angela Merkel lors des élections du dimanche 22 septembre au Bundestag auraient dû être tempérés par une analyse plus poussée des chiffres sortis des urnes. Le score total de la coalition sortante (CDU-CSU-Libéraux) baisse de deux points (de 48% à 46%). La gauche, tous partis confondus, perd également du terrain, passant de 45 à 43% des votes populaires.

La barre des 5% nécessaire à un parti pour avoir des députés renverse la tendance en termes de sièges au Bundestag : les libéraux ayant échoué, la gauche se trouve majoritaire en sièges, et pourrait théoriquement former une coalition de gouvernement composée du SPD, des Verts et de Die Linke, équivalent allemand de notre Front de gauche. Sauf que, pour des raisons historiques, cette coalition est impossible : Die Linke est encore trop marquée par le présence dans ses rangs des nostalgiques de la RDA pour être acceptée à la direction des affaires du pays.

Le triomphe d’Angela Merkel est donc la conquête de l’hégémonie totale de son parti sur la droite et le centre-droit après l’effondrement des libéraux qui sont absents du Bundestag pour la première fois depuis la création, en 1949, de la République fédérale d’Allemagne. La nouvelle génération des dirigeants de ce parti, le FDP, composée de bobos et de dandys, ne s’est pas montrée à la hauteur de ses grands anciens, Hans-Dietrich Genscher ou Otto Graf Lambsdorff, vieux routiers de la politique qui maitrisaient au merveille les atouts d’un petit parti charnière capable de s’allier aussi bien avec le SPD qu’avec la CDU. Les électeurs FDP, petits entrepreneurs et membres de professions libérales, ont cette fois-ci déserté en masse pour rejoindre la rassurante Angela, alors que la ligne erratique du FDP sur l’Europe ou la fiscalité, ses querelles internes avaient fini par écœurer les plus fidèles de ses supporters.

On ne saurait classer ni a droite ni à gauche les électeurs du nouveau parti Alternative für Deutschland (AfD), partisan de la sortie de l’Allemagne de l’euro, qui a frôlé de peu l’entrée au Bundestag : ses électeurs proviennent des deux camps, rassemblant ceux qui estiment qu’avec l’euro, l’Allemagne est la vache à lait du continent…

Deux coalitions majoritaires sont donc, mathématiquement, possibles :

Une alliance de la CDU et des Verts (déjà expérimentée dans le Land de Hambourg) et la grande coalition CDU- SPD qui a gouverné la RFA à plusieurs reprises dans son histoire, la plus récente entre 2005 et 2009 sous la direction d’Angela Merkel. La première solution est peu probable : elle se heurte à de fortes résistances au sein de la CDU, notamment dans sa branche bavaroise la CSU, très hostile aux penchants anti-industriels des écologistes. Le SPD est encore traumatisé par l’expérience de 2009, où les électeurs lui avaient chèrement fait payer les réformes des régimes sociaux et de retraites menée par le gouvernement Merkel, dans la ligne du Plan Hartz mis en œuvre par Gerhard Schröder. Mais peut-il faire autrement que de répondre à l’appel d’Angela d’entrer au gouvernement, avec un rapport de force moins favorable qu’en 2005 ? Les discussions seront âpres, l’actuel président du parti, Sigmar Gabriel, devra sans doute s’effacer, mais il faudra bien en passer par là. La population lui tiendrait plus rigueur de déclencher une crise politique à un moment décisif pour l’avenir de l’euro et la place de l’Allemagne au sein de l’Union que de faire les compromis nécessaires pour assurer la stabilité gouvernementale dans une période troublée.

Angela Merkel, de son côté, sait bien que son dernier mandat (elle a annoncé sa retraite pour 2017) serait beaucoup moins confortable avec les Verts au gouvernement et le SPD dans l’opposition. Donc, elle fera ce qu’il faut pour que les « camarades » sociaux-démocrates se joignent à elle pour gouverner. Et c’est ainsi que dans quelques semaines, un nouveau gouvernement d’alliance centre droit – centre gauche viendra s’ajouter à ceux qui dirigent d’autres pays importants de l’UE : Pays-Bas, Belgique, Luxembourg, Italie, Autriche, Finlande.

Ce n’est pas étonnant : dans une période où ce qui prime, c’est la défense des intérêts nationaux dans une Union européenne en pleine déliquescence, on resserre les rangs au sein des nations. L’entrée du SPD au sein du gouvernement de Berlin ne va pas faire le bonheur immédiat des Grecs, Portugais et Espagnols soumis au diktat de la troïka pour redresser leur compte et se serrer la ceinture. Lorsqu’il était ministre des finances dans l’équipe Merkel, le candidat social-démocrate battu Peer Steinbrück n’était pas le dernier à fustiger les déficits excessifs des pays dits du « club med ». L’Allemagne ne paiera pas plus avec les socialistes au pouvoir que sans eux : la mutualisation des dettes des pays de l’UE, et les transferts de fonds sans garanties draconiennes vers les pays en difficulté ne figurent pas dans leur programme. Ils défendront prioritairement les intérêts des classes populaires et moyennes allemandes, qui forment le gros de leur clientèle électorale.

La France, en raison de l’héritage constitutionnel du gaullisme, est dans l’incapacité de mettre en place une formule gouvernementale de rassemblement national qui lui donnerait plus de poids en Europe. Et c’est bien dommage.

*Photo : London summit.

Luc Rosenzweig est journaliste.

causeur.fr Article original

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