Cette paracha inaugure une série de quatre parachiot parmi les plus dures de tout le Tanakh concernant le peuple d’Israël et l’on doit immédiatement relever à ce propos que le récit biblique n’en cache et n’en atténue rien. Jusqu’à présent a été décrite l’organisation pour ainsi dire idéale de ce peuple. Désormais, le voici à l’épreuve. Pour bien comprendre ce qui va suivre, il faut en effet revenir sur un des épisodes les plus marquants relatés dans la paracha précédente, celui au terme duquel le peuple ayant exigé d’être nourri de viande Moïse éclate de chagrin, allant jusqu’à requérir de Dieu la fin de ses jours.

PARACHA CHELAH’LEKHA

( Nb, 13 et sq )

Moïse sent que sa fin approche, que le plus difficile de l’histoire de son peuple commence. Aux abords de la terre de Canaan, le Créateur lui demande d’y envoyer un groupe d’explorateurs afin d’investiguer dans toute la contrée pour savoir quelle est sa conformation, sa fécondité, la disposition physique et mentale de ses habitants actuels, la forme de ses villes et leurs défenses, et s’il s’y trouve « de l’arbre ou rien (êts in ayn ) », formule sur laquelle on reviendra.

Première interrogation: pourquoi Moïse n’est –il pas invité à conduire lui même cette exploration pionnière ? Pourquoi la confier à un échantillon symbolique du peuple ? On l’a pressenti: parce que sa propre fin approche et qu’il lui faut passer le relais. Cette transition a commencé dès la paracha précédente avec la constitution de l’assemblée des 70 sages, dotés d’un esprit prophétique allumé à celui de Moïse mais irradiant désormais dans l’ensemble du peuple. En somme, le peuple s’autonomise progressivement en endossant les responsabilités qui jusqu’à présent ont été assumées par le seul Moïse, assisté d’Aharon et de Myriam.

Parmi les multiples enseignements de la paracha Lekh Lekha, l’on retiendra donc pour commencer celui –ci: assumer une responsabilité ne va pas de soi. Cette prétention exige force, endurance, esprit de suite. Au départ, quoi de plus élitiste que cette délégation! Chacun des noms qui la constituent peut être lu comme un brevet de prestige. Certes, mais le prestige doit être honoré et « noblesse oblige », sans intermittence. Les explorateurs vont ainsi pénétrer en terre de Canaan, sans que personne n’y perçoive leur présence. Ils en « auront plein les yeux », suivant l’expression populaire. Cette contrée apparaît comme un mélange de cocagne et de cité anté-diluvienne. A preuve: l’énorme grappe de raisins qu’il devront charrier sur leurs épaules.

Ce que Moïse leur a demandé surtout est de vérifier si ce pays comporte de « l’arbre ou non ». On l’a relevé, cette formule appelle le commentaire puisqu’il suffisait d’un simple coup d’œil, fût- ce de loin, pour constater qu’elle était boisée et fructifère. Cette formule recèle alors un autre sens, plus condensé.

Si, dans la langue hébraïque, le mot ÊTs désigne l’arbre, il le désigne ainsi parce que, au delà de l’image même de cet arbre singulier, le mouvement générique de l’arborescence se donne à discerner et à comprendre. Qu’est- ce qu’une arborescence ? A partir d’une ligne unique, une bifurcation première donnant naissance à des arborescences secondaires de plus en plus fines.Les psychologues le savent précisément avec le « test de l’arbre ».Cette figure- là est signe de liberté, celle qui découle de la possibilité de choisir, entre plusieurs directions, entre plusieurs options. A condition que la fibrillation en cours ne se conclue pas en cassure, en séparation et en dispersion. D’où la nécessité correspondante d’une forte attache des branches entre elles et de toutes au tronc commun, lui même solidement enraciné. On l’a vu avec la Ménora.

Aussi, la racine Êts qui s’écrit en hébreu avec deux lettres elles -mêmes bifurcantes, le âyn et le tsadé, se retrouve dans le mot ÊTsA qui désigne le conseil. On comprend mieux à présent la formule utilisée par Moïse: « Hayech bah êts im-ayn »: s’il y a en elle de l’arborescence – entendue en ce sens – ou « rien ». La résonance de cette formule est considérable. Elle semble faire écho à celle des Bnei Israël, au lieu -dit Massa et Mériba, avant l’agression de Âmalek, elle même sanctionnant ce questionnement dubitatif: « Hayech Hachem békirbénou im- ayn »: « Si Le Créateur est parmi nous ou rien »( Ex, 17, 7 )… Comme s’il fallait, au moment de franchir la ligne d’arrivée, à nouveau vérifier que les représentants du peuple avaient bien intégré la signification de leur responsabilité. Aussi riche soit elle, une terre n’est que désolation si l’esprit de – bon – conseil ne s’y trouve pas, car c’est en ce conseil et par lui que la Présence divine s’atteste.

Il ne faudra pas attendre longtemps pour constater à quel point l’enseignement n’a pas été compris. Au retour de leur expédition, les envoyés de Moïse se montreront de très mauvais conseil, provoquant la désespérance du peuple, une désespérance dont les effets différés se manifesteront jusque dans la destruction des deux Temples de Jérusalem. Heureusement, Josué, fils de Noun, dont le nom avait été opportunément changé et bonifié par Moïse avant le départ du groupe, et Caleb, fils de Yéphouné, échapperont au concours de médisance.

Cependant la question demeure: pourquoi Moïse n’a t –il pas également changé et bonifié le nom des autres explorateurs ?

A chacun et à chacune d’y réfléchir.

Raphaël Draï – Le Blog Article original

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