Benyamin Netanyahou semble avoir fait sienne la définition de la flexibilité politique selon Groucho Marx : « voici mes principes, s’ils ne vous conviennent pas, j’en ai d’autres ». C’est en publiant plusieurs livres sur le terrorisme que Netanyahou a commencé sa carrière politique. Son mantra d’alors était que les terroristes ne doivent jamais être libérés.

Et pourtant, il a fait exactement l’inverse. En octobre 2011, il a décidé de libérer des centaines de terroristes en échange de Gilad Shalit.

Ayant déjà bafoué ses propres principes une première fois, Netanyahou pouvait difficilement s’opposer au secrétaire d’Etat américain John Kerry. « Vous avez déjà libéré des centaines de prisonniers du Hamas en échange de Gilad Shalit, et vous ne feriez pas ce geste envers Mahmoud Abbas? », lui aura-t-il dit. « Vous encouragez presque l’OLP à kidnapper un autre soldat israélien pour qu’Abbas parvienne à libérer ses amis ». Evidemment, Netanyahou avait raison avant qu’il ne change d’avis : quiconque capitule face au terrorisme n’a plus aucune chance.

Comme bien des hommes d’Etat, Netanyahou est constamment confronté aux dilemmes de la Realpolitik ou de ses propres principes. Machiavel, face à cette situation, donne une recommandation claire. « S’il s’agit de délibérer de son salut, il ne doit être arrêté par aucune considération de justice ou d’injustice, d’humanité ou de cruauté, de honte ou de gloire. Le point essentiel qui doit l’emporter sur tous les autres, c’est d’assurer son salut et sa liberté ». Netanyahou semble avoir également fait siennes les idées de Machiavel. Ce faisant, il oublie, tout comme Machiavel, l’essentiel : une approche uniquement pragmatique et débarrassée de tout encombrement moral menace à son tour le salut et la liberté de la nation.

Le diplomate israélien Abba Eban l’expliquait, « les écrivains qui décrivent une société idéale s’évertuent le plus souvent à situer leurs utopies sur une île déserte ou au sommet d’inaccessibles montagnes. Ils évitent alors les deux choses qui rendent ces utopies impossibles : l’existence de frontières, et de voisins ».

Le mouvement sioniste aspirait depuis ses débuts à la naissance d’un Etat juif au coeur du Moyen-Orient, et non pas dans le désert ou sur un pic montagneux. Il n’est donc pas surprenant que le dilemme entre idéologie et réalisme se soit si vite rappelé à nous. Dès 1903, le gouvernement britannique offrait l’Ouganda pour y établir un Foyer national juif. Les dirigeants sionistes avaient dû choisir entre l’accès immédiat à la souveraineté, ou l’idée même du retour à Sion. Un dilemme similaire a de nouveau émergé en 1937 et en 1947 avec les plans de partition qui offraient eux aussi le difficile choix entre notre idéologie (la lutte pour Jérusalem et la terre d’Israël) et le pragmatisme (la souveraineté, possible ici et maintenant).

Avec l’indépendance d’Israël, de nouveaux dilemmes ont vu le jour, concernant cette fois la politique étrangère.
L’accord « des réparations » signé entre Israël et l’Allemagne de l’Ouest en 1952 fut un cas classique (et passionné) de ce que nous évoquons ici : Israël devait-il tourner la page avec l’Allemagne juste parce que son économie était exangue?

Après la guerre des Six jours (en 1967, ndlr), le Premier ministre Levy Eshkol captura d’une phrase le dilemme existentiel du pays en affirmant qu’il « aimait la fiancée, mais pas sa dot ». Israël avait à la fois recouvré sa patrie historique et hérité d’un poids démographique lourd.

Après la guerre de Kippour (en 1973, ndlr), Israël fut isolé sur la scène internationale. Tentant de contourner cette solitude, nos gouvernements ont coopéré avec l’Afrique du Sud et les régimes militaristes d’Amérique latine. C’est un exemple de pure Realpolitik. Israël était alors bien loin de ses aspirations de constituer « une lumière parmi les nations ».

La liste continue mais le dilemme décrit par Machiavel reste toujours le même : face au choix entre nos intérêts et nos principes, que doit-on choisir ? Dans notre cas, la tension entre idéalisme et réalisme est particulièrement palpable du fait du contraste entre l’état de guerre permanent et les idéaux déclarés d’Israël : sanctification de la vie humaine, solidarité juive, constitution d’un refuge pour les exils juifs.

L’historiographie occidentale considère le plus souvent ceux qui n’abandonnent pas leurs principes face au danger mortel comme des héros nationaux. Abraham Lincoln eût surement pu arrêter la guerre de sécession américaine plus tôt, s’il n’avait insisté à abolir l’esclavage. Mais c’est là justement la raison pour laquelle les Américains le considèrent comme un héros. Pour cette décision personnelle de se battre pour un idéal qui l’avait mené à la guerre. Winston Churchill, lui aussi, aurait pu trouver un accord avec Hitler après l’écroulement de la France en mais 1940. C’est ce vers quoi le poussaient les « réalistes » anglais. Mais il prit le risque de se battre encore, parce qu’il avait compris que la seconde guerre mondiale était un conflit de civilisation, et non de pouvoir politique. Suite à l’invasion de la France par la Wehrmacht, Pétain fut le porte-voix du « pragmatisme » tandis que de Gaulle parlait en termes d’honneur et de liberté pour la France vaincue. Lincoln, Churchill, De Gaulle – tous sont à juste titre encensés pour avoir su rejeter le « pragmatisme » et se battre pour les principes et les idéaux sur lesquels se fondent leurs nations.

En Israël, à l’inverse, le « pragmatisme » est sacro-saint !

Ben Gourion était sage, il a accepté le plan de partition. Begin était courageux, il a abandonné le Sinaï à l’Egypte. Rabin etait un héros, il a reconnu l’OLP.

Quand De Gaulle est glorifié par les généraux israéliens, c’est pour sa politique algérienne et non pas pour sa rébellion contre la France de 1940. La plupart des analystes israéliens ont de bonnes choses à dire sur leurs politiciens prêts à libérer des terroristes, à accepter des concessions territoriales ou à se plier aux pressions internationales – et tout ceci, au nom du « pragmatisme ».

Netanyahou se plie à cet esprit.

Contrairement aux héros occidentaux, mais tout comme Machiavel, Netanyahou est aveuglé par la Realpolitik. Il ne vit plus que dans un pays qui abandonne sa justice et son honneur, la liberté perd de son sens et la sécurité n’a plus de valeur.

Il semble surtout avoir oublié, que tout comme les principes de Groucho Marx, nos dirigeants aussi sont remplaçables.

Le Dr. Emmanuel Navon dirige le département de science politique et de Communication au collège universitaire orthodoxe de Jérusalem et enseigne également les relations internationales à l’Université de Tel-Aviv et au Centre interdisciplinaire de Herzliya. Il est chercheur au Forum Kohelet de politique publique.

Emmanuel Navon/ I 24 news Article original

TAGS: Netanyahou politique real politik Machiavel terroristes

Guilad Shalit Groucho Marx No Nonsense

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DANIELLE

Oui  » nos dirigeants aussi sont remplaçables » mais par qui ?

Tout le monde dort en Israël alors Bibi se taille la part du lion et nous réagirons qu’en cas de guerre comme d’habitude!

Ou plutôt , le gouvernement fait son boulot puisqu’il réussit à endormir le peuple en lui assénant des taxes, toujours des taxes !

pseudodo

Pragmatisme vs Idéalisme

Le pragmatisme des arabes c’est la trêve en attendant la reconquête.