Lorsque, en chemin vers la synagogue où j’exerce en tant que rabbin, je passe devant la coupole des Invalides, je pense à l’homme qui repose sous l’imposant édifice et à la façon dont, près de deux siècles après sa mort, l’influence pèse toujours aussi lourd sur nos institutions et nos vies privées. Avertissement : ce texte, paru dans Le Monde d’hier, 13 mai, rappelle quelques vérités, saillantes dans diverses affaires ressorties ces temps-ci. JForum laisse l’auteur et les lecteurs libres d’exprimer leurs sensibilités, fidèle à sa vocation du pluralisme d’expression de la judaïté. Il ne nous appartient pas, in fine, de dire qui a tort ou raison, dans ses pratiques ou opinions. Force est de constater qu’une refonte, un mieux disant représentatif, s’impose, quel qu’en soit ses choix, à l’issue, peut-être, d’Etats-Généraux du Judaïsme français, avec la participation des meilleurs nous ayant quitté, en faisant le choix de l’Aliyah »>Article original

En 1808, Napoléon Ier crée une institution aujourd’hui bicentenaire, le consistoire israélite de France, organe officiel et représentatif du culte juif. Son organisation calquée sur celles de l’Église catholique et du consistoire protestant répond alors au souci pratique etpolitique du fin stratège qu’est l’empereur : celui d’identifier un interlocuteur unique au sein d’une minorité émancipée depuis moins de vingt ans.

Les juifs, bien qu’épris par tradition religieuse de débats contradictoires et d’interprétations plurielles, acceptent alors ce modèle  »à la française » d’une institution unique et centralisée avec à sa tête un Grand-rabbin de France appelé à les représenter. Ils vont perpétuer et chérir un modèle efficace de représentativité, longtemps garant d’un dialogue institutionnel fécond avec les pouvoirs publics.

Deux siècles plus tard, où en est cette représentativité ? L’institution consistoriale s’est radicalisée depuis plusieurs décennies. Elle exprime aujourd’hui presqu’exclusivement la voix d’une sensibilité orthodoxe, dans la négation des mouvances et des sensibilités plurielles qui composent le judaïsme aujourd’hui, y compris celles des partisans d’une orthodoxie plus souple et moderne. Les mouvances progressistes, très largement présentes au sein de la diaspora juive mondiale, n’y sont pas représentées et leurs institutions n’y sont pas entendues. Leurs rabbins ne sont pas reconnus, surtout pas quand elles sont femmes, dans une institution qui peine à engager une réflexion véritable sur les droits des femmes, leur accès au texte et aux responsabilités.

RADICALISATION

Comment parler au nom du groupe lorsqu’on n’entend pas toutes les voix qui le composent ? Comment se dire représentatif du judaïsme français quand la diversité et la richesse de ses sensibilités ne sont ni représentées ni entendues ? Dans l’évolution de ce modèle à la française, le judaïsme, qui ne connaît pourtant ni clergé ni dogme, a fini par se cléricaliser et se figer dans le rigorisme, suggérant qu’un courant serait autorisé à parler pour tous et, de préférence, par ses voix les plus conservatrices. Après la démission du Grand-rabbin Bernheim, un nouveau Grand-rabbin de France doit être élu le 22 juin prochain. Au moment où débute la campagne des dix hommes qui se sont portés candidats, une nouvelle  »affaire » secoue l’institution.

Un collège de rabbins, dont le Grand-rabbin de France par intérim, est soupçonné d’avoir arbitré par transaction financière l’octroi d’un divorce religieux à une jeune femme. Si l’accusation est avérée, de tels actes piétinent à la foi les principes du judaïsme, du droit français et de l’éthique. Les faits incriminés, mettent par ailleurs en cause un traitement discriminatoire à l’égard des femmes dont il faut dire à quel point il constituerait un dévoiement de la tradition juive. Mais quelle que soit la conclusion de cette grave affaire, le problème de la représentativité du consistoire demeurera posé. En hébreu, le mot « visage » -panim n’existe qu’au pluriel. Le prochain grand rabbin de France n’aura de légitimité et de grandeur que s’il saitpercevoir et refléter les visages des juives et juifs de France, au sein d’une institution consistoriale réformée et pleinement respectueuse des femmes et des hommes qu’elle entend représenter.

Le Monde.fr Article original | 13.05.2014 à 15h52 • Mis à jour le 13.05.2014 à 15h55 |
Par Delphine Horvilleur (Rabbin)

Delphine Horvilleur, est rabbin du Mouvement juif libéral de France (Paris). Elle est l’auteur d’En tenue d’Ève. Féminin, pudeur et judaïsme, Grasset, 2013.

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david c

je me permettrai d’ajouter qu’il n’y a pas à craindre l’emploi de « matériel d’espionnage » quand on ne fait rien de mal !

Ruth

« c’est la raison pour laquelle, en l’absence d’accord amiable entre les parties, une procédure au civile peut se prolonger plus de 10 ans, »
Une procédure civile de divorce dure rarement 10 ans, donc on ne peut pas en faire une généralité sur laquelle s’appuyer pour trouver une solution.
A l’heure actuelle, les procédures ont été considérablement simplifiées pour éviter de complexifier les dossiers (jusqu’à la faute). Je ne sais pas d’où vous tirer les 10/15 ans que vous évoquez? merci de nous transmettre vos sources.

« Pour permettre à la femme de refaire sa vie sans risques, le tribunal rabbinique fait tout pour obtenir du mari le Guet dans les délais les plus courts. Commencent alors des « négociations », comme au civil, pour que chaque partie accepte une sortie honorable. C’est ce qui s’est passé dans cette affaire.  »

Cette présentation est assez choquante: l’époux est d’une certaine manière redevable du Guett à l’égard de son épouse: c’est ce qui constitue ce que vous nommez  » sa sortie honorable ». D’une certaine façon, cette remise empêche une épouse de quitter le foyer conjugal sans explication ou de façon unilatérale.
Dés lors, il est inacceptable d’en faire un moyen de « négociation » et contraire au droit le plus élémentaire.

« La somme rapportée ici peut paraitre importante mais tout est relatif. Ce couple est apparemment aisé. »
Là encore, votre observation est effrayante, tous les couples sont égaux devant un divorce. Pour le reste, rien ne justifie un versement au moment de la remise du Guett.
« Ce couple est apparemment aisé »: vous ne connaissez ni les comptes de cette famille et comme vous le savez l’apparence a ses limites. de toutes les façons, cette conclusion est extrêmement nauséabonde.

« Il y a également un autre point que je n’ai pas vu relevé dans les commentaires : Il y a eu au préalable un chantage au sein du couple pour la garde des enfants avec apparemment de fausses accusations de la part de la femme qui a accusé (faussement ?) son mari de maltraitance, d’où les 5 ans déjà écoulés sans divorce. « :
Il avait été indiqué que ce couple était resté uni pendant 8 mois, donc pas d’enfants. Si ?

« Si cette accusation était fausse, il est permis de douter de sa version dans cette affaire. »: Incompréhensible.

« Le couple s’était mis d’accord sur un arrangement avant de rentrer dans la salle du tribunal rabbinique. »
cet exposé est naturellement incohérent avec la nature même de la situation. Par ailleurs, pourquoi et comment un arrangement peut il se transformer en une telle majoration?

« La femme et sa famille sont rentrés dans cette enceinte avec du matériel d’espionnage sophistiqué !?!!! »
Cette remarque est irréaliste. En revanche, je vous pose une question à laquelle vous pourriez tenter de répondre franchement : Qui aurait cru cette femme si elle avait simplement rapporté la situation sans preuve ? A titre de réponse, je me permets de penser que vous n’auriez certainement pas donné crédit à cette femme. ( sans jeux de mots)

« Je ne sait pas mais il est clair que la lumière est loin d’être faite sur cette affaire soit-disant humaniste visant à « protéger » les autres femmes des rabbins. La conséquence la plus triste serait que le consistoire n’accepte dorénavant de statuer sur les cas de divorces que sur présentation d’une décision de justice au civil, avec les délais et les conséquences que cela implique. Auquel cas, il est loin d’être sûr que le nom de cette femme reste gravé comme celle qui aurait libéré les femmes des griffes des rabbins, bien au contraire. »
Je pense sincèrement que ce que vous rapportez est inutilement alambiqué.
Peut-être devriez vous faire un véritable effort de clarté en vous demandant peut être non pas ce que vous auriez fait à la place des personnes en charge, mais plutôt ce que vous auriez fait à la place de cette femme, de son père, de son frère. Bref se mettre à la place de ceux qui sont en difficulté, car c’est encore le meilleur moyen de les aider. Tout l’enjeu est là.

david c

Merci pour toutes ces précisions …….mais qui ne disent rien du comportement des « hommes d’affaires » qui ont été « victimes » du « matériel d’espionnage sophistiqué » qui dans sa sophistication a enregistré ….( ! )

Ofek

Bonjour, J’ai parcouru rapidement les commentaires et je constate que la plupart sont à charge contre le tribunal rabbinique et ses représentants. Je constate par ailleurs qu’aucun commentateur ne connait les tenant et les aboutissants de cette triste affaire.

Je ne me pose pas en défenseur des religieux mais plusieurs points nécessitent d’être précisés :
– Tout d’abord, comme dans toute affaire de divorce les « torts » sont partagés et personne en dehors du couple ne peut se faire juge ; c’est la raison pour laquelle, en l’absence d’accord amiable entre les parties, une procédure au civile peut se prolonger plus de 10 ans,
– Ensuite, il y a quelques règles toraïques qu’il faut connaitre pour bien comprendre le cadre de cette affaire : Lors du mariage, le mari « acquiert » une femme qui se réserve à lui moyennant un acte nommé la Ketouba. Par cet acte, le mari s’engage à être le « donneur » et la femme le « receveur » dans la future relation ; la femme passe toujours avant le mari. Si la femme a une relation hors mariage et donne naissance à des enfants, ils sont qualifiés de « Mamzer » et sont exclus de la communauté (ils ne peuvent plus se marier avec un juif pendant 10 générations). C’est une situation très dure que les juges rabbiniques cherchent à éviter par tous les moyens.

Lorsque, comme dans ce cas, le couple ne parvient pas à s’entendre à l’amiable, la procédure au civil peut durer 10/15 ans (avec toujours des points d’achoppement financiers et sur la garde des enfants). Pendant toute cette période, la femme ne peut pas « refaire » sa vie comme nous l’avons vu.

Pour permettre à la femme de refaire sa vie sans risques, le tribunal rabbinique fait tout pour obtenir du mari le Guet dans les délais les plus courts. Commencent alors des « négociations », comme au civil, pour que chaque partie accepte une sortie honorable. C’est ce qui s’est passé dans cette affaire. La somme rapportée ici peut paraitre importante mais tout est relatif. Ce couple est apparemment aisé.

Il y a également un autre point que je n’ai pas vu relevé dans les commentaires : Il y a eu au préalable un chantage au sein du couple pour la garde des enfants avec apparemment de fausses accusations de la part de la femme qui a accusé (faussement ?) son mari de maltraitance, d’où les 5 ans déjà écoulés sans divorce. Si cette accusation était fausse, il est permis de douter de sa version dans cette affaire.

Le couple s’était mis d’accord sur un arrangement avant de rentrer dans la salle du tribunal rabbinique.

La femme et sa famille sont rentrés dans cette enceinte avec du matériel d’espionnage sophistiqué !?!!!

Cela pose d’entrée la question de savoir quel était le mobile de cette préparation. Il y avait donc un plan, peut être une mise en scène, une machination ??

Je ne sait pas mais il est clair que la lumière est loin d’être faite sur cette affaire soit-disant humaniste visant à « protéger » les autres femmes des rabbins. La conséquence la plus triste serait que le consistoire n’accepte dorénavant de statuer sur les cas de divorces que sur présentation d’une décision de justice au civil, avec les délais et les conséquences que cela implique. Auquel cas, il est loin d’être sûr que le nom de cette femme reste gravé comme celle qui aurait libéré les femmes des griffes des rabbins, bien au contraire.

Ruth

Mieux représenté? C’est toute la question. Elle ne peut pas être prise au sérieux avec des formules toutes faites et propos à l’emporte-pièce. A titre d’exemple, plutôt que de commencer ( ou plutôt recommencer ) à se tirer dans les pattes, il vaudrait mieux dans un tout premier temps tenter de constituer un inventaire: Quelles sont les structures en présence? A quel titre? Pourquoi? C’est un vrai travail à entreprendre avec transparence.

Shimon

Mieux représenté ? Par qui ? Le mouvement Libéral, marginal en France et qui n’en finit pas de se quereller en son sein en se fragmentant.
C’est l’Hôpital qui se fiche de la Charité !

meller1

ce texte est impeccable Cette histoire de gros sous au sujet de ce guet me degoutte Dany qui fait partie de la communaute massoraty de Carmiel

Ruth

Tout d’abord, le taux de participation trop bas par rapport à la population juive ne permet pas de tirer des conséquences dogmatiques sur la représentativité. On devrait plutôt s’interroger sur la vocation qui était donnée à cette représentation de façon à lui donner un sens réel compte tenu des bouleversements sociologiques que nous connaissons depuis le 19ème siècle.
En l’état, nous vivons sur la base d’une institution héritée de Napoleon, institution qui devrait en principe être un élément d’actif. A nous d’y travailler.
Par ailleurs, il suffit d’appeler au Consistoire juste au standard et de commencer ensuite à poser sa question à la personne en charge pour comprendre qu’ici, c’est à prendre ou à laisser.
Donc, je parle aussi effectivement d’une autre posture d’accueil, de réponse, de prise en considération, de traitement des dossiers.

Maguid

Je n’ai pas très bien compris le propos; est-ce que cela signifie que les Juifs de France sont représentés d’une façon malveillante? ou bien est-ce que cela signifie que les Juifs de France sont insuffisamment représentés quantitativement?

david c

Très Bien !

Ruth

Sur le fond, Delphine Horvilleur exprime son point de vue sur ce qui se passe et elle a raison de le faire. Son parcours lui donne toute légitimité.
Pour ma part, même si je ne suis pas sûre de me retrouver dans toutes ses pratiques, je suis sûre de me trouver dans mon peuple lorsque je l’entends. Vive les points de vues différents mais avant tout intègres et compétents.
Ce Rabbin connait sans doute des situations de congénères qui sont bien plus délicates, plus circonstanciées que celles qu’ont à connaître le Consistoire où, globalement il faut avant tout montrer patte blanche. Le judaïsme est emprunt d’épreuves et de réalités qu’il faut discerner et dépasser de façon juste.
Le membres impliqués dans ces nombreux rebondissements qui choquent les personnes juives vivent dans une autre galaxie. Pas celle de l’orthodoxie, mais celle de l’incompétence et du mépris des autres.
Quand vous les entendez s’expliquer, rien n’est carré. Tout leur raisonnement lourd et peu sérieux vise à dire une chose: Faites ce que je dis, pas ce que je fais.
Le lachon hara dans cette affaire du divorce n’a été supporté que par une seule personne, celle qui avait un intérêt légitime à ce tout se passe bien: la femme. On l’a accusé de complot sans même comprendre qu’elle n’avait aucun intérêt à « comploter ». Ce qu’elle voulait, c’était son Guett. toute personne lucide vous dira qu’un divorce c’est suffisamment compliquer et que de se confronter en plus au Consistoire, c’est totalement incohérent. Pourtant c’est ce que les membres concernés laissent entendre: Ils ne dupent qu’eux même.
Au contraire, chacun d’entre nous a pris soin d’écouter les « arguments » des habilités consistoriaux pour éviter de tirer toutes conclusions inappropriées. Or, ces arguments sont autant outrageants qu’immatures.
Donc au final, le doute n’a profité qu’aux seconds, alors qu’en toute logique ça aurait du être l’inverse.
En conclusion, à force de trop tirer, la corde casse. Encore faut-l préciser qu’il ne faut pas se tromper de corde: la corde de la représentativité est en cause. Celle de la Emouna est bien plus solide et elle est intacte.
Si d’autres mouvements religieux interviennent sur le plan de la représentativité, il faut s’en féliciter mais sans verser dans l’utopie: sans doute certains d’entre eux seront tentés progressivement d’asseoir leurs diktats mais là encore, nous devrons être vigilants soucieux de rigueur, transparence, compétence et surtout justesse et {{bienveillance}} avec l’intérêt de ceux qui sont en nécessité de requérir les organes représentatifs. Nous pouvons également espérer, comme nous savons si bien le faire, que ces nouvelles représentativités tireront chacun d’entre nous vers le haut, du plus démuni au plus aisé, du plus isolé au plus reconnu, du plus ignorant au plus érudit.
Affaire à suivre.