Le remarquable documentaire de Virginie Linhart révèle l’indifférence générale des Alliés face à la Shoah.

Rencontre avec la réalisatrice.Le Point : Comment avez-vous eu l’idée du documentaire « Ce qu’ils savaient. Les Alliés face à la Shoah » ?

Virginie Linhart : Ma productrice, Fabienne Servan-Schreiber, voulait réaliser un film sur la Shoah, les Alliés et la Résistance.

Je venais de travailler avec elle pour un documentaire sur les survivants de la Shoah dont le thème était : « Comment sortir d’Auschwitz, comment vivre après ? »

Je me suis proposée, mais le travail semblait immense. Un ami historien spécialiste de la question nazie, Christian Ingrao, m’a prévenue que j’allais me noyer.

Puis j’ai eu l’idée de traiter le sujet en me concentrant sur les quatre grands de l’époque : Churchill, Staline, Roosevelt, de Gaulle.

Là, mon ami Ingrao m’a encouragée.

J’ai convaincu ma productrice, même si certains me disaient : mais ce sont eux qui nous ont sauvés pendant la guerre, tu ne vas quand même pas les attaquer.

L’historien Henry Rousso, qui est devenu mon conseiller sur le film, m’a également mise en garde : il était difficile de ne pas avoir a posteriori une position moralisatrice.

Je me suis donc efforcée de comprendre sans juger.

Quels sont les éléments nouveaux que vous apportez ?

J’ai pioché à droite et à gauche dans beaucoup de livres, en m’apercevant qu’aucune synthèse n’avait jamais été entreprise sur l’indifférence, l’absence de réaction des Alliés sur la Shoah pendant la guerre.

Prenons un exemple : dans l’ouvrage de Walter Laqueur, «Le terrifiant secret,» je suis tombée sur les papiers chiffrés que Churchill reçut dès l’automne 1941 sur les massacres commis par les Einsatzgruppen, en URSS.

En tant que documentariste, il me restait à chercher la preuve par l’image de ces papiers, que j’ai trouvée dans les archives nationales anglaises.

Qu’est-ce qui vous a le plus étonnée lors de vos recherches ?

Le poids des administrations, qui bloquent l’action des Juifs désireux d’attirer l’attention des chefs d’État.

C’est le cas en Angleterre avec le Foreign Office, aux États-Unis avec le département d’État et les services de l’immigration américaine.

Ils font ce qu’ils veulent. J’ai découvert le rôle très négatif joué par Anthony Eden, le ministre anglais des Affaires étrangères, qui verrouille la Palestine, censure son homologue polonais qui pousse un cri d’alarme à la BBC, empêche Jan Karski de rencontrer Churchill.

Le cynisme de Staline, qui manipule les Juifs russes, est aussi sidérant : j’étais très fière de retrouver l’appel en yiddish – langue interdite en URSS – lancé par les intellectuels juifs russes.

Pourtant, fin 1942, les Alliés montent au créneau et déplorent l’extermination des Juifs…

C’est la seule fois.

Les informations étaient sorties dans la presse, qui faisait pression, ainsi que le Congrès juif mondial.

Début 1942, ils avaient évoqué des poursuites pour crimes de guerre, mais ils n’avaient pas évoqué le cas des Juifs persécutés.

Et lors de la conférence des Bermudes, le 19 avril 1943, jour du début de l’insurrection du ghetto de Varsovie, qui doit traiter de la question des réfugiés de guerre, rien n’est décidé.

Pourquoi ?

La préoccupation principale est de gagner la guerre.

N’oublions pas que le monde d’avant-guerre est un monde antisémite.

On aurait démobilisé les populations si on avait clamé qu’on faisait la guerre pour stopper le génocide juif.

Cela aurait donné d’ailleurs du grain à moudre à la propagande allemande qui martelait que les Alliés faisaient la guerre pour sauver les Juifs.

Il faut aussi rappeler que les Juifs d’Europe de l’Est étaient considérés comme des moins que rien.

De Gaulle établit cette hiérarchie entre les Juifs de l’Est et les Juifs français, dont il est persuadé qu’il ne leur arrivera rien.

Morgenthau, le secrétaire d’État au Trésor de Roosevelt, est un Juif qui se soucie assez peu des Juifs de l’Est.

Quand la Suède négocie le passage en pays neutre de quatre mille enfants juifs, elle spécifie « préférer éviter les enfants juifs d’origine polonaise ».

Il y a donc une hiérarchie très forte.

Un homme est écartelé, c’est Stephen Wise, le représentant américain du Congrès juif mondial…

En août 1942, il reçoit le télégramme Riegner, qui évoque la solution finale.

Mais Morgenthau l’incite au silence et pendant trois mois, Wise va se taire, ce qui lui sera reproché très fortement après la guerre.

À l’époque déjà, il met toutes ses forces dans l’idée de la création d’un État d’Israël après-guerre, et il estime qu’il ne faut pas harceler l’administration des États-Unis.

La culpabilité américaine sera un des ressorts essentiels qui expliquent, par compensation, la création d’Israël.

Ce qu’ils savaient. Les Alliés face à la Shoah, France 3, le lundi 29 octobre à 23 h 10.

Le Point.fr Article original

« Ce qu’ils savaient : les Alliés face à la Shoah »

Documentaire lundi 29/10/2012 à 23h sur France 3.

En août 1941, alors que les chars allemands approchent de Moscou, Staline, jusque-là farouchement antisémite, suscite la création d’un Comité antifasciste juif qui dénonce les massacres dans les territoires conquis par la Wehrmacht.

L’écrivain Ilya Ehrenbourg lance un cri d’alarme, radiodiffusé dans tous les pays alliés, dont l’objectif véritable est d’encourager les juifs du monde entier à soutenir l’effort de guerre soviétique.

Les dons afflueront mais la boucherie continuera.

Winston Churchill a lu « Mein Kampf », il connaît les théories raciales développées par Hitler, ses services secrets le tiennent personnellement informé des tueries de masse.

Mais rien n’indique que les Britanniques sont prêts à s’intéresser au sort singulier des juifs de l’Est, et l’union nationale doit être préservée car le Royaume-Uni lutte seul.

Quatre mois plus tard, les Japonais frappent à Pearl Harbor et les Etats-Unis sont impliqués.

Connu pour avoir de nombreux amis et collaborateurs juifs, le président Roosevelt ménage la partie de l’électorat hostile à l’immigration.

Le département d’Etat, particulièrement xénophobe, bloque la circulation des informations concernant les juifs et accorde des visas au compte-gouttes.

L’Amérique n’est pas seule à verrouiller les portes.

Pour ne pas mécontenter les dirigeants arabes, Anthony Eden, chef de la diplomatie du gouvernement Churchill, s’oppose lui aussi à toute immigration juive en Palestine, alors sous mandat britannique.

De Gaulle se trouve également à Londres.

Après avoir condamné les lois discriminatoires de Vichy, lui aussi pèse ses mots car la population française soutient Pétain et ne manifeste pas contre l’antisémitisme d’Etat. Pour ces raisons, le général sans armée se contente de faire allusion au drame vécu par les juifs de France.

A partir de 1942, des informations de plus en plus précises sortent d’Europe de l’Est.

Un rapport faisant état de 700 000 juifs tués en Pologne et de « chambres à gaz ambulantes » est remis à Shmuel Zigelbaum, le représentant du Bund (mouvement socialiste juif) à Londres.

Ces révélations donnent lieu à un article dans le « Daily Telegraph », qui ne suscite aucune réaction gouvernementale.

Un peu plus tard, l’information selon laquelle les nazis ont décidé de gazer tous les juifs d’Europe parvient à Stephen Wise, le président du Congrès juif mondial, qui en informe aussitôt la Maison- Blanche.

Laquelle exige un silence absolu le temps de procéder à une enquête.

En réalité, le scepticisme domine.


Jan Karski

Même lorsqu’un agent polonais, Jan Karski, s’introduit dans le ghetto de Varsovie et affirme que les juifs ne sont pas déportés pour être utilisés comme travailleurs mais pour être gazés, son témoignage est mis sous le boisseau.

Seul Staline est pleinement conscient du sort réservé aux juifs, et il l’instrumentalise au mieux pour procurer à l’Armée rouge toujours plus de chars et d’avions.

En 1942, 2, 6 millions de juifs ont déjà été assassinés.

Mais lorsque Stephen Wise, lors d’une conférence de presse, dénonce leur extermination, les journaux relaient l’information avec une grande prudence.

L’année suivante, des voix de plus en plus nombreuses réclament une intervention gouvernementale, sans succès. Fin 1943, 4, 4 millions de juifs ont été éliminés.

C’est seulement sous la menace d’un scandale (la révélation que le département d’Etat a entravé l’immigration des juifs d’Europe depuis 1933) que Roosevelt crée tardivement l’Agence pour les Réfugiés de Guerre, qui sauvera 200 000 vies.

Mais devant le massacre des juifs hongrois et le rythme effréné des déportations vers Auschwitz-Birkenau, de 12 000 à 14 000 personnes par jour, elle reste impuissante.

La résistance juive presse les Alliés de bombarder les voies de chemin de fer, les chambres à gaz, les fours crématoires, mais le haut commandement doute de l’efficacité de ces opérations et aucun chef militaire ne veut en prendre la responsabilité.

Fin 1944, 5, 1 millions de juifs ont disparu dans le génocide.

L’année suivante, les camps d’extermination, évacués par les SS, sont libérés les uns après les autres et le monde entier découvre l’horreur.

Au printemps 1945, le général Eisenhower, commandant en chef des forces alliées, déclarera avoir subi le plus grand choc de sa vie en découvrant la machine concentrationnaire nazie.

Mais les Etats savaient cela depuis longtemps, et ce qui manquait, ce n’étaient pas les projets réalisables ni les moyens de les mettre en oeuvre, mais le désir de sauver les juifs.

Ce documentaire de bonne facture, s’appuyant sur des archives récemment déclassifiées, ne formule pas explicitement la thèse de l’antisémitisme d’Etat mais la suggère avec insistance et conviction.

Eric de Saint Angel / TeleObsnouvelObs.com Article original

TAGS : Histoire Shoah 2ème Guerre Mondiale Roosevelt Génocide Bund

Yalta Jan Karski Churchill Anthnoy Eden Staline Laqueur Stephen Wise

Wansee Ghetto de Varsovie 1943

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DANIELLE

Dommage que ce film ait été diffusé le soir tard, afin que la majorité de la population ne puisse le voir.
Vous comprenez maintenant pourquoi Israël ne compte que sur lui-même, et sur Hachem bien évidemment.
Vous constatez que l’homme n’a pas changé, puisqu’on assassine un peu partout et chaque pays compte ses points afin de ne pas se discréditer, alors on parle à l’ONU, on se réunit et puis on s’en va pour revenir quelques semaines plus tard et ainsi va la vie.
Il serait temps que Hachem balaye tout ça puisque nous avons décidé de ne pas faire téchouva.
Que Hachem ait pitié de son peuple et surtout de l’homme.