Vayechi (5774) –

Beréchit s’achève sur une note sublime de réconciliation entre Joseph et ses frères. Ses frères étaient effrayés à l’idée qu’il ne leur avait pas vraiment pardonnés de l’avoir vendu comme esclave.

Ils craignaient qu’il n’ait, simplement, que reporter le moment de sa vengeance, jusqu’à la mort de leur père. Aussi, après la mort de Jacob, ils expriment leur crainte. Cependant, Joseph insiste :

“N’ayez pas peur. Suis-je à la place de D.? Vous aviez l’intention de me faire du mal, mais D. a voulu que cela soit, afin d’accomplir le bien qui n’a pas encore été réalisé : pour le sauvetage de nombreuses vies. Ainsi, ne craignez rien. Je pourvoirai pour vous et vos enfants”. Ils les a rassurés et leur a parlé avec gentillesse (Gen. 50: 19-21).

C’est la seconde fois qu’il leur dit ce genre de choses. Plus tôt, il s’est exprimé de façon identique, lorsqu’il a, pour la première fois, dévoilé qu’il – cet homme qu’ils pensaient être un vice-roi d’Egypte Zophenat Paneakh – était, en fait, leur frère Joseph.

“Je suis votre frère Joseph, celui que vous avez vendu en Egypte! Et maintenant, ne vous affligez pas et ne soyez pas en colère contre vous-mêmes pour m’avoir vendu ici, parce que c’était pour sauver des vies que D. m’a envoyé pour vous précéder. Depuis deux ans maintenant, il y a la famine sur cette terre, et durant les cinq prochaines années, il n’y aura ni labour ni récolte. Mais D. m’a envoyé par avance pour vous conserver une portion de terre et vous sauver la vie, en vue d’une grande délivrance. Ainsi, n’est-ce point vous qui m’avez vendu, mais D. » (Gen. 45: 3-8).

C’est un moment crucial de l’histoire de la Foi. Cela marque la naissance du Pardon , le premier instant dont on puisse se souvenir, où une personne pardonne à une autre pour le mal qu’elle a fait.

Mais, il s’instaure aussi un autre principe important : l’idée de D.ivine Providence. L’histoire n’est pas ce que Joseph Heller a appelé : « un sac plein d’absurdités et de coïncidences hasardeuses ouvert à tous les vents ». Elle a un Sens, un but, un point d’aboutissement, c’est un projet. D.ieu est à l’œuvre en coulisse. “Il y a une divinité qui façonnent nos destins” dit Hamlet, « Il faudra les démêler comme nous le pouvons ».

La grandeur de Joseph est qu’il a su le pressentir. Rien, au cours de sa vie, sait-il désormais, ne s’est produit par accident. Le complot pour le tuer, qu’il soit vendu comme esclave, les fausses accusations de la femme de Poutiphar, sa longue peine de prison et son espoir déçu que le majordome se souviendrait de lui et assurerait sa libération – tous ces évènements qui pouvaient le plonger dans un abîme encore plus profond de perplexité et de désespoir, se transforment rétrospectivement en étapes nécessaires du trajet qui débouche sur le fait qu’il devienne le Commandant en second de l’Egypte et la seule personne au monde capable de sauver le pays tout entier – ainsi que sa propre famille – de mourir de faim durant les années de famine.

Joseph avait, dans une double mesure, l’un des dons indispensables à un chef de file : la capacité de persister en dépit des oppositions, de la jalousie, des fausses accusations et des revers répétés. Tout dirigeant qui se tient debout, face à tout, rencontrera une opposition. Cela peut constituer un véritable conflit d’intérêts. Un dirigeant élu pour rendre la société plus équitable remportera, avec une quasi-certitude le soutien des pauvres et l’antagonisme des riches. Un autre, qui sera élu pour réduire le fardeau des impôts fera le contraire. On ne peut pas l’éviter. Une politique qui ne provoque aucun conflit est, en soi, une contradiction dans les termes.

Tout leader élu pour quelque programme que ce soit, ou mieux aimé ou plus doué que d’autres, sera confronté à la jalousie, à l’envie. Ses rivaux diront : « Et pourquoi pas moi ? ». C’est exactement ce que Korah pensait de Moïse et Aaron. C’est ce qu’on pu penser les frères de Joseph, quand ils ont vu que leur père l’aimait plus qu’eux. C’est ce qu’Antonio Salieri pensait de Mozart, le trop doué, selon l’Amadeus de Peter Shaffer.

Ainsi en va t-il des fausses accusations qui se sont produites plus qu’à leur tour, au cours de l’histoire. Jehanne d’Arc a été accusée d’hérésie et brûlée sur-le-champ. Un quart de siècle plus tard, elle a été déclaré innocente à titre posthume par une enquête officielle du tribunal. Plus d’une vingtaine de personnes ont été conduites à la mort, à la suite des procès pour sorcellerie de Salem, en 1692-3. John Hale a reconnu : « Ainsi en était-il de l’obscurantisme de cette époque… Nous marchions dans le brouillard et ne pouvions pas discerner vers où menait notre chemin ». La plus célèbre fausse accusation des temps modernes surgit avec le procès d’Alfred Dreyfus, un officier français d’origine juive accusé d’être un espion allemand. L’affaire a secoué la France durant les années 1894 et 1906, avant que Dreyfus soit finalement acquitté.

Les revers aussi font partie intégrante de l’histoire de vie de ceux qui réussissent le mieux. Le roman initial « Harry Potter » de J.K Rowling a fait l’objet d’un rejet de la part des douze premiers éditeurs à qui elle avait envoyé son manuscrit. Un autre écrivain d’un livre pour enfants a subi 21 rejets. Le livre s’appelait « Le Seigneur des Mouches » et son auteur, William Golding, a, ensuite, obtenu le Prix Nobel de littérature.

Dans son célèbre discours inaugural à l’Université de Stanford, le regretté Steve Jobs a raconté l’histoire des trois revers de fortune qui ont façonné sa vie : se faire radier de l’université, être licencié d’Apple, l’entreprise qu’il a fondée, et recevoir, en pleine figure, le diagnostic d’un cancer pancréatique. Plutôt que de s’avoue vaincu, il a transformé ces moments pour les retourner et nourrir sa créativité.

Durant trente-deux ans, il a vécu près d’Abbey Road, au Nord de Londres, où un célèbre groupe pop a enregistré tous ses tubes. Lors de leur première audition, ils se produisaient pour une société d’enregistrement qui leur avait clairement dit que les groupes de guitaristes étaient sur la « pente du déclin ». Le verdict s’abattant sur leur prestation (en janvier 1962) était sans appel : « Les Beatles n’ont aucun avenir dans le Show Business ! ».

“Tout cela explique la remarque ironique importante de Winston Churchill disant que : « le succès, c’est la capacité d’aller d’échec en échec sans, pour autant, en perdre son enthousiasme ».

Cela pourrait bien être ce qui soutient les gens, à force de revers répétés, pour continuer à croire en eux-mêmes, ou est-ce de la ténacité à l’état pur, ou encore un manque d’autres alternatives. Ainsi, ce qui a maintenu Joseph debout, c’est sa confiance en la Providence d.ivine. Un plan guidait vers des fins qu’il ne pouvait que faiblement discerner, mais arrivé à un certain stade, il semble avoir réalisé qu’il était l’un des principaux personnages d’un drame bien plus vaste et que tous les mauvais coups qui lui étaient arrivés étaient nécessaires pour que le dénouement prévu puisse s’accomplir. Comme il l’a déclaré à ses frères : « Ce n’est pas vous qui m’avez vendu, mais D. ».

Cette volonté de laisser les évènements se réaliser par eux-mêmes, en concordance avec la D.ivine Providence, cette intime conviction que nous ne sommes, au mieux, que les co-auteurs de nos vies, ont permis à Joseph de survivre sans ressentiment à propos du passé ni désespoir face à l’avenir. La foi en D. lui a donné une force immense, celle-là même dont nous aurons besoin si nous voulons oser faire de grandes choses. Quelle que soit la ruse ou le mal que les autres recèlent contre nous – et plus nous réussissons, plus il y a de coups bas – si nous pouvons dire : « Vous aviez l’intention de me faire du mal, Mais D. l’a prévu pour le bien », nous survivrons, notre force est intacte, notre énergie n’est pas entamée.

Rabbin et Lord Jonathan Sacks

rabbisacks.org Article original

Adaptation : Marc Brzustowski

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jeanvaljean

cette histoire de Joseph m’a toujours particulièrement impressionné. j’ai entendu un jour prêcher un homme qui disait que Joseph n’a jamais dit « pourquoi ». à la sortie de la salle je l’ai interpellé et lui ai dit: « les textes ne disent pas cela, à mon avis il a du dire 10 000 fois « pourquoi », cette réflexion l’a mis mal à l’aise. c’est bien beau de présenter ces personnages comme des surhommes, mais cela substitut Dieu à l’homme ce qui est en soit blasphématoire. ce qu’a accompli Joseph, ce que les textes relatent n’est tout simplement pas humain. je crois que sa caractéristique première est la foi et plus que cela une soumission, une confiance totale à Dieu.
mais il est vrai que une des leçon à retenir est que les voies divines sont bien souvent très loin de ce que nous aurions choisi, et incompréhensible à l’homme.