Pour compromettre les nouvelles autorités ukrainiennes issues de la révolution du Maïdan, la propagande russe avance des accusations d’antisémitisme à l’encontre de la droite radicale ukrainienne qui, tous les partis et groupes confondus, jouit d’à peine 5% de soutien au sein de la population.

Les journaux télévisés parlent d’un déchaînement de l’antisémitisme en Ukraine, y compris en Crimée où une synagogue a été vandalisée : on a peint sur son mur extérieur une croix gammée. Ce qu’on on omet de dire à cette occasion, c’est que cet acte de vandalisme fut commis après l’occupation de la Crimée par des « hommes verts », comme les Ukrainiens appellent les soldats russes en uniforme kaki mais sans signes distinctifs. A l’opposé de cet « antisémitisme », la propagande russe vante les bonnes conditions dont bénéficient les juifs en Russie. Ainsi, on a montré récemment à la télévision d’Etat russe un reportage sirupeux sur les juifs, enfants et adultes, qui célèbrent, en Russie et en Israël, la fête de Pourim, avec des carnavals, des représentations théâtrales, des danses et des chants. Le message est clair : chez nous, en Russie, les juifs sont heureux, alors qu’en Ukraine où les « néo-nazis » contrôlent le pays, les juifs sont menacés.

Qu’y a-t-il de vrai dans ce message? En effet, il n’y a pas d’antisémitisme d’Etat en Russie, comme il y en avait à l’époque soviétique où, de façon officieuse mais tout à fait réelle, il existait un numérus clausus pour les étudiants juifs dans les universités et où certaines carrières étaient totalement inaccessibles aux juifs, comme des carrières militaires ou diplomatiques, et les autres promotions sociales étaient très difficiles. Aujourd’hui, le culte religieux juif est autorisé, et il y a même une forte implantation du mouvement hassidique sur le territoire russe. En contrepartie, les organisations juives sont priées de se tenir « à carreau » et de soutenir la ligne officielle du Kremlin.

Un petit exemple. Il y a deux ans, on a ouvert un très beau musée juif à Moscou où l’on présente abondamment le rôle des juifs dans l’effort de la victoire pendant la Seconde guerre mondiale. Par contre, la Shoah par balles sur les territoires occupés de l’URSS, n’y occupe que très peu de place, alors qu’un million et demi de juifs soviétiques périrent à la suite des atrocités nazies. De même, il n’y a qu’une brève mention du déchaînement antisémite en URSS à partir de 1947 et jusqu’à la mort de Staline, lorsque la culture yiddish fut totalement détruite et plusieurs représentants de l’intelligentsia juive furent exécutés, envoyés dans des camps ou, au mieux, chassés des postes qu’ils occupaient. Bref, on ne touche pas à des sujets sombres au profit d’une vision héroïque de l’Histoire.

Aujourd’hui, se tenir « à carreau » pour les organisations juives russes signifie l’obligation de soutenir la thèse de l’antisémitisme du nouveau pouvoir ukrainien, sous menace tacite de représailles. On connaît les leviers de pression : les indociles peuvent se voir privés de subventions de l’Etat, expulsés de leurs locaux, etc. C’est le sort qu’ont déjà subi plusieurs ONG qui s’occupent de la défense des libertés civiques. Pour se convaincre que les organisations juives russes abondent dans le sens voulu par les autorités, il suffit de lire la lettre adressée par toutes les organisations juives ukrainiennes à Vladimir Poutine ou, encore mieux, d’aller en Ukraine, comme je l’ai fait à deux reprises en février et en mars de cette année : on se rend vite compte que la menace « fasciste », « néo-nazie » et « antisémite » n’est que la construction de la propagande russe. Comme l’a souligné dans ses interventions publiques récentes à Paris le dirigeant des communautés juives d’Ukraine, l’un des vice-présidents du Congrès juif mondial et ancien prisonnier politique soviétique, Josef Zissels, il y a eu 560 incidents antisémites en France en 2013, et 13 seulement en Ukraine. Alors?

Néanmoins, la carte antisémite en tant qu’atout du pouvoir poutinien continue à être jouée. Et quand les voix de juifs russes ne suffisent pas pour vociférer dans des talk-shows à la télévision d’Etat, on invite tous ceux qui sont prêts à « témoigner », y compris de vrais fascistes, comme par exemple Avigdor Eskin. Je fus choquée de voir ce citoyen israélien (émigré de l’URSS il y a 35 ans) en qualité d’invité, à deux reprises au moins, dans le très populaire talk-show de Vladimir Soloviov, « Soirée de dimanche » (Voskresny vetcher sur la chaîne Rossiia 1). Car il s’agit d’un homme qui a ardemment soutenu le régime apartheid en Afrique du Sud, qui a prononcé une horrible malédiction religieuse, équivalent d’une fatwa, contre Yitzhak Rabin et qui a profané la tombe de Izz al-Din al-Qassam, précurseur de la lutte nationale palestinienne, en y plaçant une tête de porc (pour cet acte, il a purgé plus de deux ans dans une prison israélienne.

C’est ce personnage ostracisé et méprisé en Israël qui est un invité de choix en prime time à la télévision poutinienne et qui se positionne en tant qu’actif pourfendeur du « fascisme » ukrainien et défenseur du « rattachement » de la Crimée ! En substance, il affirme que le gouvernement israélien manque de poigne : il aurait dû annexer définitivement les territoires palestiniens à l’instar de l’annexion russe de la Crimée ! NDLR : c’est, néanmoins, une observation qui mérite d’être soupesée par les temps qui courent »>Article original

Avigdor Eskin et d’autres représentants de la mouvance de l’extrême-droite fascisante en Israël ne sont pas les seuls soutiens de la campagne anti-ukrainienne de Vladimir Poutine. En guise d’observateurs internationaux au référendum de Crimée, Moscou a invité uniquement des représentants de plusieurs partis européens d’extrême-droite, notamment le Front National pour la France, la Ligue du Nord pour l’Italie et le Parti de la Liberté d’Autriche. Cela semble ubuesque d’inviter des partis qui professent le racisme et l’antisémitisme, sous forme ouverte ou déguisée, en tant que « garants » de la légalité d’un référendum sur le rattachement de ce territoire à la Russie.

Mais la Russie tel un aigle bicéphale (son emblème tsariste) sait tourner vers ses supporters des visages différents, en fonction de l’orientation de ceux-là. Le Kremlin tente de rallier des juifs du monde entier en invoquant le danger antisémite du nouveau pouvoir ukrainien ; le public occidental de gauche en invoquant le « fascisme » et ce même antisémitisme ; le public occidental de droite en invoquant les intérêts économiques qui priment sur les droits de l’Homme et, enfin, l’extrême-droite européenne au nom du souverainisme, de la défense d’une « civilisation chrétienne », du racisme anti-migrant, très en vogue en Russie, et de l’homophobie. C’est ainsi que le blanc devient noir, et noir, blanc comme la neige.

On peut se poser également la question si cette campagne insistante contre l’antisémitisme inexistant du nouveau pouvoir ukrainien n’augure pas des provocations à venir pour étayer cette thèse qui compromettrait les autorités ukrainiennes au moment de l’organisation de l’élection présidentielle, prévue au 25 mai. Il est évident que le Kremlin veut empêcher à tout prix la tenue de cette consultation, et la carte juive peut encore servir. Vladimir Poutine n’est pas un antisémite mais un pragmatique capable de mettre en danger des vies juives, ainsi que n’importe quelles vies humaines (cela a été amplement démontré en Tchétchénie), au nom d’un impérialisme qui ne dit pas ouvertement son nom.

Par Galia Ackerman

Publication: 07/04/2014 07h19

huffingtonpost.fr Article original

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