Par Maître Bertrand Ramas-Muhlbach.

Le 4 novembre 2013, s’est ouvert au Caire, le procès du Président égyptien Mohamed Morsi, destitué par l’armée le 3 juillet dernier.

Le pouvoir militaire en place considère que sa responsabilité pénale est engagée, à l’occasion des heurts survenus devant le palais présidentiel, le 5 décembre 2012.

Mohamed Morsi, qui a refusé d’apparaître dans ses habits de prisonniers, a immédiatement dénié toute légitimité au Tribunal et indiqué que les coupables étaient les auteurs du coup d’Etat : « je suis le président de la République d’Egypte et ce tribunal est illégal »…« ce sont les leaders de ce putsch qui devraient être jugés ». Cet épisode illustre le problème de la légitimité de l’institution judiciaire en Egypte, et plus généralement de celle des Etats non démocratiques.

La légitimité de l’institution judiciaire est une question cruciale puisque les prévenus en Egypte, sont poursuivis pour des faits particulièrement graves : « incitation à commettre des crimes délibérés et prémédités », « à faire usage de la violence, de brutalité, de coercition, à posséder des armes à feu, des munitions … et « à arrêter illégalement et torturer des manifestants pacifiques ». Pour leur part, les partisans de l’ancien Président se disent victimes d’agissements illégaux et de la répression de la part de l’armée, puisque des centaines de personnes ont été tuées dont 36 hommes, brûlés vifs dans un camion de police, alors qu’ils étaient conduits dans les geôles égyptiennes…

Compte tenu des risques de troubles à l’ordre public (partisans et opposants de l’ex Président s’affrontaient devant le palais de Justice), le procès du Président déchu qui concerne également 14 personnes (membres de sa garde, dirigeants islamistes ou membres de la Confrère des Frères musulmans), a finalement été reporté au 8 janvier 2014. Pour autant, les peines encourues sont particulièrement lourdes puisqu’elles peuvent aller jusqu’à l’emprisonnement à vie ou à la peine de mort. Le Tribunal doit donc vérifier que sa décision sera admise spontanément par les membres de la communauté égyptienne, sous réserves des recours possibles, pour éviter d’être considérée comme une juridiction d’exception dont les décisions sont iniques.

L’institution judiciaire est sujette à caution si elle n’est pas mise en place dans le cadre d’un processus démocratique qui emporte l’adhésion de la collectivité. C’est le peuple qui doit être à l’origine de l’établissement du système judiciaire et de la désignation des juges, à défaut la validité des décisions de justice risque d’être remise en question. Ceci vaut dans tous les pays, à fortiori si le système est autoritaire, et en particulier en Egypte où la prise du pouvoir a toujours été précédée de coups d’Etat.

Le roi Farouk a été renversé le 23 juillet 1952 (et autorisé à s’exiler en Italie). L’auteur du coup d’Etat, le général Mohamed Naguib a déclaré la fin de la Monarchie, le 18 juin 1953, avant de devenir le Premier Président de la république égyptienne. Il a néanmoins été renversé et placé en résidence surveillée (compte tenu de sa proximité avec les Frères Musulmans) par celui qui fut son premier Ministre, Gamal Abdel Nasser. Le 14 novembre 1954, Nasser lui a succédé mais est décédé d’une crise cardiaque le 28 septembre 1970, trois ans après avoir perdu la guerre des 6 jours contre Israël (Israël avait détruit l’armée de l’air, l’armée armée de terre et s’était emparé du désert du Sinaï). Son ami et vice-président Anouar el-Sadate, est alors devenu Président de l’Egypte le 5 octobre 1970. Il a négocié la paix avec Israël en échange de la restitution du Sinai, le 26 mars 1979, mais a été assassiné le 6 octobre 1981, par un membre de l’armée égyptienne qui n’a pas supporté sa trahison à la cause arabe. Son ami Hosni Moubarak, lui a alors succédé avant d’être arrêté et jugé dans le cadre du soulèvement du Printemps arabe de 2011… La situation est d’ailleurs singulière en Egypte où se déroulent concomitamment deux procès de responsables étatiques, celui de Hosni Moubarak, dictateur déchu au profit d’un système islamiste (il a fait appel de la décision le condamnant) et celui de son successeur, Mohamed Morsi président islamiste, élu démocratiquement mais déchu par l’armée, et jugé par une institution qui n’est pas le résultat d’un choix populaire.

L’Egypte a toujours été maintenue sous le joug de dictatures militaires, sans corpus de règles démocratiques et de Tribunaux étatiques, pour éviter la mise en place d’une organisation islamiste de la société avec la Charia comme fondement de l’organisation sociale. Les derniers évènements en Egypte illustrent, une nouvelle fois, la paralysie d’un Etat non doté d’un système judiciaire organisé par le peuple : les Tribunaux militaires ne peuvent faire admettre leurs décisions et les Tribunaux islamiques sont incapables d’appréhender l’organisation sociale dans sa dimension démocratique.

L’Egypte devrait donc s’inspirer, pour ce qu’il en est de son système judiciaire, des règles du judaïsme : dans le Deutéronome (16,18-19), il est dit « Tu établiras des juges et des magistrats dans toutes les villes que l’Éternel, ton Dieu, te donne, selon tes tribus; et ils jugeront le peuple avec justice. Tu suivras la justice, afin que tu vives et que tu possèdes le pays que le seigneur ton Dieu te donne ».

Toutefois, il n’est pas possible d’établir des juges sans corpus de règles admis par la collectivité et de valeurs qui soient partagées par le plus grand nombre, sauf à bloquer l’organisation judicaire. La population égyptienne s’est choisie démocratiquement la Charia comme cadre de fonctionnement étatique, mais ce corpus de règles n’a rien d’universel et ne peut permettre aux Tribunaux de rendre des décisions admissibles (d’autant que la justice doit s’adapter aux cas d’espèce et trancher dans un esprit d’indulgence pour faciliter la réinsertion sociale, ce que l’intransigeance de la Charia ne permet pas). Inversement, les Tribunaux mis en place par l’organisation militaire, n’ont aucune autorité opposable à l’égard de la population.
En outre, l’Egypte doit se choisir des juges qui jugent avec équité, et donc sans corruption ni favoritisme. « Ne pervertis pas la justice ; ne fais pas de favoritisme, et n’accepte pas de présent corrupteur car le présent aveugle les yeux des sages et fausse la parole des juste » (Deutéronome 16,19).
La situation en Egypte est donc très instructive en ce qu’elle démontre une nouvelle fois que l’organisation humaine n’est pas un terrain d’expérience où peuvent être mise en place des règles qui n’ont rien à voir avec le sens de l’humanité. L’islamisme n’est pas satisfaisant, ni l’organisation judiciaire militaire.

Il doit donc être décidé, en Egypte (et dans l’ensemble des pays islamistes), la mise en place d’institutions qui soient vraiment démocratiques, tant dans le fonctionnement, que dans les valeurs qui fondent la communauté de vie, que dans le processus de décision. A défaut, le général Abdul Fattah al-Sisi, qui a travaillé aux côtés du président Morsi, a du souci à se faire s’il caresse l’espoir de devenir Président de la République. Un de ses proches pourrait lui ravir le pouvoir et le traduire devant les tribunaux…

Par Maître Bertrand Ramas-Muhlbach.

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