Au moment où l’on commémore le génocide arménien de 1915, toujours nié par le gouvernement d’Ankara, les rebelles islamistes de Syrie s’en prennent aux chrétiens orthodoxes et arméniens syriens…
Du jamais vu en Turquie : non seulement le gouvernement turc négocie avec le PKK, son pire ennemi intérieur, mais pour la première fois, des centaines de personnes se sont réunies le 24 avril dernier, à Istanbul, pour commémorer le génocide des chrétiens arméniens et assyro-chaldéens perpétré en 1915 et commémoré chaque 24 avril dans le monde.

Rappelons que pour les Arméniens et les Assyro-chaldéens, ce génocide a fait entre 1,5 million et 2 millions de morts.

Mais Ankara l’a toujours nié, accusant même les Arméniens dans les manuels scolaires officiels d’avoir eux-mêmes “ génocidé des centaines de milliers de Turcs musulmans”, ce qui aurait justifié les “représailles collatérales de Kurdes et de Turcs isolés contre des Arméniens”…

Les autorités turques seraient-elles sur le point d’abandonner leur arménophobie séculaire et leurs législations liberticides, à l’approche de la célébration du centenaire du génocide arménien, en 2015, qui risquerait de nuire à l’image de la Turquie, candidate à l’entrée dans l’Union européenne depuis 2004 et qui se targue d’être un cas exemplaire de « démocratie musulmane »?


Des centaines de personnes se sont réunies à Istanbul pour commémorer le génocide arménien.

Rien n’est moins sûr.

Car si des voix courageuses profitent depuis des années de la démocratisation de la société civile, encouragée par l’UE, les partis politiques turcs et le gouvernement national-islamiste de Recep Taiyp Erdogan refusent toujours toute reconnaissance officielle du génocide.

Plus grave, les autorités turques exercent toujours plus de pressions pour intimider les pays qui adoptent des législations reconnaissant le génocide – ou même pénalisant sa négation, comme le projet de loi française (avorté de 2011) qui provoqua une crise grave diplomatique entre Paris et Ankara.

On est donc encore très loin d’une reconnaissance du génocide par Ankara.

Rappelons qu’en Turquie, l’article 301 du code pénal, jamais aboli malgré son incompatibilité avec les règles européennes, condamne toujours pénalement les rares intellectuels osant briser le tabou.

Ainsi, en juillet 2012, un nouveau procès a été intenté à l’éditeur Rajip Zarakolu, qui a osé défier la loi turque négationniste en publiant des livres sur le génocide.

On peut citer aussi le célèbre historien Akçam, professeur au Centre d’études de l’Holocauste et des génocides à l’Université Clarke, auteur d’un livre sur le génocide qui lui valut moult menaces.

Orgueil islamo-nationaliste turc versus Europe post-chrétienne culpabilisée…

Mais pourquoi la reconnaissance du génocide arménien pose-t-il autant de problèmes à la Turquie actuelle, du moment que celle-ci fut créée par Atatürk en 1923 sur les ruines et l’abolition du Califat ottoman, qui n’a donc pas de lien juridique avec elle ?

Il est clair que, outre la pulsion purificatrice nationaliste qui pousse les dirigeants Turcs depuis 1923 à faire oublier leurs multiples origines ethno-religieuses (arménienne, balkanique, kurde, grecque, assyrienne, etc), notamment en niant les minorités, la Turquie moderne a toujours craint que la reconnaissance du génocide l’oblige à dédommager financièrement les Arméniens, à l’instar de l’Allemagne post-nazie qui paie des dédommagements à Israël.

Car nombre de chrétiens de Turquie possédaient des biens fonciers qui furent confisqués, entre 1915 et 1942 pour les Arméniens, et entre 1942 et 1974 pour les Grecs-orthodoxes expulsés vers la Grèce en plusieurs phase jusqu’à leur extinction quasi totale : il subsiste aujourd’hui moins de 1000 grecs-orthodoxes, la plupart résidant autour du patriarcat grec-orthodoxe d’Istanbul, toujours privé de ses pleins droits par Ankara…

Ensuite, pour des raisons d’orgueil national, il n’a jamais été question pour les Turcs musulmans de formuler les moindres « excuses ».

Car rien n’est plus lamentable pour les nations islamiques en général et a fortiori pour les islamo-nationalistes turcs que de battre sa coulpe pour les crimes passés.

Conscients du risque d’affaiblissement du ciment national, les leaders turcs, mais aussi arabes, et même les autres dirigeants issus de civilisations non-occidentales laissent volontiers aux Européens culpabilisés cette propension à constamment accabler leur propre histoire…

Certes, on peut leur répondre que le travail de Mémoire permet de rendre la dignité aux descendants des victimes et que se remettre en cause est noble.

Toujours est-il que l’Occident et le Reste du Monde (« The West and The Rest ») ne sont pas sur la même longueur d’ondes et que les excuses sont toujours à sens unique.

Car pendant que la vieille Europe – comme d’ailleurs l’Eglise catholique – et l’Occident en général ne cessent de demander pardon aux peuples musulmans et au tiers monde pour les “trois C” (Croisades, Colonisation, Conquista), de leurs côtés, les peuples musulmans dont les ancêtres colonisèrent des nations chrétiennes d’Europe votent fièrement pour des partis islamistes anti-occidentaux fiers de leur passé califal de conquérants.

C’est ainsi que le Premier Ministre Erdogan, nouvel héros des Palestiniens et des “révolutions arabes” vante dans ses discours la gloire et les conquêtes califales ottomanes, comme des homologues frères musulmans de Tunisie, du Maroc ou d’Egypte.

D’où l’immense succès qu’eût en Turquie le film au titre explicite : « Fetih 1453 » (« Conquête 1453 »), qui relatait la conquête de Constantinople en 1453, qu’Erdogan visionna en avant-première, film qui mettait en scène la destruction de l’ex-capitale de l’empire romain d’Orient par l’armée du sultan ottoman Mehmet II…

Cette superproduction bénéficia du plus gros budget (17 millions de $ ; 3 ans de tournage ; 15.000 figurants) jamais utilisé pour un film turc, et battit tous les records de fréquentations…

Reconquête du Proche Orient et aide aux rebelles islamistes anti-chrétiens en Syrie

Loin de battre sa coulpe pour les leaders chrétiens tués ces dernières années en Turquie aux cris de « Allah Ouakbar (Hrant Dink, l’ex-leader de la communauté arménienne ; Don Andrea Padovese, évêque de Trézibonde, Mgr Luigi Padovese, supérieur de l’Eglise catholique de Turquie), Erdogan exige à longueur de temps des « excuses officielles » des Occidentaux qui osent soulever la question du génocide arménien, comme Nicolas Sarkozy, sa véritable bête-noire.

Régulièrement, le très susceptible dirigeant turc fustige les Européens “islamophobes” “trop complaisants avec le régime de Bachar Al-Assad” et Israël et coupables de « persécuter les musulmans », mais Ankara soutient fièrement les rebelles islamistes syriens alliés du groupe tchétchène qui a enlevé le 22 avril deux évêques syriens d’Alep (Mgr Yohanna Ibrahim et Boulos Yaziji) dans la région de l’ouest d’Alep, où est active une brigade formée de combattants originaires du Daguestan, république de la Fédération de Russie à l’est de la Tchétchénie, là même où ont été formés les deux frères auteurs des attentats de Boston…

Ainsi, le gouvernement d’Ankara ne culpabilise point de soutenir des combattants islamistes de l’Armée Syrienne Libre qui kidnappent ou tuent des chrétiens, souvent arméniens d’ailleurs.

Economiquement actifs, ces derniers ont longtemps été protégés et heureux en Syrie, où ils avaient trouvé refuge après avoir fui le génocide arménien et assyro-chaldéen de Turquie, mais ils sont aujourd’hui menacés dans leur survie par les rebelles islamistes qui les accusent de s’opposer à la “révolution” et de “soutenir Assad”.

La petite communauté arménienne de Syrie déplore déjà des centaines d’otages, des tués, des disparus, etc.

Par exemple, en août 2012, des combattants de l’Armée syrienne libre venus de Turquie et soutenus par le pouvoir d’Ankara ont attaqué le village arménien de Kessab.

Or ce gros village, situé à la frontière syro-turque, est également peuplé de Turkmènes, très liés à la Turquie, et des milices turkmènes armées par Ankara se vantent depuis quelques temps de se préparer à « génocider » les Arméniens s’ils continuaient à résister à l’ASL…

Ce dont la presse occidentale d’habitude si soucieuse de défense des “minorités” ne relate pas…

Mais qui se soucie des Chrétiens de Turquie ?

Alexandre del Valle/ Atlantico.fr Article original

Alexandre del Valle est un géopolitologue renommé. Ancien éditorialiste à France Soir, il enseigne les relations internationales à l’Université de Metz et est chercheur associé à l’Institut Choiseul. Il a publié plusieurs livres sur la faiblesse des démocraties, les Balkans, la Turquie et le terrorisme islamique.

TAGS : Turkie AKP génocide Arménien 1915 Ankara Erdogan

Syrie Islamisme Chaldéens UE

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