Sunnites comme chiites tentent de quitter la capitale irakienne pour échapper aux exactions intercommunautaires, pendant que les extrémistes des deux bords se préparent au combat.

La nuit était tombée depuis une heure lorsque le pick-up, équipé d’une mitrailleuse et rempli de miliciens brandissant des kalachnikovs, a commencé sa patrouille dans une tranquille rue résidentielle de l’est de Bagdad. Sinan Nadhim a fermé tranquillement la porte de son bureau à clé, pris son téléphone et composé le numéro de son agence de voyages. “Ils sont de retour, a-t-il lâché, je dois partir.”

Sinan fait partie des milliers de Bagdadis qui tentent de fuir la ville par crainte d’une nouvelle guerre civile religieuse, tandis que les miliciens sunnites marchent sur la capitale et que leurs homologues chiites jurent de la défendre jusqu’à la mort. Plus d’un demi-million de personnes majoritairement chiites »>Article original ont déjà fui les villes tombées sous la coupe des extrémistes islamistes sunnites »>Article original, comme Mossoul, à l’heure où les récits des atrocités commises récemment commencent à affluer, notamment le meurtre de soldats chiites, ainsi que d’imams sunnites ayant refusé de se soumettre à l’autorité des extrémistes.

Pourtant, beaucoup de sunnites fuient également Bagdad de peur d’être pris pour cibles par les milices chiites en mal de représailles contre la communauté sunnite, comme ce fut le cas au plus fort du conflit religieux irakien, entre 2006 et 2008. Le 17 juin, les corps criblés de balles de quatre jeunes hommes sunnites ont été découverts abandonnés dans la rue, dans un quartier de Bagdad contrôlé par une puissante milice chiite loyale au Premier ministre Nouri Al-Maliki. Cette découverte a réveillé le souvenir des heures sombres de Bagdad, lorsque les dépouilles ligotées et mutilées d’Irakiens manifestement abattus par balles apparaissaient tous les jours dans les rues de la ville.

Le frère de Sinan a été tué par des miliciens chiites en 2007, à un poste de contrôle, lorsque sa carte d’identité a révélé qu’il était sunnite. Parmi ceux qui ont rejoint l’insurrection sunnite sous la houlette de l’Etat islamique en Irak et au Levant (EIIL), on trouve d’anciens officiers de l’époque de Saddam, qui aident l’EIIL à tirer parti du sentiment d’aliénation très répandu au sein de la communauté sunnite pour prendre le contrôle d’une grande partie du nord et du centre de l’Irak et se rapprocher des portes de Bagdad. Quitter la capitale n’est pas une mince affaire.

Comme Sinan a pu s’en rendre compte, de nombreux vols au départ de Bagdad sont complets, notamment tous les vols à destination du Kurdistan, au nord. Ceux qui sont parvenus à trouver des billets ont été obligés de passer par un pays tiers pour s’y rendre. Aux aurores, des familles, valises sous le bras, campent devant les bureaux de la compagnie Iraqi Airways, au centre de Bagdad, en espérant profiter d’une annulation. Les vols à destination d’Istanbul et de Beyrouth, deux destinations pour lesquelles les Irakiens n’ont pas besoin de visa, affichent complet eux aussi, et l’ambassade de Jordanie est assiégée par des milliers de personnes cherchant désespérément à obtenir un visa. Bagdad est isolé sur trois côtés par les combats.

Seule la route de Bassora, au sud, autorise une fuite par voie terrestre. Dans les quartiers chiites de la ville, des hommes de tous âges continuaient d’affluer vers les centres de recrutement pour s’engager dans la lutte contre les extrémistes sunnites. Bon nombre de ceux qui déposaient leur dossier d’inscription dans le bâtiment du conseil de Sadr City, l’insalubre et tentaculaire agglomération chiite qui sert de base aux milices les plus puissantes et les plus redoutées, expliquaient que c’était le récit des atrocités commises par les extrémistes sunnites qui les avait poussés à s’engager, et en particulier les photographies montrant l’exécution collective supposée de soldats chiites, flanquées de légendes destinées à attiser leur fièvre religieuse. “Nous devons remporter la victoire, pour notre religion et notre peuple”, s’exclame ainsi Adbul Sabbagh, engagé volontaire de 59 ans.

Pendant que les nouvelles recrues reçoivent une formation, la plupart des positions de la ligne de front, au nord de Bagdad, sont occupées par des miliciens chiites, jugés plus fiables par le gouvernement que les forces de sécurité formées par les Américains, qui sont démoralisées et dont la capitulation collective, au nord, a ouvert une brèche qui a permis aux extrémistes sunnites de progresser. Les miliciens irakiens chiites qui étaient partis se battre en Syrie aux côtés du régime de Bachar El-Assad reviennent également au pays pour aider à repousser les extrémistes sunnites, ce qui pourrait influer sur la capacité de l’Etat syrien à tenir les rebelles syriens en échec.

Une de ces milices, Asaïb Ahl Al-Haq la Ligue des justes, milice chiite extrémiste »>Article original, a confirmé qu’elle se désengageait totalement du conflit syrien par “devoir religieux”, pour répondre à l’appel du grand ayatollah chiite d’Irak Ali Al-Sistani invitant à prendre les armes contre les extrémistes sunnites »>Article original. Attirant l’attention sur la nature à la fois religieuse et régionale du conflit, le président iranien, Hassan Rohani, a promis, dans un discours enflammé prononcé près de la frontière irakienne, que son pays ferait tout son possible pour protéger les lieux saints chiites d’Irak contre les “terroristes”. Plus de cinq mille Iraniens se sont engagés sur Internet à partir en Irak défendre des sanctuaires qui sont visités par des centaines de milliers de pèlerins iraniens chaque année.

—Catherine Philp
Publié le 21 juin 2014 dans The Times (extraits) Londres Article original

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