Nucléaire iranien : qui a enturbanné qui ?
Tout est signé, mais rien n’est réglé, bien sûr.


(photo credit: AP/Carolyn Kaster, Pool)

En examinant les détails pratiques de l’accord de Genève, les experts israéliens suggèrent plutôt un verre à moitié plein, une évaluation juste un peu plus rose ou nuancée que celle apportée par le Premier Ministre.

Le Moyen-Orient est devenu un endroit très différent, et plus risqué, à partir de ce dimanche 24. L’Iran, après plusieurs à-coups, détours et hoquettements mécaniques, une course de vitesse secrète, bien des innovations et échecs techniques s’est, finalement rangé sur le bas-côté de la route – et a reçu la légitimité internationale pour le faire – à une encablure, à peine, de l’obtention de la bombe. Pour certains le point important, c’est cette halte provisoire sur le bord de la route. Pour d’autres, c’est la très courte distance et l’absence d’obstacles qui séparent encore ce pays de son objectif.

Le Premier Ministre Binyamin Netanyahou, au début de sa réunion du cabinet ministériel de dimanche matin, a penché lourdement en direction de la seconde de ces deux perceptions. En appelant l’accord de Genève, une « erreur historique », il considère que les concessions iraniennes restent « cosmétiques » et dit qu’elles peuvent être « annulées dans les semaines à venir ». En outre, il a déclaré qu’Israël ne se perçoit pas du tout lié par cet accord » – une déclaration de défiance, qui implique qu’Israël peut décider de frapper l’Iran par ses propres moyens et sans chercher l’approbation de qui que ce soit, dès qu’il sent que l’Iran s’approche un peu trop près de l’obtention d’une bombe.

Le Times of Israël Article original a pris contact avec plusieurs experts, familiers des à-coups de cet accord et du tableau d’ensemble de ces négociations, et a pu recueillir une évaluation légèrement moins sombre que celle qui a été affichée durant la réunion du cabinet – une de celles qui soulignent la vérité centrale qui prime dans cet accord intérimaire, précisément que, pour la première fois, au cours de toutes ces années, il permet une pause dans la progression de l’Iran, mais ne parvient, d’aucune façon, à entraver ses capacités à réaliser une percée vers l’obtention de la bombe.

Oded Brosh, un ancien analyste principal du Bureau du Premier Ministre et actuel conférencier et chercheur dans le domaine des politiques nucléaires, de la stratégie, de la dissuasion et de la prolifération, du Centre Interdisciplinaire d’Herzliya, désigne cette situation comme celle du “verre à moitié plein”.


Oded Brosh, à gauche.

Jaugeant le contenu de ce verre, il a quelque chose à voir avec les réalités liées aux prédilections de chaque nation impliquée et à la géostratégie régionale.

Les Etats-Unis, une nation foncièrement optimiste – surtout en ce qui concerne le destin des autres nations!– pensent que, comme le Président Barack Obama l’a dit, dans son allocution de samedi, cet accord permet aux Etats-Unis de « réduire la défiance entre les deux nations ». Ils effacent l’ardoise de l’héritage du coup d’Etat monté par Mohammed Mossaddegh et la CIA, en 1953, pour renverser le seul premier ministre démocratiquement élu en Iran. Ils rompent avec la notion de « Grand Satan » et soutiennent le Président Hassan Rouhani. Ils montrent au régime que « si vous vous comportez raisonnablement, nous le ferons, également. Ou, en bref, si on parvient à stopper le programme nucléaire iranien au bord du précipice de l’obtention de la bombe, cela force aussi les portes de la République islamique, vers une sorte de pouvoir plus conciliant, du genre qui, selon ce que pensent certains, a permis de remporter définitivement la Guerre Froide Article original.

Israël, particulièrement sous l’actuel cercle dirigeant, est une nation pessimiste. Il pense que l’impact du pouvoir plus « conciliant » reste limité, face à la férocité de la mentalité chi’ite, ce que Hillary Clinton a, un jour, qualifié de « dictature militaire » s’appuyant sur une théocratie islamiste. Il pense aussi que l’expérience du Génocide, en plus d’une géographie malencontreuse, ternissent durablement le genre d’optimisme observé à Washington. En fait, la proximité géographique d’Israël avec l’Iran, conjuguée à la barbarie rampante et continuelle constatée dans cet environnement moyen-oriental, contribuent à expliquer pourquoi, brusquement, Israël et l’Arabie Saoudite en viennent à partager le même point de vue.

“Il ne fait aucun doute que le soutien apporté à Rouhani et à Zarif – les réputés “modérés”, élevés en Ecosse et en Amérique – est la force motrice de ce soutien de l’Administration Obama à cet accord », reconnaît Brosh.

Du coup, ajoute t-il, ces “modérés” relatifs ont réussi leur mission. « Ils ramènent à la maison le veau gras à consommer », dit-il en fournissant à Ali Khamenei un accord qui offre un allègement des sanctions, mais « n’entame pas les capacités essentielles du programme nucléaire ».


Centrifugeuses (photo credit: US Department of Energy/Wikimedia Commons)

L’Iran s’engage, par cet accord, à arrêter tout enrichissement d’uranium au-delà de 5%, à neutraliser son stock d’uranium enrichi à 20%, à suspendre l’installation de centrifugeuses de nouvelle génération, à freiner tout progrès en quête de plutonium et à accepter des visites d’inspections intrusives de son programme nucléaire, fournissant ainsi un « accès quotidien » aux inspecteurs de l’AIEA, aux sites d’enrichissement de Natanz et Fordo.

Cet accord, cela dit, ne réduit, d’aucune façon, la capacité de production d’une bombe. Cet accord « ne fait rien du tout pour modifier ce délai de production, excepté, peut-être de façon mineure », affirme le Dr Ehpraïm Asculaï, expert chevronné de l’AIEA et de la Commission israélienne à l’Energie Atomique. En tout, puisque l’Iran peut maintenir ses 19.000 centrifugeuses et un droit permanent à enrichir l’uranium à 3, 5%, cela n’ajoute que quelques jours à peine 3 à 4 mois, pour le processus d’enrichissement à 90% nécessaires à la bombe pensent d’autres experts« >Article original supplémentaires au calendrier du régime, dès qu’il décide de foncer vers l’obtention de la bombe.

Ces capacités permettraient à l’Iran de disposer de 5 à 7 bombes d’ici un an. Dans un avenir estimé de 3 à 7 ans, la production annuelle pourrait être de 25 bombes, ce qui permettrait à Téhéran d’avoir 100 à 200 bombes à l’horizon d’une décennie.

Les services israéliens s’alarment également des performances croissantes des missiles iraniens susceptibles d’emporter l’arme atomique. L’arsenal susceptible de frapper Israël s’élèverait déjà à «plusieurs douzaines» de missiles. «D’ici à deux ans, les Iraniens auraient la capacité de frapper l’Europe et dans trois à six ans, leurs missiles balistiques intercontinentaux seraient en mesure d’atteindre la côte Est des États-Unis», affirme la bonne source israélienne.

D’après celle-ci, l’arrêt des travaux de la centrale d’Arak, avec sa filière au plutonium, permet à l’Iran d’engranger sur-le-champ des bénéfices en termes de levée des sanctions sans rien concéder dans l’immédiat.

Car de toute façon, la mise en marche du réacteur en construction dans l’usine d’Arak n’aurait pas pu intervenir avant dix mois. Par ailleurs, si l’allégement des sanctions va soulager l’économie iranienne étranglée, la logique des sanctions laborieusement mises en place depuis dix ans risque d’être durablement affaiblie. «S’il faut remettre la pression, cela sera très difficile», estime le haut responsable israélien.

Les «services» israéliens déplorent aussi que l’accord de Genève revienne à «légitimer, au moins pour les six prochains mois», les activités d’enrichissement de l’Iran «en violation du traité de non-prolifération et de plusieurs résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU».


Amos Yadlin (photo credit: Gideon Markowicz/Flash90)

L’ancien chef des renseignements militaires et actuel directeur du Think-Tank de l’Institut des Etudes en Sécurité Nationale, Amos Yadlin, a confié à la radio de l’armée que la valeur exacte de l’accord, qu’il a désigné comme ne représentant : « ni l’accord rêvé, ni la destruction du Troisième Temple », ne sera démontrée que dans un laps de temps de six mois. Si, d’ici là, l’Iran ne s’écarte pas de la voie de l’obtention de la bombe, ou si l’accord présent, en tenant compte de l’intransigeance iranienne, devient un accord final, faisant de l’Iran un « pays du seuil », alors Israël aura de bonnes raisons d’en faire son deuil » et de prendre ses dispositions »>Article original. Même son de cloche, chez Ron Ben-Yichaï, de Ynet Article original.

Pendant ce temps, suggère t-il, l’approche américaine, visant à renforcer les “modérés” et à retarder l’échéance finale, n’est pas sans quelque mérite : « La chute de ce régime, avant qu’il n’obtienne la bombe », dit-il, en mentionnant le mécontentement croissant en Iran « devrait être notre principal objectif ».

PAR MITCH GINSBURG 25 Novembre 2013, 4:35 am 8

Mitch Ginsburg est le correspondant militaire de Times of Israel.

Article originaltimesofisrael.com

Adaptation : Marc Brzustowski.

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Nucléaire iranien : qui a enturbanné qui ?
Tout est signé, mais rien n’est réglé, bien sûr.

Avant d’examiner le contenu de l’accord sur le nucléaire signé dans la nuit de samedi à dimanche entre l’Iran et les six puissances, force est de constater que les sanctions très dures imposées depuis juillet 2012 se sont révélées efficaces. Si l’Iran n’est pas à tout à fait à genoux, sa situation économique et sociale préoccupante – du fait de son isolement du système bancaire international, qui l’a privé d’une grande partie de ses revenus en devises étrangères – a poussé ses dirigeants à revoir leur tactique, quitte à faire d’importantes concessions. La dernière fois que Téhéran avait suspendu son programme nucléaire remonte à 2003, après le déclenchement de la guerre en Irak, ce qui prouve que le gouvernement iranien sait adapter sa politique en fonction des rapports de forces.

Toute la question est de savoir si l’Iran va véritablement changer de stratégie. Parmi les puissances occidentales, personne ne doute de la volonté de Téhéran de devenir un Etat nucléaire, poursuivant sa lutte pour la puissance qui l’incite à se rapprocher le plus possible du seuil fatidique, en attendant l’occasion de se lancer dans une fuite en avant.

Ignorant les dénégations des plus hauts dignitaires iraniens, lesquels nous répètent inlassablement que l’arme nucléaire est incompatible avec l’islam, les négociateurs cherchent à éloigner le régime des mollahs de son objectif en payant le moins lourd tribut possible. Cette stratégie offre aux Iraniens le moyen de garder la tête haute, tout en retardant autant que faire ce peut les ambitions nucléaires militaires de Téhéran.

Aujourd’hui, il est encore impossible d’identifier le grand gagnant de l’accord conclu ce week-end, sachant que l’Iran emploiera tous les moyens pour exploiter au maximum les avantages qu’il tire de ce compromis, tout en contournant ses engagements. Les plus vigilants des négociateurs ont-ils tout prévu en matière de surveillance ? On n’en sait rien.

Mais l’expérience nous enseigne que l’allègement des sanctions – concédée aux Iraniens en même temps qu’a été de facto reconnu leur droit à enrichir de l’uraniumfacilite leur contournement. En Irak, les fameux programmes « pétrole contre nourriture » imposés avant 2003, nous ont appris qu’un robinet ne pouvait être qu’ouvert ou fermé. L’ouvrir un peu revient à l’ouvrir tout court. Dans le cas iranien, il faut être bien naïf pour croire que les allègements de sanctions n’atteindront que les 7 milliards de dollars annoncés. Félicitons donc les nouveaux millionnaires qui s’enrichiront prochainement grâce aux nouvelles règles d’échange avec l’Iran.

Beaucoup analysent la position israélienne comme la représentante d’une ligne dure vis-à-vis de l’Iran. Par souci d’exactitude, il faudrait d’abord la requalifier : l’appeler « position saoudo-jordano-qataro-franco-israélienne » serait plus juste. Il n’empêche, en marge des négociations passées et futures, puisque le présent accord n’est qu’intérimaire, Israël doit jouer le rôle du mauvais flic. Si les sanctions se sont avérées efficaces, la menace d’une action militaire israélienne et la guerre secrète menée par Jérusalem contre le programme militaire iranien n’y sont pas pour rien. La réaction dépitée de Netanyahou à l’annonce de l’accord fait en quelque sorte partie du « deal » : puisque le premier ministre israélien pense que Téhéran vient de gagner une manche, les Iraniens ne peuvent qu’apprécier cet accord. Et du point de vue israélien, comme la crise nucléaire iranienne est loin d’être résolue, laisser planer une menace à peine voilée ne peut nuire à la suite des événements.

Dans le cadre de la stratégie américaine d’endiguement (containment), qui vise à gagner du temps en attendant la perestroïka perse, chacun joue sa partition en espérant ne pas se retrouver dupe lorsque l’arbitre sifflera la fin de la partie.

*Photo : Martial Trezzini/AP/SIPA. AP21487983_000029.

Gil Mihaely est historien et directeur de la publication de Causeur Article original.

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Ratfucker

Les mollah auront-ils l’élégance (ou la charité chrétienne) de prévenir leurs protégés palestiniens d’avoir à faire leurs valises en temps utile, avant qu’une frappe sur Jerusalem n’en vitrifie plus d’1 million incrustés dans un rayon de 15 km?