À l’occasion de la Journée en mémoire des victimes de la Shoah, France 24 met en lumière la lycéenne déportée Louise Pikovsky.

D’autres membres de sa famille ont été retrouvés, dont une cousine qui ignorait tout de son histoire familiale.

 

Claire Pikovsky et Nicole Minot lors des retrouvailles au Mémorial de la Shoah à Paris. Stéphanie Trouillard, France 24 

D’instinct, elles se trouvent du regard. Pas l’ombre d’une hésitation. Elles se serrent longuement dans leurs bras. Aucune parole échangée, seulement des embrassades.

Que dire ? L’émotion leur serre les lèvres. Cela fait des semaines que Claire Pikovsky et Nicole Minot attendent ce moment. « Je n’ai pas les mots », lâche simplement Claire.

« C’est difficile d’exprimer l’émotion. C’est tellement inattendu et peu évident », ajoute Nicole tout en s’agrippant à elle.

Il y a encore quelques mois, ces deux femmes ignoraient l’existence l’une de l’autre.

Elles sont pourtant de la même famille: celle de Louise Pikovsky, cette lycéenne juive parisienne déportée en 1944, à laquelle j’ai consacré un documentaire.

Nicole Minot et Claire Pikovsky devant le mur où sont inscrits les noms des déportés au Mémorial de la Shoah, dont ceux de la famille de Louise Pikovsky. Stéphanie Trouillard, France 24

Sur les traces de Michel Pikovsky

Depuis la publication de ce travail en 2017, je continue mes recherches sur cette jeune fille dont les lettres retrouvées ont fait le tour du monde.

À l’été 2018, j’ai enfin accès à un document qui me manquait jusque-là : le dossier de naturalisation de son père, Abraham Pikovsky, originaire d’Ukraine.

Pour demander la nationalité française dans les années 30, ce dernier a dû se soumettre à un questionnaire.

Il y a indiqué avoir un frère Michel, âgé de 34 ans et vivant « en Amérique ». La surprise est totale. Je n’avais jamais entendu parler de lui.

En quelques clics sur Internet, je me mets sur les traces de ce fameux Michel, espérant retrouver une éventuelle descendance.

Mais rien, pas l’ombre d’une piste. Il ne fait pas partie de ces immigrés européens arrivés sur l’île d’Ellis Island à New York.

Dans l’impasse, je contacte Marie Cappart, une généalogiste professionnelle belge, spécialisée dans le monde anglo-saxon. Elle non plus ne trouve rien, mais piquée par la curiosité, elle décide à tout hasard de chercher s’il n’est pas passé par son pays.

Son instinct se révèle payant. Aux archives nationales belges, un dossier porte son nom. La coïncidence est incroyable.

Michel n’a pas quitté le sol européen, mais il s’est installé en Belgique au milieu des années 20 avec sa femme Gabrielle et ses deux enfants Jean et Olga, après avoir vécu quelque temps en Allemagne.

« Mais il n’y a plus de traces d’eux après 1942… », précise Marie Cappart, laissant présager que la famille a subi le même sort que celle de Louise et qu’ils ont eux aussi été déportés.

Encore une fois, la généalogiste est dans le vrai. Sur le site de la Caserne Dossin, l’équivalent belge du camp de Drancy, situé à Malines, près de Bruxelles, nous apprenons que Michel, Gabrielle et Olga ont été transportés vers Auschwitz le 19 avril 1943 par le vingtième convoi parti de Belgique.

Aucun n’en est revenu. Mais qu’est-il arrivé au fils, Jean ? A-t-il survécu ? Pour en savoir plus, il faut me rendre en Belgique. Rendez-vous est pris avec Marie Cappart.

Pendant deux jours, nous épluchons les archives, notamment celles de la police des étrangers. Nous y retrouvons les adresses des différents domiciles de l’oncle et de la tante de Louise, leurs professions et même quelques photos, mais toujours pas d’informations sur le destin de Jean.

La déportation de la famille Pikovsky depuis la Belgique

La caserne Dossin, à Malines, au nord-est de Bruxelles, a été construite en 1756 sur ordre de l’impératrice Marie-Thérèse d’Autriche comme quartier pour des soldats autrichiens.© Stéphanie Trouillard, France 24

 

A partir de juillet 1942, cette caserne devient, comme Drancy en France, un « Sammellager », un camp de rassemblement pour les juifs et les Tsiganes. © Stéphanie Trouillard, France 24

 

Entre juillet 1942 et septembre 1944, 25 274 juifs et 354 Tsiganes y ont été rassemblés pour être déportés à Auschwitz et dans d’autres camps.© Stéphanie Trouillard, France 24

Michel, Olga et Gabrielle Pikovsky ont été conduits à la caserne Dossin, le 17 avril 1943. Ils ont été déportés deux jours plus tard vers Auschwitz par le convoi XX.© Stéphanie Trouillard, France 24

Leurs noms figurent sur la liste du convoi XX qui comptait 1636 déportés juifs. Celui-ci a la particularité d’avoir fait l’objet d’une action menée par des résistants en vue de s’évader. 232 prisonniers parviennent à s’extirper du train en marche. © Service Archives des victimes de guerre – AGR, Bruxelles

La caserne Dossin comporte aujourd’hui un Mémorial. La partie la plus émouvante est sans nul doute le mur des portraits. Les photos sont classées par convoi. Il y a des silhouettes pour les portraits manquants.© Stéphanie Trouillard, France 24

Les portraits de Michel et Olga Pikovsky (ici au centre) figurent sur ce mur. La photographie de leur fille Olga est pour l’instant manquante. De leur convoi, 63 % des déportés sont gazés immédiatement à Auschwitz.© Stéphanie Trouillard, France 24

Un survivant dans la famille Pikovsky

Ce n’est qu’aux archives belges des victimes de guerre que nous découvrons avec soulagement son sort. Jean n’est pas mort durant le conflit. Le jeune garçon, né en 1922, a échappé à la Shoah en s’engageant dans l’armée belge libre.

Après avoir fui par l’Espagne où il a été interné de longs mois, il a pu gagner l’Angleterre et intégrer la brigade Piron qui a participé à la bataille de Normandie et à la libération de la Belgique.

De retour dans son pays, il s’est marié et a eu deux enfants, avant de s’éteindre en 1987. Pendant de longues semaines, nous nous lançons cette fois-ci sur les traces de ses filles. Sans succès. Même un appel sur Facebook ne donne aucun résultat.

Mais Marie Cappart est tenace et fini par retrouver un vieux numéro de téléphone au nom de Jean Pikovsky dans un annuaire bruxellois. Personne ne décroche au bout du fil, alors la généalogiste se rend sur place.

La femme de Jean est encore en vie, mais elle n’occupe plus l’appartement, comme lui apprennent des voisins, qui lui donnent les coordonnées de l’une de ses filles, Claire.

Une photographie de Jean Pikovsky, datant de 1937, retrouvée dans son dossier de la police des étrangers. Il avait alors 15 ans. Archives générales du Royaume – Police des étrangers

Que sait-elle de son histoire ? A-t-elle connaissance du passé de sa famille ? Pour ne pas trop la brusquer, je lui envoie une lettre et une copie du documentaire sur sa cousine éloignée Louise Pikovsky.

Sa réponse est immédiate. « Chère Madame, c’est avec une réelle émotion que j’ai lu votre courrier. Je fais régulièrement de petites recherches sur Internet. Je connaissais votre travail et l’envie de vous contacter me tenaillait. Je suis effectivement la fille de Jean. (…) Je serai ravie de vous rencontrer, et s’il m’est possible de revoir des membres de la famille de mon père, ce sera un merveilleux cadeau de Noël », m’écrit-elle dans un premier temps.

Une histoire de protection

Après plusieurs échanges d’e-mails, nous décidons d’organiser cette rencontre au Mémorial de la Shoah, à Paris, mi-janvier, en présence de Nicole Minot, une autre cousine éloignée de Louise. Sa grand-mère, Hannah Pessia Pikovsky, était la tante de Michel Pikovsky, le grand-père de Claire.

Les deux femmes partagent les mêmes ancêtres originaires d’Ukraine. Un passé dont Claire n’avait jusqu’alors aucune idée.

« Je ne savais même pas exactement quelle était ma nationalité d’origine entre la Pologne et l’Ukraine », explique-t-elle lors de ces retrouvailles. C’est en recevant mon courrier que les pièces du puzzle se sont tout d’un coup assemblées.

« J’ai découvert le documentaire sur Louise Pikovsky en faisant des recherches sur Internet. Tout de suite, j’ai ressenti quelque chose. J’ai pensé qu’il y avait un lien entre cette histoire et la mienne. Ce n’était pas possible, qu’ils aient le même nom alors qu’il y en a si peu », raconte-t-elle avec beaucoup d’émotion. « Je voulais vous contacter, mais j’avais du mal à dépasser cet interdit que j’avais intégré toute ma vie. »

Nicole Minot raconte à Claire Pikovsky l’histoire de leurs ancêtres venus d’Ukraine en France au début du XXe siècle. Stéphanie Trouillard, France 24

Claire a en effet toujours fait face à un silence assourdissant. Son père a gardé sa douleur pour lui. Il a fait table rase du passé. Il n’a jamais parlé de la déportation de ses parents et de sa sœur, ni de ses origines juives. « Il a peut-être pensé nous protéger en faisant en sorte que l’on ne sache pas notre appartenance.

C’est finalement une belle histoire, car c’est une histoire de protection », estime Claire. Mais une part d’elle a toujours cherché à connaître ses racines : « J’avais un manque qui m’a vraiment empêché de grandir. »

Un second pied à terre

Depuis l’envoi du courrier, la fille de Jean a dépassé cet interdit. Dans l’ancien appartement de ses parents, elle a mis la main sur des archives qu’elles n’avait jamais vues, dont des courriers écrits durant la guerre.

Dans une petite pièce qui nous a été réservée au Mémorial de la Shoah, elle nous montre une lettre datée de février 1943 de sa grand-mère Gabrielle qui évoque la famille de Louise en France : « De Paris, nous avons des nouvelles, tout le monde va bien. (….) Les filles vont en classe. Ce sera de grandes savantes. »

Jusqu’au bout, avant d’être envoyés en déportation, les deux frères Pikovsky ont donc conservé un lien. « C’était une famille unie. On mesure la chaleur dans ces lettres », souligne Claire.

Dans un tiroir, elle a aussi retrouvé une petite carte en papier sur laquelle ont été griffonnées au crayon de bois quelques phrases aujourd’hui à peine lisibles. Il s’agit d’un dernier mot écrit par Olga à des amis après son arrestation et celles de ses parents : « Tout passera vite et puis on se retrouvera tous. »

Dans la pièce, le silence se fait en écoutant ce témoignage si bouleversant. Claire a aussi apporté quelques photos de sa tante. Jusqu’à présent, son visage nous était inconnu.

C’est une jeune fille souriante et coquette qui nous fixe avec un grand sourire. Sa nièce compte désormais déposer son portrait à la Caserne Dossin pour qu’il figure sur le mur des déportés aux côtés de celui de ses parents : « C’est lui rendre vie. »

Olga Pikovsky a été déportée le 19 avril 1943, vers Auschwitz, à l’âge de 19 ans. Il existe un acte de décès pour la jeune fille établi dans le camp, en date du 6 décembre 1943. Elle y aurait donc survécu quelques mois. Archives Claire Pikovsky

Claire espère ensuite rencontrer les autres membres de la famille Pikovsky dispersés un peu partout en France et même en Israël.

« Oui, on est des étrangers, car on ne s’est pas connus, on n’a pas eu de passé ensemble, mais à l’intérieur de soi il y a quelque chose qui fait qu’on n’est pas étrangers quand même »,approuve sa nouvelle cousine Nicole.

Même si elle regrette de ne pas pouvoir partager ce torrent d’émotions avec sa sœur malheureusement décédée, Claire se sent désormais entière.

« C’est comme une petite branche d’un arbre qui retrouve le tronc. Je me dis que j’appartiens à une grande famille, alors que j’ai toujours pensé qu’on était les seuls Pikovsky », résume-t-elle.

La guerre et la Shoah avaient à la fois décimé les siens et effacé son identité. Ce grand vide est maintenant comblé : « C’est comme si mon second pied est enfin à terre. »

webdoc.france24.com/si-je-reviens-un-jour-louise-pikovsky/

Stéphanie TROUILLARD ,  f24

Vidéo par :FRANCE 24

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