Élisabeth Lévy : «La passivité de nos gouvernants face l’islam radical fait progresser le FN»

FIGAROVOX/ GRAND ENTRETIEN – A l’occasion de la sortie du dernier numéro de Causeur, consacré aux attentats du vendredi 13 novembre, Elisabeth Lévy a accordé un entretien fleuve à FigaroVox. Pour elle, cette tragédie a ouvert les yeux d’une partie de la classe politique sur la réalité de la menace islamiste.


Elisabeth Lévy est journaliste et directrice de la rédaction de Causeur. Dans son numéro de novembre, intitulé, «Pas de quartier pour les islamistes, pas d’islamistes dans nos quartiers», le magazine revient sur les attentats du vendredi 13 novembre.


FIGAROVOX. – Dans le dernier numéro de Causeur, Pas de quartier pour les islamistes, pas d’islamistes dans nos quartiers, vous expliquez qu’après les attentats du vendredi 13 novembre, quelque chose a enfin changé. On ne vous connaissait pas aussi optimiste.

Elisabeth LEVY. – Alors c’est un optimisme jaune. Disons que j’ai tendance à croire aux effets des «coups de réel». On se dit que, cette fois, ils ont compris – nous avons compris. Il est assez stupide de dire que rien ne sera plus comme avant, parce que, en réalité, la plupart des choses sont souvent exactement, et parfois désespérément, comme avant. On a fait de la poésie après Auschwitz, on fera les soldes après le Bataclan.

Mais après «Charlie», nous avions eu une orgie de grands mots, de mesures citoyennes, de roulements de tambour, d’esprit du 11 janvier et autres calembredaines. Pour aboutir à rien. Néant sur toute la ligne – sécurité, école intégration….après ce qui avait été présenté comme un traumatisme inégalable, en trois semaines nous étions revenus à la normale, aux discours excusistes, et à la repentance pour «l’apartheid français». Et, bien sûr, tout cela n’avait rien à voir avec l’islam. Le danger pour la France, ce n’était pas l’islamisme radical, mais l’islamophobie. Et l’amalgamisme.

Et vous trouvez que ces discours ont disparu aujourd’hui?

En tout cas, ils ont disparu au sommet de l’Etat. Sans doute parce qu’ils passent de moins en moins. Quelques jours après les attentats du 13 novembre, j’ai trouvé dans ma boite aux lettres Elle et Valeurs actuelles: la une de Elle était un immense cœur bleu-blanc-rouge, celle de VA proclamait «Guerre aux Barbares!» Pour ma part, je ne le dirais pas en ces termes mais je suis plus d’humeurValeurs que d’humeur Elle. Et j’ai l’impression que beaucoup de Français sont comme moi. Ils veulent que leurs gouvernants désignent l’ennemi et le combattent. Y compris l’ennemi intérieur. Le 14 novembre, j’ai été frappée par la «une» de Society qui occupait encore pas mal de dos de kiosques à Paris: «Hollande. Son plan pour contrer le FN». Et le 12 novembre, Le Monde titrait: «Le plan de Matignon contre le FN». Lutter contre la menace frontiste, voilà donc ce qui, à la veille de la tuerie, préoccupait nos dirigeants – et les grandes consciences de leur presse. Pendant que nos ennemis se préparaient militairement à accomplir leurs crimes, l’Élysée et Matignon se tiraient la bourre pour savoir qui serait «le meilleur rempart contre le Front national» – et qui, accessoirement, exploiterait le mieux ce terrible danger pour faire avancer ses propres actions électorales.

Eh bien justement, c’est reparti! C’est de nouveau la grande préoccupation du moment.

Ce n’est pas faux. Et de fait, à force de parler du loup – et de ne pas répondre aux inquiétudes des électeurs -, on finit par le faire advenir. L’une des principales raisons de la progression du FN, c’est le sentiment que nos gouvernants sont passifs ou complaisants face à la progression l’islam radical.

Vous voyez bien que rien ne change vraiment!

François Hollande proclame l’état d’urgence quasi-permanent, il préconise des mesures réclamées hier par le FN et conspuées par la gauche et rien ne change? Vous exagérez! Certes, il continue à être embarrassé quand il s’agit de désigner l’ennemi, en particulier l’ennemi de l’intérieur, mais c’est objectivement embarrassant: comment définir, comment qualifier cette ultra-minorité qui veut la destruction de son pays d’accueil ou de naissance, dès lors qu’il ne s’agit ni «des» musulmans évidemment, ni de gens «qui n’ont rien à voir» avec l’islam? Je vous concède par ailleurs que la conversion du président au tricolore a quelque chose d’un peu naïf – je ne peux pas croire qu’elle soit simplement cynique. Quand il nous demande de pavoiser nos fenêtres et même de faire des «selfies patriotiques» – une chatoyante invention des communicants gouvernementaux -, j’ai l’impression d’être plongée dans du Muray en ébullition. Bien sûr, il ne faudrait pas que cette orgie de symboles dispense de l’action. Mais après tout, si la gauche retrouve le goût de la nation, même sur ce mode infantile, on ne va pas s’en plaindre. Enfin pas tout de suite.

Le patriotisme ne se décrète pas….

Non, mais il peut se réveiller! Et il y a un autre changement qu’il faut saluer, c’est que beaucoup de Français musulmans, anonymes ou «représentatifs», se rendent compte qu’il y a le feu à la maison commune et retrouvent des réflexes patriotiques. On entend moins d’accusations et plus d’introspection. Ceux qui sont censés représenter l’islam de France admettent qu’ils ont perdu «leur» jeunesse et ne disent pas que c’est à cause de l’islamophobie. «Nous avons laissé le poison de la salafisation se répandre», écrit l’ancien conseiller de Jean-Pierre Raffarin Hakim el Karoui qui, exceptionnellement, s’exprime en tant que musulman. On a peur des amalgames et on a raison. Eh bien de telles voix, en invitant à faire des distinctions, sont le meilleur antidote aux amalgames.

Ne craignez-vous pas que la percée attendue du FN aux régionales renvoie le drapeau français et la Marseillaise au rang de vieilles reliques xénophobes?

C’est un risque. On peut en effet, pour lutter contre le FN, appliquer les recettes qui l’ont amené là où il est: lui laisser à la fois le monopole du réel (comme le dit Alain Finkielkraut) et celui du drapeau. Mais on ne saurait exclure que le bon sens finisse par prévaloir….

Quoi qu’il en soit, si basculement il y a eu après le 13 novembre, comment l’expliquez-vous? Pourquoi n’a-t-il pas été possible en janvier? Un retour du refoulé est-il à craindre?

La grande nouveauté, comme on l’a abondamment répété, et comme l’a remarqué avec quelque acidité Guillaume Erner, le matinalier de France Culture, «maintenant, tout le monde se sent visé» – même les«Français innocents» (référence à la bourde de Raymond Barre après l’attentat de la rue Copernic: «Ils voulaient tuer des juifs, ils ont tué des Français innocents»). Désormais, vous pouvez vous tenir peinard, ça ne changera rien: même si vous ne dessinez pas le prophète de l’islam et que vous n’êtes pas trop juif (ou trop catho parce que des églises aussi sont visées), vous n’êtes pas protégé. Tout cynisme mis à part, dès lors qu’il n’y a pas de groupes spécifiques ciblés, tout le monde est une cible. Résultat: la soumission n’est plus une option. Quant à ce que vous appelez un retour du refoulé, c’est un penchant humain ; nous allons oublier et passer à autre chose. Jusqu’au prochain. Mais je le répète, quelque chose a changé: la France est, sinon concrètement mieux armée, plus déterminée, parce que plus consciente d’avoir quelque chose de précieux à défendre.

Justement, à vous lire, on dirait que nous n’avons rien d’autre à défendre que la frivolité. Vous allez jusqu’à dire qu’il faut défendre Homo Festivus et dire «Homo Festivus c’est moi!». La frivolité est sans doute une composante de notre identité. Pour autant, peut-on résumer la civilisation française et européenne à la fête et à la consommation? N’est-ce pas le plus beau cadeau que l’on puisse faire aux intégristes?

Bien sûr, comme l’a dit Brice Couturier dans une très belle chronique que nous publions dansCauseur, nous sommes les enfants de Descartes et de Voltaire. Certes, mais les terroristes n’ont pas attaqué une librairie. Nous sommes aussi les enfants du rock et de la télé, les enfants de la salle de gym et du supermarché, les enfants du porno et du mariage gay (oui, chers djihadistes, vous finirez par me convertir….). Eh bien quand tout cela est attaqué, menacé dans sa survie même, cela me semble soudain très désirable. La société libérale n’est pas toujours très glorieuse, elle préfère l’hédonisme à l’héroïsme, mais elle a cette précieuse vertu d’être libérale, c’est-à-dire qu’elle n’oblige personne à traîner aux terrasses ou à écouter du rock. Bien sûr, nous n’avons pas que cela à défendre, et à long terme, nous n’avons pas le choix, il nous faudra bien discuter de ce que nous avons en commun, c’est-à-dire de notre identité nationale, tiens tiens. Mais en attendant, quand les djihadistes s’attaquent à ce que nos existences ont de frivole et même de vain, nous redécouvrons à quel point ces frivolités et ces vanités nous sont chères. Alors oui, défendons Homo Festivus, par les armes s’il le faut! Il sera toujours temps de lui régler son compte après….

En admettant que vous ayez raison, êtes-vous certaine qu’Homo Festivus soit assez fort pour résister à l’idéologie totalitaire des islamistes?

Je vous avoue que, quand j’ai entendu s’élever les paroles de «Quand on n’a que l’amour» dans la cour des Invalides, je me suis étranglée de rage. Que l’amour contre nos ennemis? Et pourquoi pas des fleurs? Mais justement, Festivus n’est pas d’humeur à faire du sentiment. Pierre Manent propose de passer un compromis avec les musulmans sur les mœurs. Au contraire, c’est le moment de proclamer qu’elles ne sont pas négociables. Vous n’êtes pas obligés d’en profiter (la minijupe n’est pas une obligation, tout de même…), mais vous devez laisser vos sœurs et vos filles s’y adonner si ça leur chante. Ah, ils s’en prennent au ventre mou de notre civilisation? Eh bien ils verront de quel bois se chauffe l’Occidental avachi. «Nous vaincrons. Parce que nous sommes les plus morts.», écrit Muray. Peut-être suis-je volontairement candide, je préfère dire que nous vaincrons parce que nous sommes les plus mous. Alors, je le répète, ce n’est pas très glorieux. Mais c’est bien agréable. Et ce n’est pas rien.

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blum

Affirmer qu’il a fallu les tueries de masse pour ouvrir les yeux de nos hommes politiques est l’aveu de leur incapacité à remplir leur tâche.
« Gouverner, c’est prévoir », dit le dicton.
Alain Bauer, l’un des Dupond(t) de la criminologie, ne se lasse pas d’écrire (2009) et de dire, sur les plateaux de Télé., il faut ANTICIPER LA MENACE.
Voyez comme on est loin du compte.
Non seulement on n’anticipe pas, mais, malgré tous nos systèmes de vidéo-surveillance, nos fiches S, et nos limiers, des assassins courent toujours…

tb1414

Tout celà est juste, mais ne dépasse pas les incantations.
Constater qu’il y a quelque chose qui n’a pas marché, OK ! L’exploiter à des fins politicardes affaiblit le diagnostic.
La seul vraie question est QUOI FAIRE, maintenant ?
Et là des personnes de l’intelligence d’Elisabeth Levy ont surement à réfléchir avec d’autres et il y a à coup sûr des solutions efficaces pas electoralement immediatement mais pour notre vie, et la sauvegarde de ce qui nous est essentiel.
Et ne pas se tromper de tactique. Se lamenter sur la montée du FN et tenir exactement son discours incantatoire de campagne, c’est le servir. Le FN n’a rien à proposer autre que flatter les pires pulsions pour alimenter son electorat. Alors, a minima, ne l’aidez pas !