Certes, notre paracha commence bien par une injonction: « Et toi, tu ordonneras aux enfants d’Israël et ils prendront pour toi de l’huile d’olive pure, pressée, afin d’élever une lumière permanente» (Ex 27,20).

Verset énigmatique qui soulève un certain nombre de questions.

Commençons par le contenu de l’injonction. Rabbi Shmuel bar Nahmani précise: « Ils prendront pour toi et non pas pour moi.»

Il n’est pas mentionné en effet comme pour la construction du tabernacle «véyiqh’ou li, et ils prendront pour moi [Dieu] » (Ex 25,2),  mais bien « ils prendront pour toi [Moïse].»

Et R. Shmuel bar Nahmani motive son commentaire: «lo léorah ani tsarikh/Moi [Dieu], Je n’ai pas besoin de lumière.» (Ménah’ot 86 b)

Dieu étant la source de toute lumière, l’institution de cette lumière permanente est un commandement adressé à Israël pour la gloire de la tente d’assignation: l’huile, pour la lumière ; les baumes pour l’huile d’onction et pour l’encens, les parfums.

Ceci, afin que la tente d’assignation diffuse l’éclat resplendissant de cette lumière dans le pays et dans le monde…et les embaume pour la gloire du peuple d’Israël qui s’adonne à ce commandement.

Pourtant l’incipit de cette paracha ne cesse d’intriguer. Nous avons là une ouverture étonnante et inédite.

Déjà ce verbe véyiqh’ou exige une interprétation. On s’attendrait plutôt à lire : ils donneront, ils offriront : véyitenou.

Que signifie, dès lors, ils prendront ? Ils prélèveront de ce qu’ils auront reçu, de ce qui leur aura été octroyé. Des bienfaits dont Dieu les a gratifiés, ils prendront une partie qu’ils Lui consacreront.

Car «tout vient de toi et c’est de ta main que nous prenons ce que nous t’avons donné» (1Chr 29,14).

Mais encore en amont, que signifie « Et toi : véata…»? Qui est ce «tu» que Dieu interpelle? Pourquoi cet anonymat de l’interpellation très inhabituel dans la Bible ?

Le suspens ne dure que pendant la lecture des deux premiers versets. Dès le troisième (Ex 28,1) nous pouvons mettre un nom sur ce «tu» : Moïse.

Toutefois l’on constate que Moïse n’est jamais désigné par son nom dans toute la paracha. Tout se passe comme s’il s’agissait d’une intention délibérée, alors que depuis que Moïse est apparu sur la scène du récit biblique, il n’y a pas de paracha qui ne l’évoque et/ou l’invoque en ces termes «Dieu s’adressa à Moïse en disant…»

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Toutes, à l’exception de tétsavéh. Force est de se demander : pourquoi ? Pour quelle(s) raison (s) ?

Pour répondre à cette question, il convient de faire un détour par le débat instauré entre les Sages pour savoir si les chapitres 25 à 34 de l’Exode suivent l’ordre chronologique des événements ou bien si la Torah est indifférente à cet ordre selon l’enseignement talmudique « ein mouqdam ouméouh’ar batorah/il n’y a ni avant, ni après dans la Torah.» (Pessah’im 6 b)

Rachi qui, d’un côté, défend cette conception explique «l’épisode du veau d’or a précédé de beaucoup l’ordre de construction de la tente d’assignation laquelle n’est requise que pour permettre – par le culte sacrificiel et le rituel – le recouvrement de cette faute ou de cet égarement.» (Cf. Rachi sur Ex 31, 18)

Nahmanide, de l’autre, soutient que les lectures hebdomadaires obéissent à un ordre logique :  Dieu ayant anticipé les événements, a prescrit le remède (le mishkane) avant d’être confronté à la faute du veau d’or, à l’idolâtrie – faute cardinale s’il en est ! (Nahmanide sur Ex 24,18 ; 35, 1 et Lv 8,1)

Selon la première école, le nom de Moïse est occulté dans cette paracha parce qu’il avait interpellé Dieu en ces termes « Et maintenant si tu portais leur faute, et sinon efface-moi de ton livre que tu as écrit.» (Ex 32, 32).

Or, nous savons que la malédiction d’un juste, même lorsqu’elle est assortie de conditions,  se réalise inexorablement. Dieu l’a donc effacé non pas de tout son livre mais d’une partie de son livre, de cette paracha.

Et pourquoi  de celle-ci précisément et non pas d’une autre ? Parce que, selon Ibn Ezra sur Ex 28, 1,  nous lisons chaque année cette paracha autour de la semaine du 7 adar, date de la mort de Moïse.

De même donc que Moïse a quitté ce monde à cette date, de même il a disparu de la paracha que nous lisons à cette période de l’année.

Allusion très fine, mais hommage exceptionnel.

L’interprétation qui découle de la prise en considération des enseignements de la seconde école permettra de retrouver le thème de la fraternité.

Notons qu’il y a un transfert de la fonction de prêtrise et que ce transfert se passe sans anicroche. Plus encore, il est emprunt de civilités et même d’amour, comme il convient que cela se passe entre frères.

«Et toi, approche de toi Aharon ton frère et ses fils avec lui d’entre les enfants d’Israël pour qu’il soit prêtre pour moi…» (Ex 28,1)

Rachi explicite ce transfert sur Ex 4, 14 en reprenant un enseignement de Zévah’im 102 b, après les refus réitérés de Moïse d’accepter la mission de libérer les enfants d’Israël de la servitude égyptienne.

«Ton frère Aharon était destiné à être lévite et non prêtre, tandis que la prêtrise devait sortir de toi. Désormais, il n’en sera pas ainsi, lui sera prêtre et toi, tu seras lévite.»

Malgré cette sanction, Moïse ne garde aucun ressentiment, il installe son frère Aharon avec tous les honneurs dus à son rang dans sa fonction de grand  prêtre en l’habillant des vêtements sacerdotaux oints à cet effet.

De surcroît, il le laisse occuper toute la place au point d’accepter que son nom soit occulté, car c’est la paracha de l’institution de  la prêtrise. Comme gage de fraternité, on ne saurait faire mieux !

Un dernier mot au sujet de la manière dont les panneaux et les tentures sont assemblés (hovérot).

La racine de ce verbe est hèt-bèt-resh qui donne le substantif haver : ami.

Cependant, selon Ex 26,3, cet assemblage s’effectue icha el ah’otah : chacune [des tentures] vers sa sœur et non pas comme le rend la Bible du rabbinat : l’une à l’autre. Rachi ad loc renvoie aux chérubins dont les visages étaient tournés chacun vers son frère : oufnéhem ich el ah’iv. (Ex 25,20).

Avec un peu d’audace, on pourrait détourner le sens obvie de ah’ et ah’ot qui signifient frère et soeur en le rapprochant assonantiquement du verbe léah’ot : recoudre une déchirure, raccommoder un accroc, replâtrer les fissures ou même refermer, panser une blessure.

Lier ensemble, coudre en vue de reconstituer une unité, un ensemble. Panser, tel est le sens de la fraternité véritable. Panser en vue d’instaurer la paix.

C’est bien ce qui ressort du geste de Moïse de se retirer sur la pointe des pieds afin de laisser toute la place à Aharon, son frère.

Et c’est encore ce qui est suggéré par les finales hébraïques des mots : et les visages étaient tournés chacun vers son frère, qui constituent l’anagramme du  mot chalom.

du Pr. David BANON

Universités de Strasbourg , de Lausanne et de Jérusalem. Membre de l’Institut Universitaire de France

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