L’art dans le camp de concentration de Terezín, objet d’un nouvel ouvrage

En réunissant à Theresienstadt, un « camp témoin », tous les artistes juifs à des fins de propagande, les nazis ont involontairement ouvert la porte à un élan de créativité artistique

JTA — Au cours des dernières décennies, le camp de concentration de Terezín est devenu, dans l’esprit de tous, synonyme de musique, d’une d’harmonie face à l’horreur en raison du nombre élevé de musiciens qui y avaient été déportés.

Aujourd’hui, l’auteur Mark Ludwig, à la tête de la Terezín Music Foundation, une fondation qui se consacre à la préservation de la mémoire du camp, raconte dans un nouveau livre la manière dont un éminent musicien avait continué à parvenir à faire survivre son amour pour la musique, cet amour qui avait accompagné toute son existence, dans le camp. L’ouvrage offre aussi un nouvel aperçu sur la vie à Terezín.

Viktor Ullmann, un compositeur autrichien, était né dans une famille juive et il avait étudié auprès d’un compositeur juif légendaire, Arnold Schoenberg, qui avait fui les nazis en 1933. Ullman avait été envoyé à Terezín – connu alors sous le nom de Theresienstadt – en 1942.

 

Quand il avait été prisonnier là-bas, Ullman avait écrit une série d’essais sur la vie musicale – avec le portrait d’une scène artistique vibrante dans les profondeurs d’un ghetto étouffant, ses appréciations et ses réflexions sur les œuvres qui avaient été composées au camp.

Puis 1944, après avoir écrit un opéra – dans lequel il persiflait Hitler – Ullman avait été assassiné à Auschwitz où étaient également morts des dizaines de milliers de détenus de Terezín, ses compagnons d’infortune.

Le regard particulier d’Ullman est préservé dans Our Will to Live, une nouvelle compilation de ses critiques qui a été rassemblée avec soin par Mark Ludwig, ancien violoniste au sein de l’Orchestre symphonique de Boston et professeur de musique de la Shoah au Boston College. Le livre est sorti chez l’éditeur d’ouvrages d’art haut-de-gamme Steidl en date du 11 janvier.

« Ullmann est notre Virgile, il nous ramène à Terezín par la vertu de ses critiques », déclare Ludwig à JTA.

La vie à Terezín était aussi brutale que dans n’importe quel autre camp de concentration. La nourriture était rare, la surpopulation endémique et les maladies se propageaient rapidement. Sur les 141 000 prisonniers de Terezin, 90 000 avaient été envoyés à Treblinka et à Auschwitz où ils avaient été assassinés.

Mais Terezín était également un élément majeur de la machine de propagande nazie et ces derniers prenaient grand soin à ce que le camp paraisse luxuriant. « Theresien-spa » – c’était le nom officieux du camp – était souvent présenté dans les films de propagande et était une destination de choix lorsque les délégations internationales réclamaient une visite de ces camps opaques.

Pour renforcer ce travail de propagande, les nazis s’étaient assurés que Terezin n’accueillerait que les Juifs les plus riches et les plus célèbres du Reich. Leo Baeck, le rabbin de Berlin qui devait ensuite prendre la tête du mouvement réformé ; l’artiste juif néerlandais Joseph Spier et Alfred Flatow, le gymnaste juif qui avait représenté l’Allemagne lors des premiers Jeux Olympiques, avaient été envoyés ainsi à Theresien-spa.

Parmi les prisonniers se trouvaient des dizaines de musiciens et de compositeurs originaires de toute l’Europe. Grâce à des instruments qui avaient été introduits clandestinement dans les camps, ils avaient formé des chorales, des cabarets, des groupes musicaux qui se produisaient devant les détenus – et parfois, aux moments les plus opportuns, devant leurs geôliers nazis pour des invités comme la Croix rouge.

Pour Ullmann, les conditions rigides de vie à Terezín n’avaient pas été des barrières au travail artistique, mais une opportunité de se concentrer sur le processus de création. En emprisonnant certains des plus grands artistes et musiciens européens dans le même camp, les nazis avaient involontairement créé une sorte de conservatoire – « une vraie école pour les maîtres », comme l’avait déclaré Ullman.

« Je veux simplement souligner que mon travail musical s’est renforcé et que la création, pour moi, n’a pas été inhibée par Theresienstadt, », avait-il écrit.

Our Will to Live marque le point d’orgue de plus de trois décennies de travail réalisé par la Terezín Music Foundation de Ludwig – une organisation qui se consacre à préserver l’héritage des musiciens du camp de concentration. Depuis les années 1990, la Fondation a recherché les œuvres de ces musiciens incarcérés et organisé des concerts de celles qui avaient été composées par Ullman et d’autres détenus, avec parmi eux et Pavel Haas et Hans Krása.

En 2013, La Fondation avait organisé un concert au Symphony Hall de Boston avec George Horner, survivant de la Shoah qui jouait du piano dans les cabarets de Terezín, et le célèbre violoncelliste Yo-Yo Ma. Quelques années plus tard, elle avait organisé un concert qui avait permis de découvrir les œuvres composées par les artistes de Terezín lors du Festival du printemps de Prague.

« Pour un certain nombre de ces œuvres, nous sommes en train de finaliser les premiers enregistrements audio », dit Ludwig. « C’est excitant, mais cela nous fait endosser certaines responsabilités ».

L’une de ces responsabilités, ajoute Ludwig, est de s’assurer que le public comprenne bien les conditions dans lesquelles les œuvres ont été créées. Pour « Our Will to Live, » Ludwig a travaillé avec des artistes allemands qui avaient vécu cette période de la moitié du 20e siècle pour mieux comprendre les références faites par Ullmann à certaines personnes et à certains événements dans ses critiques. Ces éclairages figurent dans de nombreuses notes qui apparaissent à la fin de chaque critique.

Ludwig n’a pas été le seul artiste à s’intéresser aux artistes de Terezín. D’autres musiciens classiques, comme le pianiste japonais Izumi Shimura et le pianiste italien Francesco Lotoro, se sont plongés dans la musique du camp. En 2013, le chef d’orchestre John Axelrod a fait revivre l’un des opéras qui avaient été écrits par Ullmann avec l’orchestre Kammersymphonie, à Berlin.

Mais dans tout ce travail, l’approche interdisciplinaire adoptée par la Terezin Music Foundation reste unique – une approche choisie pour tenter de toucher du doigt l’atmosphère plus générale qui régnait dans le camp.

Le compositeur autrichien Viktor Ullmann. (Autorisation : ‘Our Will to Live’)

 

« A Terezín, art et musique s’entremêlaient réellement », dit Jim Schantz, un peintre qui a travaillé avec la fondation pour plusieurs événements.

Amener des peintres à travailler avec des musiciens, lors des concerts qui sont organisés, permet de mieux révéler l’esprit original des œuvres, ajoute Schantz.

Lors d’un concert où les œuvres composées par Hans Krása étaient jouées par un quatuor à cordes, Schantz se tenait en arrière-plan, peignant en réponse à la musique.

De la même manière, pour Our Will to Live, Ludwig a choisi d’associer les critiques d’Ullman à des affiches issues de la collection Herman – une collection d’environ 500 objets qui parlent de ce qu’était la vie culturelle à Terezín. Un prisonnier, Karel Heřman, avait caché ces documents dans les murs d’un baraquement du camp et il les avait retrouvés après sa libération d’Auschwitz en 1945. Parmi ces précieux objets, des dessins d’Ullmann et de ses amis, des affiches pour les concerts qui étaient organisés dans le camp et les partitions d’œuvres originales.

Ces dernières années, la Fondation a aussi commandé plus de 40 nouvelles œuvres basées sur les travaux artistiques des détenus de Terezin, ou qui ont été inspirées par les mêmes principes qui avaient guidé ces artistes. Elle a également aidé à fournir des ressources à des musiciens vivant dans des communautés ravagées par la guerre en Syrie et en Bosnie.

En travaillant sur des projets contemporains qui préservent l’esprit de persévérance et de dévotion à la création artistique dans les conditions de vie les plus difficiles – cet esprit qui avait animé les musiciens comme Viktor Ullmann – Ludwig indique qu’il espère pouvoir aider à préserver vivante la mémoire des artistes de Terezín assassinés.

« Peut-être est-ce l’ultime hommage à leur rendre », dit-il. « Aider à donner un écho aux nouvelles voix d’aujourd’hui et de demain ».

Par JONAH GOLDMAN KAY  fr.timesofisrael.com
Détail du dessin « Divertissement » réalisé dans le camp de concentration de Terezin par Bedřich Fritta,en 1943.Collection de Thomas Fritta Haas. (Crédit : ‘Our Will to Live’ de Mark Ludwig, publié by Steidl/ via JTA)

 

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