TANGO FINANCIER EN ARGENTINE
Bonsoir
Dernièrement, la chronique mondiale a, une nouvelle fois, été alimentée par les difficultés financières de l’Argentine. Avec un territoire de 2 766 890 km², le pays est étiré sur 3 700 km, et a une largeur de 1 400 km ; mais ayant seulement près de 46 millions d’habitants, il a une très faible densité de 16 habitants au km².
Indépendant depuis le 9 juillet 1816, le pays dispose d’un énorme potentiel agricole qui fait de lui un des premiers producteurs mondiaux de nombreuses productions comme le blé, la canne à sucre, le maïs, l’orge, le soja, le sorgho, le tournesol… ou d’agrumes comme le citron, le pamplemousse, la poire… ou de fruits comme le raisin…, ou de légumes comme l’artichaut…, ou de spéculations comme le coton, la laine, le tabac…, ou d’élevages comme le bœuf, le poulet… Durant la seconde guerre mondiale, il a été un grenier de nombreux pays. L’Argentine recèle également de nombreuses matières premières et ressources naturelles.
Pourtant, ce pays qui était un des dix pays les plus riches au Monde au début des années cinquante, connait, depuis soixante-dix ans, une succession de crises économiques, 1956, 1976, 1989-1990, 2001-2002 (le FMI avait alors accordé un prêt de 21,6 Md$), 2018, 2021-2022. Aujourd’hui, il est déclassé au 30ème rang !
C’est pour trouver une solution à la crise de 1956 qu’a été créé Le Club de Paris, instance informelle de créanciers publics visant à définir et trouver des solutions aux difficultés de paiements de pays endettés. Il traite exclusivement les dettes publiques. Le Club de Paris n’a ni statuts, ni personnalité morale, ni siège social, ni personnel. C’est un club à l’anglo-saxonne. Son Président est le Directeur général du Trésor français qui assure son secrétariat.
L’objectif de ses réunions est de produire un accord de restructuration des crédits publics acceptable par toutes les parties concernées. Un accord se traduit par l’approbation d’un procès-verbal émargé et signé par le pays débiteur et tous les membres. Par la suite, le pays débiteur et chaque pays créancier signent des accords bilatéraux sur la base de ce procès-verbal. Cette instance de la gouvernance mondiale permet d’éviter un traitement bilatéral des dettes qui peut donner lieu à des exigences spécifiques, voire dolosives, du créancier.
À force de vouloir conduire des politiques économiques contre productives et de chercher à s’affranchir des règles économiques, ce pays a connu de nombreux soubresauts financiers qui ont appauvri les Argentins qui ont trouvé refuge dans des offres politiques qui ont conduit le pays à la dictature ou à des coups d’État.
Le mouvement national justicialiste ou le péronisme a été créé dans les années quarante par Juan Domingo PERON à la suite du coup d’État de 1943 mené par un groupe d’officiers qui refusaient d’entrer en guerre aux côtés des Alliés. Il admirait Mussolini et Franco, avait organisé l’exfiltration de milliers de dignitaires nazis et fait de l’Argentine leur refuge.
Le parti justicialiste a été interdit durant la révolution libératrice de 1955 à 1972. Ce courant politique aux accents très populistes est hétérogène, difficile à définir compte tenu des politiques très différentes qu’il a suivies. Ce mouvement est caractéristique de ceux qui ponctuent régulièrement la vie politique des pays latino-américains.
Le péronisme est marqué par deux dynasties :
  • Les PERON avec Juan Domingo PERON, sa seconde épouse, Maria Eva Duarte de PERON, communément appelée Evita, et sa troisième épouse, Isabel Maria de PERON
  • Les KIRCHNER, Nestor KIRCHNER, président de 2003 à 2007, et son épouse Cristina Fernandez de KIRCHNER, présidente depuis 2008. Les Kirchner avaient permis à l’Argentine de sortir de la faillite de 2001, l’une des plus importantes de l’histoire financière portant sur une défaillance de 100 Mds$.
Les coups d’État militaires, le péronisme, la dictature, et les crises financières à répétition ont ponctué l’histoire de l’Argentine depuis soixante-dix ans.
En adoptant une politique libérale, le président Mauricio MACRI a cherché à mettre un terme aux pratiques péronistes de subventions dispendieuse et de droits de douane élevés. Mais il n’a fait qu’un mandat de 4 ans de 2015 à 2019, et son successeur, Alberto FERNANDEZ, péroniste de gauche, s’est empressé de fermer la parenthèse libérale.
La richesse du pays a conduit les marchés à occulter ses difficultés récurrentes depuis plus de 70 ans, ainsi que la dizaine de défauts de paiements depuis son indépendance en 1816. Les marchés paraissent toujours partants pour lui prêter, voire à racheter des titres dépréciés.
Rappelons-nous les mésaventures de l’Argentine avec les deux fonds d’investissement, Eliott management et Aurelius, si caractéristiques de la finance internationale. Exemple emblématique de la mondialisation, ces fonds rachètent les dettes décotées des pays en difficultés, et travaillent pour récupérer les sommes nominales.
Au début des années 2000, les difficultés financières ont entraîné une décote immédiate de sa dette. Ces fonds ont alors pris le risque d’acheter ces bons dépréciés auprès de créanciers qui ne souhaitaient plus attendre le remboursement de leurs placements. Cela n’a rien d’extraordinaire. De tout temps, certains n’hésitent pas à racheter des créances décotées, à et attendre le retour à meilleure fortune du débiteur pour réaliser leur créance et faire un gain substantiel.
Mais, à la différence de ces pratiques ancestrales, aujourd’hui, ces « fonds vautours » mobilisent juristes, banquiers, et consultants divers et variés, pour contraindre l’Etat à honorer sa dette. Avec 7 % de la dette, ces fonds avaient refusé une décote de 65 % et remis en cause la solidarité des créanciers.
N’oublions pas que les autorités argentines se sont distinguées par des mesures interventionnistes extrêmes comme l’utilisation de l’épargne destinée au paiement des retraites, la confiscation des actifs appartenant à des étrangers, comme ceux de la société pétrolière espagnole Repsol, ou rompu de manière unilatérale des contrats, comme celui avec Suez. Parallèlement, la mise en place d’un contrôle des changes avec notamment la supervision du rapatriement des dividendes…
Les marchés ont la mémoire courte, sont myopes ; l’appât du gain les conduit à prêter quels que soient les dérapages répétitifs du pays.
Après des mois de négociations, l’Argentine a enfin trouvé, vendredi dernier, un accord avec le FMI. Cela n’a été possible que parce que, mercredi, Buenos Aires a payé une échéance de 1,9 Md$ du plus important prêt jamais accordé en 2018 par le FMI ; d’un montant initial de 57 Md$, seuls 44 avaient été décaissés. À peine arrivé au pouvoir en 2019, le nouveau Président avait critiqué ce concours financier et refusé les derniers versements ; cet argent a manqué au pays au moment de la récession survenue avec la pandémie.
Heureusement que l’issue des négociations avec le FMI a été positive car les Argentins n’avaient plus les réserves de devises pour honorer une nouvelle échéance. L’accord est intéressant pour au moins deux raisons :
  • Le FMI a accepté un dispositif en deux temps, deux ans et demi pour permettre au Président d’aborder l’élection présidentielle de 2023, puis une période dix ans qui débutera à partir de 2026 pour le remboursement du prêt,
  • Le FMI n’a pas exigé un plan d’ajustement structurel avec une réforme du code du travail ou des retraites, mais s’est limité à exiger une réduction progressive du déficit public, et plus particulièrement les subventions à l’énergie qui ont représenté en 2021 2,5 % du PIB. Le budget fédéral a été mis à mal par la pandémie et les mesures de réduction de la pauvreté qui concerne jusqu’à 40 % de la population.
Cette approche constitue une forme d’aveu de l’institution de Bretton Woods qui a, par ailleurs reconnu que le jumbo prêt avait été accordé en intégrant les paramètres du Président Mauricio MACRI dans la perspective des élections de décembre 2019. Aujourd’hui, le FMI donne du temps au pays pour stabiliser sa situation et se montre compréhensif quant aux problématiques sociales. Très décrié en Argentine depuis de nombreuses années, le FMI cherche aujourd’hui à convaincre plutôt qu’à imposer.
L’accord a immédiatement permis de stabiliser le peso argentin qui s’était déprécié de 17 % depuis un an, après un dévissage en 2018 de 38 % ; alors qu’à sa création, il y a prés de 30 ans, 1 peso argentin valait un dollar américain, aujourd’hui, il faut 105 pesos un dollar.
Comme toujours, le taux de change est le révélateur de la santé économique d’un pays. Cette dégringolade de la devise argentine est le meilleur indicateur des difficultés du pays à s’inscrire dans un développement durable ; elle mesure l’appauvrissement régulier du pays et alimente un cercle négatif avec le renchérissement régulier des importations ; elle alimente l’inflation, écorne la compétitivité et pousse les autorités à subventionner certains produits et à protéger les productions locales… Avec ce nouveau plan, l’Argentine va peut-être enfin arriver à casser cet enchaînement vicieux et à s’inscrire dans un processus vertueux.
Dov ZERAH
 N° 275 : Tango financier en Argentine

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