Portrait daté du 26 novembre 1955 du pape Pie XII, Eugenio Pacelli, décédé le 09 octobre 1958 à Castel Gandolfo, à l'âge de 82 ans. Elu 258ème pape en 1939, Pie XII avait été nonce en Bavière puis à Berlin, secrétaire d'Etat et principal collaborateur de Pie XI auquel il succéda. Portrait dated 26 november1955 of Pope Pie XIIth, Eugenio Pacelli, who died 09 October 1955, aged 82, in Castel Gandolfo. Elected 258th Pope in 1939, Pie XII has been nuncio in Bavaria then in Berlin, State Secretary and main collaborator of Pope Pie XIth whom he replaced. (Photo by STAFF / INP / AFP)

Vatican: l’heure de vérité sur les silences de Pie XII

 

 

Le 2 mars, l’Église ouvre ses archives sur ce pape et son rôle dans la Shoah. Henri Tincq, spécialiste de l’histoire du Vatican, dresse le portrait de ce prélat controversé.


Le pape Pie XII a été élu le 2 mars 1939, jour de ses 63 ans. Et pour ce double anniversaire, le pape François, son lointain successeur, réserve un cadeau à tous les historiens spécialistes du Vatican et de la Seconde Guerre mondiale : l’ouverture, à partir du 2 mars 2020, des archives du pontificat de Pie XII, aussi long (1939-1958) qu’éprouvé et contesté.

Au-delà des caricatures, l’heure de vérité approche sur ce pape loué à sa mort, y compris en Israël et dans les milieux juifs, mais accusé depuis les années 1960 d’avoir gardé le silence sur le génocide des Juifs.

En 1963, la pièce Le Vicaire du dramaturge Rolf Hochhuth et les révélations de Saul Friedländer, l’historien autrichien de la Shoah et du nazisme, ont donné lieu à des controverses sur le rôle de Pie XII pendant la guerre qui peut-être trouveront dans les archives leur épilogue.

Dans le film Amen (2002), de Costa-Gavras, inspiré de la pièce d’Hochhuth, Pie XII se tient debout derrière les fenêtres du Vatican et il serre les poings. Ce 16 octobre 1943, il assiste à la rafle des Juifs de Rome.

C’est un affront personnel – Rome est sa ville – et il ne peut cacher la rage impuissante de l’homme qui, jusqu’au bout, a cru aux vertus de la diplomatie secrète et qui médite son échec personnel. C’est sous ces mêmes fenêtres que, le 2 mars 1876, était né Eugenio Pacelli, dont le père, Filipo, est avocat à la Rote romaine.

Le futur Pie XII est un brillant sujet, polyglotte, juriste et diplomate de formation, mais un homme de foi à l’ancienne. Pour lui, les dogmes et la tradition catholique ne se discutent pas. Seul compte l’intérêt de l’Église romaine. Il aura toujours pour premier réflexe de privilégier la réputation du Saint-Siège.


Promis à un grand avenir à la Curie, le jeune Pacelli est nommé, en 1917, en pleine guerre, nonce à Munich, puis trois ans plus tard à Berlin, par le pape alors en exercice, Benoît XV, que les Français brocardent, en pleine guerre, pour ses positions pacifistes, sous le nom de « pape boche ».

Pour lui, l’Allemagne devient une passion dans tous les sens du terme. Il est le témoin accablé du traumatisme qui suit la défaite de 1918, le « diktat » de Versailles et les réparations imposées à l’Allemagne ; de l’insurrection « spartakiste » de janvier 1919 à Berlin ; du putsch d’extrême droite à Munich en mars 1920 ; de la gigantesque inflation des années 1920-1923 ; de la montée du parti national-socialiste et de l’instabilité mortelle de la République de Weimar.

Le souvenir de cette descente aux enfers ne quittera jamais le futur Pie XII. Le nonce Pacelli se fixe pour mission de sauver les siens en Allemagne – 23 millions de catholiques, soit plus d’un tiers de la population – dans un pays qui va à la dérive.

Il s’ingère dans les affaires du parti catholique Zentrumqui rejette l’alliance avec les socialistes et votera, en 1933, les pleins pouvoirs à Hitler. Son obsession est de signer des « concordats » : avec la Bavière en 1925, avec l’État libre de Prusse en 1929.

Fort de ces résultats, il rentre à Rome, en 1930, appelé par Pie XI au poste de secrétaire d’État, le grade le plus élevé, après celui de pape, dans la hiérarchie vaticane.

Pacelli gardera un amour immodéré de l’Allemagne et une peur paralysante du bolchevisme qui l’aveugle sur la monstruosité du régime nazi. C’est lui qui, à Rome, mène les négociations qui aboutissent à un nouveau concordat, en 1933, avec le régime nazi.

Un pacte avec le diable, écrira-t-on par la suite. Il s’en défendra après-guerre : « L’Église n’a approuvé de quelque façon que ce soit la doctrine du national-socialisme. Mais le concordat procura quelques avantages ou, du moins, empêcha de grands maux. » Le pape Pacelli sera toujours hanté par ce souci du « moindre mal ».

Alors que la guerre menace à nouveau, le pape Pie XI publie en allemand, en 1937, la célèbre encyclique Mit brennender Sorge (« Avec une brûlante inquiétude »), qui est une condamnation formelle du nationalisme et du culte racial.

Elle a été rédigée de la main même du secrétaire d’État Pacelli, en raison de sa connaissance de l’Allemagne et en collaboration avec les évêques de ce pays.

Lue en chaire dans toutes les églises d’Allemagne, elle soulève un tollé parmi les responsables nazis.

Mais, comme par un effet de balancier, suit au Vatican, une semaine plus tard, la condamnation du « communisme intrinsèquement pervers » dans une deuxième encyclique, Divini Redemptoris (« Du divin rédempteur »), plus violente et explicite que la première.

Le secrétaire d’État Pacelli se comporte alors en fidèle exécutant. Le pape Pie XI, dans les derniers mois de sa vie, commande la rédaction d’une troisième encyclique dans laquelle il entend condamner clairement le racisme et l’antisémitisme, marquer une rupture cinglante avec le IIIe Reich et appeler les catholiques à protéger les Juifs.

Mais cette encyclique, qui aurait pu changer le cours de l’histoire, restera inachevée. En pleine tempête mondiale, Pie XI meurt le 10 février 1939 et son successeur, Eugenio Pacelli, devenu pape Pie XII, décide, sitôt élu, de mettre de côté cette ébauche d’encyclique et entreprend de rétablir des relations plus amicales avec le régime allemand. On n’y reviendra plus.

Rares sont, à l’époque, les voix, dans l’Église allemande, qui dénoncent l’antisémitisme du régime hitlérien.

Seuls se distinguent ici August von Galen, évêque de Münster, puis Michael Faulhaber, archevêque de Munich, et Konrad von Preysing, évêque de Berlin.

De son côté, l’Église « confessante » allemande regroupe les protestants opposés au régime, dont les plus célèbres seront les pasteurs Martin Niemöller et Dietrich Bonhoeffer, ce célèbre théologien fusillé au camp de concentration de Flossenbürg en 1945.

De son côté, le Vatican se borne à lutter, par l’intermédiaire de ses nonces, contre les lois raciales qui se multiplient en Italie, en Allemagne, dans les pays satellites comme la Hongrie, la Slovaquie ou la France de Vichy.

Ces pressions, réelles, comme celles de Cesare Orsenigo, nonce à Berlin, n’impressionnent pas les autorités allemandes.

Mais à partir de 1942, la tragédie prend une autre ampleur. Pie XII est très tôt informé de déportations massives de juifs.

Le 9 mars 1942, quelques semaines seulement après la conférence de Wannsee qui adopte la « solution finale », le chargé d’affaires du Vatican en Slovaquie, Mgr Burzio, révèle à Rome la déportation de 80 000 Juifs promis « à une mort certaine ».

En juillet, un autre visiteur apostolique en Croatie (alors sous gouvernement oustachi) apprend d’un chef de la police locale que deux millions de juifs sont morts déportés et il transmet ses informations au Vatican qui ne réagit pas.

Du Congrès juif mondial à New York, l’avocat Gerhart Riegner, futur secrétaire général, envoie en mars 1942 au pape, comme à toutes les chancelleries, son fameux « télégramme » : « Reçu rapport alarmant faisant état qu’au quartier général du Führer est discuté un plan selon lequel tous les juifs des pays occupés ou contrôlés par l’Allemagne devraient, après déportation et concentration dans l’Est, être exterminés d’un coup, afin de résoudre, une fois pour toutes, la question juive en Europe. »

Le 9 décembre, un document plus détaillé parvient au Vatican par le biais de la nonciature de Berlin, faisant état de « ghettos et d’immenses camps de concentration ».

Le gouvernement polonais en exil à Londres n’est pas non plus avare d’informations et le secrétaire d’État de Pie XII, le cardinal Luigi Maglione, peut rédiger cette note en mai 1943 : « Juifs, situation épouvantable. En Pologne, ils étaient avant-guerre 4 500 000. Il n’en reste que 100 000. À Varsovie, on a formé un ghetto qui en contenait 650 000 environ. Il y en aurait aujourd’hui 20 000 à 25 000. »

Lui aussi emploie l’expression de « camps spéciaux de la mort », ajoutant : « On raconte qu’ils sont enfermés par centaines dans des chambres où ils finiraient par l’action des gaz. » Comme tous les gouvernements alliés, le Vatican hésite à croire ces informations.


Pie XII ne rompra le silence qu’à trois reprises. Quand, dans son message de Noël 1940, il se félicite d’avoir pu « consoler, par l’aide morale et spirituelle ou par l’obole de nos subsides, un nombre immense de réfugiés, d’expatriés, d’émigrants, spécialement parmi les Non-Aryens ».

Puis dans son radio-message au monde de Noël 1942, quand il évoque – sans prononcer une seule fois le mot juif – « les centaines de milliers de personnes qui, sans aucune faute de leur part, pour le seul fait de leur nationalité ou de leur origine ethnique, sont voués à la mort ou à une progressive extinction ».

Enfin, le 2 juin 1943, dans une allocution au Sacré Collège des cardinaux, quand il vole au secours des victimes de discriminations, « livrées, même sans faute de leur part, à des mesures d’extermination ».

C’est peu, et c’est tout. Le pape s’en tient à des formulations générales et à des appels incantatoires à la paix.    Lire la suite www.lepoint.fr

 

Compléments de JForum: Le silence du pape Pie XII

Une multiplicité de faits convergents indique que le Vatican, ainsi que la haute hiérarchie catholique, disposant d’informations nombreuses et fiables grâce à son implantation dense en Europe, et surtout en Pologne catholique, savent.

L’historiographie a rendu compte du problème posé par le silence de Pie XII (1). Certes, on ne peut mettre en avant le vieux contentieux judéo-chrétien pour expliquer ce comportement, mais le Vatican observe un silence pour le moins ambigu face aux mesures et aux déportations frappant les Juifs.

D’emblée, il ne cesse d’affirmer que les informations sur les massacres semblent exagérées.

Le débat sur le silence du pape s’ouvrira avec la pièce de théâtre écrite par Rolf Hochhut (2). L’auteur du Vicaire ne prétend pas faire œuvre d’historien: il entend évoquer un problème de conscience et propose une interprétation psychologiquement vraisemblable du comportement du pape.

La problématique s’articule autour de trois questions : le pape a-t-il parlé ? Dans la négative, pourquoi ne l’a-t-il fait ? Devait-il parler ?

Il y a une première certitude: Pie XII n’a pas ignoré le sort des Juifs. Des informations convergentes lui parviennent, par exemple, du cardinal Innitzer, en février 1941, du nonce de Slovaquie en mars 1942.

Un long mémorandum est remis au nonce à Berne, Monseigneur Bernardini, par les représentants de l’Agence juive, du Congrès juif mondial (3) et de la communauté juive de Suisse.

Ce mémorandum fait état de l’exécution de « milliers de Juifs en Pologne et dans les parties de la Russie occupée par l’Allemagne ». Après des hésitations, en 1943, le pape est convaincu de la réalité de la persécution.

En second lieu, Pie XII n’a pas parlé ou quasiment pas. On ne relève, sur l’ensemble de ses déclarations publiques, que deux allusions aux procédés criminels : la première dans un message de Noël 1942 à la radio, et l’autre en juin 1943, au cours d’une allocution adressée au Sacré collège.

Aucune de ces allusions ne peut tenir lieu de dénonciation solennelle. Monseigneur Orsenio, représentant du Vatican à Berlin, le 28 juillet 1942, fait également état « des plus macabres suppositions sur le sort de non aryens. »

À partir de ces faits, il faut répondre à cette question : pourquoi Pie XII qui sait n’a-t-il pas élevé la voix et dénoncé le crime à la face du monde ? Quels motifs imaginer au principe de son silence ?

Tout d’abord, il faut convenir que si Pie XII n’a pas parlé, il n’est pas resté inactif. Il a notamment tenté, par l’intermédiaire de ses nonces, ceux en poste à Berlin, à Bratislava, à Budapest, et à Bucarest, d’adoucir le sort des Juifs.

Ensuite, il faut évoquer ses sentiments pour le peuple et singulièrement pour le catholicisme allemand. Il n’a pas cru bon d’intervenir en faveur des Juifs pour éviter la persécution des catholiques allemands.

Pie XII fut durant douze ans nonce à Munich, puis à Berlin, au moment où le pape Pie XI rédigea l’encyclique Mit Brenender Sorge, qui condamne les idéologies nazie et  communiste.

Il a donc le souvenir de la répression anticatholique qui a suivi. Il craint aussi que la défaite allemande ne livre le continent européen à la domination de l’URSS et n’entraîne l’effondrement de la civilisation chrétienne.

Le sentiment anticommuniste fut sans doute un stimulant puissant dans cette attitude passive que beaucoup lui ont reproché.

Enfin Pie XII, par sa formation de diplomate, tient avant toute chose à conserver la neutralité entre les belligérants, son action ne doit pas prêter au soupçon de particularisme pour un camp.

Ainsi Pie XII ne raisonne ni n’agit d’une façon très différente de celle de la Croix-Rouge internationale.

Selon l’historien René Rémond (4), l’explication du silence de Pie XII tient en une phrase : Pie XII n’a pas perçu la spécificité du national-socialisme ni pleinement mesuré la singularité monstrueuse de l’entreprise hitlérienne.

Notes:

1. Référence sur le silence du Vatican. Un mot à propos des archives.

2.Cette pièce s’inscrit dans le cadre de la querelle entre historiens allemands qui opposent les thèses intentionnalistes aux fonctionnalistes.

3. Le Congrès juif mondial (en anglais World Jewish Congress) est une fédération internationale de communautés et d’organisations juives, fondée en 1936 à Genève (Suisse), et dont le siège mondial est à New York (États-Unis). Le but est de défendre la vie et la sécurité des communautés juives dans le monde.

4. René Rémond

 

 

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galil308

Merci de rappeler ces crimes, et je vous conseille le fameux livre de Saul Friedlander : pie xii et le troisième reich sorti en 1966 qui m’avait sidéré, je n’étais qu’ado..
A revoir aussi : Amen de Costa Gavras , un chef d’oeuvre..

Élie de Paris

Tout sort au grand jour !
Pape François devait animer, expliquer…, mais rien ne se passe comme prévu ! Voilà que la fronde, de Covid (?) terrasse qui IL veut. On aura la Vérité, toute crue.