Royaume-Uni : comment la Première ministre démissionnaire, Liz Truss, a plongé le pays dans la crise en quelques semaines.

Entre erreurs politiques, « arrogance » et mauvaise lecture de la situation économique, récit des six semaines infernales de la cheffe de gouvernement conservatrice, forcée de démissionner.

Elle n’aura tenu que 45 jours. La Première ministre britannique Liz Truss a annoncé sa démission, jeudi 20 octobre, après des semaines de calvaire pendant lesquelles elle a fait face à une avalanche de critiques depuis son entrée au 10, Downing Street, le 6 septembre. En cause, son premier budget, qui a fait tanguer son début de mandat, en prévoyant des baisses d’impôts pour les plus riches et des nouvelles dépenses partiellement financées pour lutter contre la crise énergétique.

Sous la pression des marchés financiers et des élus conservateurs, l’ancienne députée du Norfolk avait dû abandonner la majeure partie de son plan et limoger son ministre des Finances, Kwasi Kwarteng. Un revers qui a précipité sa chute. Comment Liz Truss et le Royaume-Uni en sont-ils arrivés là aussi vite ?

« En période d’essai »

Rembobinons. Tout commence le 5 septembre. Après une campagne acharnée contre l’ancien ministre des Finances Rishi Sunak, Liz Truss est désignée d’une courte tête par les membres du parti conservateur pour succéder à Boris Johnson. L’ex-ministre des Affaires étrangères de 47 ans entame son mandat le lendemain, avec une épine dans le pied : les parlementaires conservateurs lui auraient largement préféré son rival, selon plusieurs sondages.

Surtout, les Britanniques sont particulièrement sceptiques face à ses promesses de réduction d’impôts massives, alors que l’inflation flirte avec les 10% et que le pays s’enfonce dans la crise énergétique. « Elle partait avec un capital sympathie beaucoup plus bas que Boris Johnson. D’une certaine façon, elle était en période d’essai », observe Clémence Fourton, maîtresse de conférence en études anglophones à Sciences-Po Lille.

La mort d’Elizabeth II, le 9 septembre, et le deuil national qui s’ensuit, accaparent la nouvelle Première ministre. Elle doit attendre le 23 septembre pour présenter un « mini-budget » d’inspiration néolibérale. Comme promis lors de sa campagne, ce dernier contient des mesures visant à baisser les impôts des plus riches et des entreprises. A ces promesses, s’ajoutent des mesures de soutien colossales aux ménages britanniques touchés par la flambée des prix de l’énergie. Le cocktail fait craindre un dérapage des comptes publics. « Le problème, c’est qu’elle prévoyait de financer ces mesures grâce à la croissance et des emprunts », résume Rainbow Murray, professeure de sciences politiques à l’Université Queen Mary de Londres. « Les marchés ont paniqué tout de suite », rappelle-t-elle.

« Elle a fait n’importe quoi »

La livre fait un plongeon historique et les taux d’emprunts de la dette s’envolent, propulsant le pays dans une grave crise économique. « On peut dire qu’elle a fait n’importe quoi, sans prendre en compte le contexte économique », tranche Clémence Fourton. Les condamnations médiatiques et politiques pleuvent.

Erreur politique ou incompétence ? « Je crois qu’il y a eu un niveau d’arrogance et d’aveuglement tellement fort qu’elle a pensé qu’elle pouvait mettre en place ses mesures politiques sans conséquences », analyse Rainbow Murray. « Cette crise économique, complètement auto-infligée, est aussi liée au fait qu’elle a refusé d’écouter les conseils des institutions, comme le Bureau pour la responsabilité budgétaire*, qui jugeaient ses propositions dangereuses », ajoute Will Jennings, professeur associé en sciences politiques à l’université de Southampton.

Prise dans la tempête, la Première ministre tente de défendre son plan, à coup d’interviews jugées « désastreuses » par la presse. Tancée par les marchés, Liz Truss est même critiquée par le Fonds monétaire international (FMI) et d’autres chefs d’Etats, dont Joe Biden, qui a qualifié son plan « d’erreur »« C’est très rare que les pays amis du Royaume-Uni se permettent de critiquer la politique interne », s’exclame Rainbow Murray. Le Royaume-Uni en sort même « humilié », juge le magazine américain The Atlantic*.

Abandon du « mini-budget »

Après trois semaines de calvaire, la Première ministre limoge son ministre des Finances, Kwasi Kwarteng, le 14 octobre, espérant calmer les conservateurs et les milieux financiers. Rien n’y fait. La presse britannique est en ébullition et les rumeurs de démission vont bon train. Liz Truss est forcée d’agir. C’est chose faite, lundi 17 octobre, par la voix de Jeremy Hunt, tout juste désigné ministre des Finances. Lors d’une conférence de presse, ce dernier annonce l’abandon de presque toutes les mesures du « mini-budget », l’instauration de nouvelles taxes à hauteur de 38 milliards de livres, et la promesse de nouvelles coupes budgétaires. L’effet est immédiat. Les marchés sont rassurés et la livre repart immédiatement à la hausse.

Si la tempête financière se calme, la pression ne retombe pas. Le soir même, la Première ministre décide de répondre aux questions de la BBC. Elle explique « être désolée » et « vouloir mener les conservateurs lors des prochaines élections » du pays. Une promesse qu’elle ne pourra pas honorer : trois jours plus tard, elle annonce sa démission lors d’une conférence de presse.

Qui remplacera Liz Truss ? Les conservateurs voteront la semaine prochaine pour en décider. Ils doivent faire vite pour éviter des élections anticipées qui seraient désastreuses pour le parti, si l’on en croit les derniers sondages*, qui donnent une large avance aux Travaillistes.

« Les conservateurs ont perdu toute crédibilité sur la gestion de l’économie, alors qu’ils étaient perçus comme ‘le’ parti sur ce sujet il y a quelques mois. »

Le Brexit en toile de fond

Au-delà du cas de la Première ministre, la crise en dit long sur l’état actuel de l’économie au Royaume-Uni. Difficile de ne pas voir, derrière la vulnérabilité du pays face aux marchés, une des conséquences du Brexit. « Certes, il y a eu la crise liée au Covid-19 et la guerre en Ukraine, mais notre économie stagne depuis des années, notamment à cause des barrières imposées par la sortie de l’Union européenne », note Rainbow Murray. « Le Brexit a aggravé une situation déjà mauvaise », ajoute la spécialiste, alors que le taux de pauvreté explose et que le pays est secoué par des grèves.

Le Brexit n’imprègne pas que l’économie. Cinq ans après le référendum, il reste au cœur de la politique britannique et contribue à une « instabilité du pouvoir », juge Will Jennings : « Tous les changements de Premier ministre des quatre dernières années sont liés à cette question. David Cameron est parti parce qu’il avait perdu le référendum et Theresa May parce qu’elle n’arrivait pas à faire entériner son accord. » Boris Johnson, miné par les affaires, s’était enlisé dans des attaques gratuites contre Bruxelles sur la question nord-irlandaise. Liz Truss, qui rêvait de faire de Londres un « Singapour sur la Tamise » ultralibéral grâce au Brexit, a été rattrapée par les réalités économiques du pays.

« Fin de règne » des conservateurs

En outre, Liz Truss apparaît dans cette crise comme un symbole de la fin de règne des conservateurs, au pouvoir depuis près de douze ans. « Le parti règne depuis trop longtemps, il est perdu et fait des erreurs, il n’a plus d’idées, juge Rainbow Murray. La même chose était arrivée aux Travaillistes après la mandature de Tony Blair. Les conservateurs sont à la fin de leur règne. » Divisés sur leur identité politique, entre une aile néo-libérale et l’autre plus sociale, les conservateurs « vont devoir se réinventer » et surtout « trouver de nouveaux leaders », estime la chercheuse.

Pour l’instant, aucune figure à même de réunir le parti ne semble en mesure d’émerger. Selon un sondage Yougov*, publié mardi, 32% des membres du parti conservateurs souhaitent le retour de Boris Johnson, tandis que 23% préféreraient voir Rishi Sunak prendre la tête du pays. Les membres du parti trancheront.

France Info

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