Cette fois, l’accusation est devenue frontale, nominative. Déjà alimentée par Vladimir Poutine depuis plusieurs jours, l’assertion russe sur l’implication de la Turquie dans la contrebande du pétrole avec l’organisation Etat islamique (EI) a pris la forme d’une mise en cause directe de son président Recep Tayyip Erdogan et de sa famille.

L’armée russe a mené l’offensive, mercredi 2 décembre, depuis le QG de son état-major sur les bords de la Moskova. « Selon nos données, la direction politique la plus haute du pays, dont M. Erdogan et sa famille, est impliquée », a asséné Anatoli Antonov, le vice-ministre russe de la défense devant un parterre mélangé d’attachés militaires et de correspondants étrangers, conviés, pour ces derniers, pour la première fois, à l’intérieur de l’imposante bâtisse d’où sont menées les frappes aériennes russes en Syrie.

Huit jours après la destruction d’un bombardier SU-24 par des chasseurs turcs à la frontière turco-syrienne, qui a entraîné la mort de deux militaires russes, l’affaire tourne à l’affrontement. Après un premier train de mesures de représailles (dont l’arrêt des importations de toute une liste de produits turcs, du poulet aux tomates), une nouvelle étape est franchie. « Le principal consommateur de ce bien volé [le pétrole] à ses propriétaires légitimes, la Syrie et l’Irak, c’est la Turquie », a assuré M. Antonov, ajoutant : « Personne en Occident ne se pose la question sur le fait que le fils du président turc dirige l’une des plus grandes compagnies énergétiques, ni sur son gendre qui est ministre de l’énergie. C’est un business familial ! »

Démission

Depuis Doha, au Qatar, où il se trouvait, M. Erdogan n’a pas tardé à répliquer : « Personne n’a le droit de propager des calomnies sur les achats de pétrole par la Turquie à Daech [acronyme arabe de l’EI]. Si ces accusations perdurent, nous prendrons nous-mêmes des mesures », a-t-il lancé dans un discours retransmis à la télévision, non sans répéter que si les allégations russes étaient prouvées, il démissionnerait.

Le Président turque Recep Tayyip Erdogan à Ankara (Turquie) le 26 novembre 2015.
Le Président turque Recep Tayyip Erdogan à Ankara (Turquie) le 26 novembre 2015. KAYHAN OZER / AP

« La démission d’Erdogan n’est pas notre but, c’est l’affaire du peuple turc », a raillé M. Antonov, poursuivant avec acharnement : « Les dirigeants turcs ne vont jamais démissionner, en particulier M. Erdogan, ils ne vont jamais reconnaître leurs responsabilités même si leur visage est souillé de pétrole volé ! » L’état-major russe n’en a pas démordu, alignant sur écran géant des photos satellite présentées comme des « preuves irréfutables » du « cynisme sans limite des autorités turques ». Sur ces images, impossibles à authentifier, des convois de camions partis de Syrie et d’Irak atteindraient, à travers « trois principaux itinéraires », des ports ou des villes de Turquie, comme Iskenderun, au sud, non loin de la frontière syrienne, ou Batman, au centre-sud. Cet exposé à charge contre un pays membre de l’OTAN – ce qui n’est sans doute pas pour déplaire au pouvoir russe – ne dit pas un mot sur le principal acheteur du pétrole vendu par l’EI, qui reste le régime syrien de Bachar Al-Assad, allié de la Russie.

Vladimir Poutine avait déjà accusé Ankara d’avoir pris la décision d’abattre le SU-24 pour protéger « ces chemins d’acheminement de pétrole vers le territoire turc ». Mercredi, aucune preuve de l’implication personnelle du dirigeant turc n’a cependant été apportée. Seule l’ampleur du trafic suffit aux yeux de Moscou pour clamer la culpabilité d’un « partenaire » devenu, en l’espace de quelques jours, la cible de toutes les critiques.

« Nous attendions un briefing militaire, mais son contenu n’est pas uniquement militaire, commentait, interloqué, l’attaché militaire turc, à la sortie de la salle. Il y a des accusations et les autorités compétentes pour y répondre sont les autorités turques. Et comme vous pouvez le voir, elles n’ont aucune chance d’y répondre ici ou de faire un commentaire. » « Soyez courageux », lui glissait à l’oreille l’un de ses homologues en s’éclipsant.

 

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