Mémorial esclavage Rotterdam

De l’esclavage (L’institution de l’esclavage par Alain Testart) (Gallimard)
L’esclavage, une plaie de l’humanité…

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Voici un recueil d’articles, revu et augmenté par une ancienne collaboratrice, Valérie Lecrivain, de l’auteur, Alain Testart, qui traite en profondeur d’un fait de civilisation qui a affecté toutes les cultures, antiques helléniques, judéo-hébraïques, arabo-islamiques, chrétiennes et même des temps modernes, à la suite du fameux commerce triangulaire dont de grandes cités portuaires d’Europe s’étaient fait une très douteuse spécialité.

Mais l’auteur ne dérive pas vers une condamnation, ni vers une justification de cette abominable institution : il lui tient à cœur de démonter un mécanisme bien plus complexe qu’il n’y paraît de prime abord.

A commencer par de multiples formes de réduction à l’esclavage, notamment la dépendance, l’asservissement à un maître qui exige de son esclave la fourniture d’un certain travail ou service…

Tous les grands documents religieux traitent de cette épineuse question, tous semblent l’admettre comme moyen de production ou de défense, car plus on a d’esclaves à son service, moins on se montre vulnérable à des attaques extérieures ou intérieures.

Même la Bible qui a consacré d’importants versets à cette affaire a mis un certain temps avant d’exclure totalement cette forme si dégradante de l’être humain. Cette véritable plaie de l’humanité.

L’événement ou le mythe fondateur de la civilisation judéo-hébraïque n’est autre que la sortie d’Egypte, l’Exode. C’est une divinité monothéiste qui sauve le peuple d’Israël de l’esclavage d’Egypte.

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Donc, au fondement même de cette histoire ou de cette vocation, il y a la notion de libération, d’affranchissement, de négation d’une aliénation : la non-liberté, l’inexistence en qualité de personnalité morale. Un esclave est coupé de tout, il n’existe que par ou pour son maître. Comment confier le salut de l’humanité à une nation qui vit dans les fers ? Il y a donc une relation dialectique entre l’esclavage et l’aventure humaine.

Commençons par la Bible hébraïque qui étudie scrupuleusement le statut de l’esclave hébreu dont elle veut protéger les droits.

Je résume succinctement les points les plus saillants contenus dans le livre de l’Exode : aucun esclave hébreu ne servira plus de six années, dès la septième, il sera libéré, muni d’un petit pécule. S’il a charge d’âmes, son épouse sera libérée avec lui.

Mais si c’est son maître qui lui avait procurée son épouse, lui sera libéré mais sa famille restera dans l’escarcelle de son ancien maître. De même, la Bible interdit de livrer un esclave fuyard à son maître. Enfin, la traversée du Jourdain garantit à l’esclave un nouveau statut, celui d’homme libre.

Mais comment tombe t on dans l’esclavage ? Deux possibilités qui ont survécu presque jusqu’à nous : à la guerre, le camp des vainqueurs réduit en esclavage les prisonniers dont il dispose comme il l’entend.

Le Pentateuque va jusqu’à théoriser le statut de la belle captive qu’on ne peut pas torturer de manière arbitraire. Si un guerrier hébreu la trouve à son goût, il doit respecter certaines règles, attendre un certain laps de temps avant de l’approcher.

Ces mesures, remarquables pour leur époque, tentent d’adoucir une situation cruelle et de préserver un minimum de moralité et d’éthique.

Après la guerre, considérée comme une cause externe d’esclavage, comme on vient de le voir, il y la cause interne, à savoir la réduction à l’esclavage pour dettes, situation d’insolvabilité. Ce cas est aussi prévu par le Pentateuque qui exige que l’homme ruiné, vendu comme esclave, ne soit pas traité de manière inhumaine.

On trouve dans le livre des Rois le cas d’une veuve éplorée qui implore l’envoyé de Dieu d’empêcher le créancier de son mari, disparu et endetté, de venir prendre ses fils comme esclaves. Le prophète opère un miracle qui met à la disposition de la veuve des moyens de rembourser la dette et de sauver ainsi ses enfants de l’esclavage… Mais cela atteste des pratiques qui avaient cours dans d’autres civilisations.

En fait, l’esclave est une non personne et Aristote lui-même s’est rendu célèbre (sur ce point aussi) en disant de l’esclave qu’il n’est qu’un instrument intelligent (qui parle…). Dans certaines civilisations africaines, est il dit dans ce livre d’Alain Testart, certains chefs de famille avaient tout pouvoir sur leurs fils, y compris celui de les vendre à d’autres.

Dans le cas de l’Afrique, la couleur de la peau ajoutait à l’étrangeté naturelle, visible de l’esclave puisqu’il n’avait pas la même couleur de peau ni la même apparence physique.

Mais le continent européen ne fut pas non plus épargné par ce phénomène. Prenons le cas des territoires de la couronne espagnole, constamment traversés par des guerres de Reconquista contre les principautés mauresques, les Taifas : des deux côtés, on prélevait parmi les prisonniers des individus aptes au travail, tout comme on se réservait les plus belles pièces du butin.

Un chroniqueur arabe des X-XIe siècles Al-Hayyan parle de la prise par les chrétiens de la cité musulmane d’Andalousie Barbastro en 1064, où les vainqueurs ont envoyé à leurs alliés pas moins de cinq mille vierges ou jeunes femmes musulmanes devenues des esclaves… La guerre était largement pourvoyeuse d’esclaves, bien avant l’endettement qui demeurait circonscrit dans un cadre social limité.

Cette institution esclavagiste qui remonte, on l’a vu, aux époques les plus reculées de l’humanité, a vraiment résisté à toutes les tentatives philosophiques ou religieuses désireuses de s’en débarrasser. L’idée d’une main d’œuvre gratuite ou bon marché l’a toujours emporté sur des arguments éthiques ou juridiques.

Car même la Bible n’a fait que reconnaître un statut, donc des droits, sans chercher à éradiquer ce phénomène ; il faudra attendre la littérature prophétique pour apercevoir enfin un certain changement. Je rappelle que le grand rabbin de France, Zadoc Kahn, a rédigé sa thèse de doctorat sur L’esclavage selon la Bible et le Talmud (Paris, 1867).

Ce commerce des êtres humains prend parfois des formes assez inattendues, ce qui donne raison à Alain Testart qui insiste tant sur la nécessité de définir, au préalable, ce rapport spécial entre le maître et son «esclave».

Les gagés, les enfants que l’on envoie dans des cours étrangères en symbole de bonne entente entre deux peuples, font aussi figure d’esclaves, certes ne manquant de rien et bénéficiant d’un traitement princier. Ce statut n’a rien à voir avec celui de l’esclave qui peine dans les champs et les forêts de son maître, taillable et corvéable à merci.

Et que dire de ces esclaves ou de ces femmes contraints de subir la mort d’accompagnement : quand un roi, un prince ou un important notable quitte ce monde, certaines civilisations mettent à mort un membre de son entourage, un esclave ou une femme, pour le servir dans l’au-delà.

Mais plus proche de nous, cet esclavage a déterminé la nature de nos sociétés. Il suffit de penser à la guerre de Sécession dont la cause majeure fut l’abolition ou le maintien de l’esclavage dans les Etats du sud de l’Union.

Et les séquelles de tout cela ont subsisté jusqu’au début des années soixante dans cette grande démocratie qu’est l’Amérique… C’est dire.

Maurice-Ruben Hayoun

Le professeur Maurice-Ruben Hayoun, né en 1951 à Agadir, est un philosophe, spécialisé dans la philosophie juive, la philosophie allemande et judéo-allemande de Moïse Mendelssohn à Gershom Scholem, un exégète et un historien français. il est également Professeur à  l’université de Genève. Son dernier ouvrage: Joseph (Hermann, 2018)

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