États-Unis: «Après la défaite des démocrates en Virginie, Donald Trump va vouloir profiter de l’impopularité de Joe Biden»

Glenn Youngkin, le candidat républicain, a remporté mardi la Virginie, d’habitude, un État traditionnellement acquis aux démocrates. S’il n’est plus au centre de l’attention, Donald Trump compte se servir de la déroute de Joe Biden pour faire son retour lors des élections de mi-mandat, estime Olivier Piton.

Olivier Piton est avocat en droit public aux États-Unis et auteur de Kamala Harris. La Pionnière de l’Amérique aux éditions Plon.

Les démocrates ont perdu, mardi 2 novembre 2021, le poste de gouverneur de Virginie, un État baromètre. De très mauvais augure à un an pile du renouvellement du Congrès. Comment expliquer ce piètre résultat électoral?

Olivier PITON. – La défaite démocrate en Virginie est doublement remarquable.

D’abord, le candidat républicain Glenn Youngkin a défait le vétéran Terry McAuliffe par 50,9 % contre 48,4 %. Le score peut paraître étriqué. Il ne l’est pas. Si l’on compare à l’élection présidentielle d’il y a exactement un an, les démocrates perdent entre 7 et 10 points ce qui est énorme en si peu de temps.

Ensuite, l’élection s’est jouée dans les banlieues, les fameuses «suburbs», notamment dans la partie nord de l’État qui constitue de fait la banlieue sud de Washington DC. Le reflux démocrate y est de plus de 14 points.

L’élection d’un républicain comme Glenn Youngkin qui a tenu Donald Trump à distance durant sa campagne sans pour autant renier ses liens avec lui a montré qu’un candidat républicain, pour peu qu’il soit nouveau dans le paysage, pouvait parfaitement gagner.

Olivier Piton

Ce revers de Joe Biden pourrait-il profiter à Donald Trump ? Est-il prématuré de faire de l’ancien président républicain le favori de la prochaine présidentielle ?

C’est toute la question et il est encore trop tôt pour y répondre. Les élections de mi-mandat vont déterminer deux choses : les candidats républicains vont-ils vouloir utiliser Trump durant leur campagne ? Rien n’est moins sûr et l’exemple de la Virginie le prouve. On peut gagner sans Trump. Et est-ce qu’il y aura un effet Trump pour les candidats qui auront accepté son appui ? Il est trop tôt pour le savoir mais il est certains que Donald Trump voudra faire son grand retour politique à l’occasion de ces élections l’an prochain.

S’il a conservé un socle d’électeurs fidèles, Donald Trump est toutefois sorti affaibli du dernier scrutin, notamment en raison de ses excès. Ne pourrait-il pas se faire doubler par une personnalité conservatrice ? Quels noms pourraient sortir du chapeau du parti républicain ?

On parle beaucoup du jeune gouverneur de Floride, Ron DeSantis qui mène une opposition farouche à Joe Biden, notamment dans le domaine de la crise sanitaire, puisque je rappelle que les gouverneurs ont la maîtrise de la politique sanitaire de leur État. DeSantis se verrait bien récupérer l’héritage de Donald Trump à terme. Et il n’a que 43 ans. Cependant l’aura que l’ancien président possède auprès de la base électorale républicaine demeure puissante. L’an prochain va permettre de constater si oui ou non il pourrait profiter de l’impopularité de Joe Biden pour prendre sa revanche en 2024 comme il l’annonce ou bien si les électeurs républicains, notamment les modérés préféreraient un candidat moins clivant.

États-Unis : Joe Biden en danger face aux divisions du camp démocrate.

Entretien. Mercredi 3 novembre, le républicain Glenn Youngkin a remporté le poste de gouverneur de l’Etat pivot de la Virginie. Un revers pour le candidat démocrate Terry McAuliffe, pourtant soutenu par le président américain et par Barack Obama. La défaite illustre la baisse en popularité brutale du président Joe Biden, affaibli par un camp démocrate divisé au sein du Congrès. Entretien avec Jean-Éric Branaa, spécialiste de la politique et de la société américaine

TV5MONDE : Les démocrates contrôlaient depuis 8 ans la Virginie, le candidat Terry McAuliffe était soutenu par Barack Obama et par le président en exercice.  Cette défaite était-elle une surprise ?

Jean-Éric Branaa : Effectivement, le candidat démocrate a eu non seulement le droit au soutien de Barack Obama mais aussi et surtout de la vice-présidente et du président en exercice.  Même si l’ancien président conserve une aura très forte, ce n’est pas forcément en Virginie qu’il a de l’influence. La Virginie se situant géographiquement proche de Washington, le fait d’avoir eu le couple exécutif montrait l’importance de ce scrutin pour les démocrates. Cette élection n’était surtout pas à perdre.

D’ailleurs, la veille de l’élection, depuis la COP 26, Joe Biden a dit qu’il n’y avait aucune chance pour les démocrates de perdre la Virginie et qu’ils allaient la gagner. Elle est perdue. C’est une surprise, en réalité une demi-surprise. Glenn Youngkin, le candidat républicain était crédité de deux points d’avance les deux jours précédant l’élection. Il termine avec trois points d’avance. Le résultat était donc anticipé par les sondages.

TV5MONDE : Comment expliquer cette défaite ?

Jean-Éric Branaa : 

Premièrement, nous nous trouvons face à un climat détestable aux Etats-Unis. Nous avons un président qui s’est présenté avec l’idée que le pays était empoisonné par la division et qu’il allait apporter la paix sociale. Lui qui avait connu tant de malheurs dans sa vie et qui était dans la résilience, voulait montrer que le pays pouvait également être dans la résilience et dépasser ses difficultés. Or, sur ce plan là, Joe Biden n’a pas été différent de Donald Trump. Il y a non seulement la division entre républicains et démocrates mais aussi une nouvelle division entre les démocrates qui n’arrivent pas à s’entendre pour passer la moindre mesure.

Deuxièmement, Joe Biden est arrivé en expliquant qu’il allait vaincre la mauvaise gestion de la pandémie. Son début de mandat a été tonitruant de ce côté là et puis cela s’est tassé. Aujourd’hui, son bilan est globalement jugé négatif par la société américaine.

Il y a un problème très profond chez les démocrates, qu’ils doivent rapidement surmonter. 

Troisièmement, sur l’économie et l’emploi, Joe Biden promettait le retour à la prospérité. Il ne faut pas oublier qu’au moment où la Covid-19 tombe sur l’Amérique, le pays est en plein boom. Le chômage est descendu à 3.5%, ce qui ne s’était pas vu depuis 50 ans et beaucoup annoncent la victoire de Donald Trump grâce à son bilan économique. Beaucoup d’analystes annonçaient le retour de ces chiffres à la fin de l’année 2021. Nous n’y sommes pas encore. Les derniers chiffres sur le chômage des trois derniers mois sont tous très décevants. Nous n’avons pas vu de vraie création d’emplois.

Bien au contraire, ce que l’on voit, ce sont des conflits qui se sont multipliés, notamment des conflits du travail (ndlr : début octobre, des dizaines de milliers de salariés sont en grève aux États-Unis. Ils dénoncent leurs conditions de travail, rendues encore plus difficiles par la crise du Covid-19, et pointent du doigt les profits empochés en parallèle par leurs employeurs).

Nous voyons donc une pandémie non maîtrisée, une économie qui n’est pas repartie, des conflits du travail un peu partout et cerise sur le gâteau, un Congrès à majorité démocrate qui se tape dessus. Tout cela fait que la cote de Biden a chuté brutalement depuis cet été. Cela s’est retranscrit logiquement dans les urnes, en Virginie mais aussi ailleurs. Dans le New Jersey, le démocrate Phil Murphy a frôlé la correction puisqu’il est en dessous de 51% des votes. C’est très surprenant. Il y a un problème très profond chez les démocrates qu’ils doivent rapidement surmonter.

TV5MONDE : Que représente la Virginie pour la politique américaine ?

Jean-Éric Branaa : C’est un « swing state », un Etat pivot. Il s’agit de l’un des premiers Etats américains, il représente l’histoire profonde de l’Amérique. Les Américains y sont attachés de manière romantique. La Virginie se trouve aussi juste en dessous de Washington, où se trouve le terreau des démocrates, à Richmond. C’est un Etat rural, donc plutôt dominé par les républicains. Joe Biden l’a gagné car il a su s’adresser aux plus âgés, sur le thème de la pandémie et en affirmant qu’il allait ramener la paix et la prospérité. Des choses souhaitées par les plus anciens aux Etats-Unis, dont les supporters de Donald Trump, gagnés par la fatigue. C’est d’ailleurs sur cette catégorie de gens que le démocrate Terry McAuliffe a perdu. Le républicain Glenn Youngkin a su leur parler, de manière très fine d’ailleurs.

TV5MONDE : Quel genre de républicain est Glenn Youngkin, le nouveau gouverneur de l’Etat de la Virginie ?  

Jean-Éric Branaa : Youngkin surfe sur les relents du programme de Donald Trump. Par exemple, sa numéro deux est une fervente défenderesse du second amendement, c’est-à-dire du droit à porter une arme. Elle s’est faite photographier pendant la campagne avec un Winchester, une arme américaine historique. Le droit des armes en Virginie, Etat rural et ancien, est très important. Youngkin s’appuie également sur les fondements du parti républicain : moins d’Etat, moins d’impôts, plus de liberté d’expression et toutes les valeurs classiques que véhicule le parti républicain comme sa position contre l’avortement.

TV5MONDE : A quoi peut-on s’attendre aux élections déterminantes de mi-mandat en 2022 au Congrès, avec cette défaite des démocrates en Virginie et la division du parti au sein d’un Congrès à faible majorité démocrate  ? 

Jean-Éric Branaa : Nous annoncions une participation au scrutin très faible en Virginie, cela est vrai, pour les démocrates, mais pas pour les républicains, en soif de revanche. Ils sont allés voter en masse : 3,3 millions de votants alors qu’en 2017, 2,6 millions de républicains s’étaient déplacés pour voter. L’impatience et la déception qui s’installe chez les démocrates et cette envie de revanche qui pousse les républicains vers les urnes nous donnent le climat qui pourrait se développer en 2022 si rien ne se passe à Washington. C’est bien cela qui fait peur à tout le monde. D’ailleurs, depuis hier, nous voyons partout des appels à ce que le Congrès vote très rapidement les deux plans de Biden, le plan infrastructures et le plan social et climatique qui sont totalement bloqués au Congrès.

TV5MONDE : Pourquoi ces deux plans, déterminants pour Biden, sont-ils bloqués  ?

Jean-Éric Branaa : Le plan infrastructures a été voté au Sénat de façon bipartisane. C’est un très gros succès pour Biden. Les progressistes de Bernie Sanders ont accepté de le soutenir à une condition, que l’autre partie du plan, qui est la base de l’accord entre Biden et Sanders, à savoir le plan social et climatique, soit voté en même temps. Là est le point de blocage. La partie conservatrice des démocrates ne veut pas de ce plan, en particulier deux sénateurs. Puisqu’il n’y a pas de majorité au Sénat, il suffit de la voix d’un homme pour bloquer une mesure. C’est ce qu’il s’est passé. Puisque ces deux sénateurs ne souhaitaient pas voter le plan social et climatique, les progressistes ont décidé de ne pas soutenir le plan sur les infrastructures.

C’est exactement cela que les Américains ne supportent pas. Comment peut-on camper sur ses positions à ce point et défendre son petit bout de gras, alors que derrière, il y a des Américains qui attendent la maternelle gratuite promise, l’aide pour la santé, promise également et l’aide pour les personnes âgées ? Il s’agit d’une affaire politicienne, c’est en tout cas ce que les gens en comprennent et ils n’ont pas tort.

L’impatience et la déception qui s’installe chez les démocrates et cette envie de revanche qui pousse les républicains vers les urnes nous donnent le climat qui pourrait se développer en 2022.

TV5MONDE : La baisse de popularité de Joe Biden était-elle prévisible ? 

Jean-Éric Branaa : Non. Nous nous attendions certes à une baisse de popularité car au bout de 6 à 8 mois de mandat, il y a toujours une baisse de popularité pour le président en place. Tous les chefs d’Etats américains depuis Reagan (ndlr: président des Etats-Unis de 1981 à 1989) l’ont connu, à part George W. Bush, avec les attentats du 11 septembre 2001.

Ce que les gens actuellement ne comprennent pas, c’est le système américain qui passe par le Congrès et qui est très lent, qui fait beaucoup de compromis et beaucoup de discussions. Tout cela est trop technique. Ce qu’ils se disent, c’est que si le président a promis, et bien qu’il fasse. Ce que l’on ne comprend pas c’est qu’aux Etats-Unis, ce n’est pas le président qui décide, c’est le Congrès. Le président peut promettre tout ce qu’il veut, si le Congrès ne veut pas, cela ne passera pas. Ce à quoi l’on ne s’attendait pas, c’est que la baisse soit aussi brutale pour Joe Biden. Elle est de 14 points. C’est beaucoup.

Joe Biden a failli. Le climat détestable de division au sein du parti démocrate au Congrès donne l’impression aux Américains que le président est inefficace. 
Jean-Éric Branaa, spécialiste de la politique et de la société américaine

TV5MONDE : Doit-on la chute de popularité de Biden, comme on peut le lire dans certains médias, au retrait des troupes américaines d’Afghanistan ? 

Jean-Éric Branaa : Pas du tout. C’est une coïncidence malheureuse. Cela a été interprété comme cela en France parce que cela nous arrangeait bien. Les Républicains ont bien essayé de l’exploiter, en disant que Biden avait mal négocié la sortie. Mais en réalité, les Américains s’en fichent. Ce qu’ils voulaient, c’est le retour des soldats. Aujourd’hui, les Etats-Unis sont un pays en paix. Ils ne sont en guerre avec personne. Cela n’était pas arrivé depuis 1945. C’est quelque chose d’important, car voir des soldats rentrer entre quatre planches était jusqu’à présent quelque chose d’habituel aux Etats-Unis.

C’est le drame national américain, ce que traite leur littérature et leurs films. Mais Joe Biden n’a pas capitalisé sur ce sujet. D’ailleurs, la première question qui intéresse les gens est leur vie, leur emploi, leur pouvoir d’achat, leur protection propre à travers les mesures anti-pandémie. Sur ces trois points, Joe Biden a failli. Le climat détestable de division au sein du parti démocrate au Congrès donne l’impression aux Américains que le président est inefficace.

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