Gilles-William Goldnadel: confessions d’un mâle blanc juif de plus de 50 ans
Par Judith Waintraub
Gilles-William Goldnadel passe huit mois sur douze en France. olivier coret / Olivier Coret pour Le Figaro Mag
RENCONTRE – Dans « Journal d’un prisonnier », l’avocat et écrivain franco-israélien imagine son propre procès dans une France où La France insoumise aurait pris le pouvoir. Une occasion de revenir avec lui sur ses combats, contre l’antisémitisme, l’islamisme, le nouvel antiracisme et le néoféminisme.
D’aussi loin qu’il se souvienne, Gilles-William Goldnadel a toujours été antiwoke. « J’ai même été antiwoke avant le wokisme », revendique l’avocat et écrivain bien connu des lecteurs du Figaro et des téléspectateurs de CNews. « Je me suis construit en combattant l’arbitraire, confie-t-il. Je suis allergique aux préjugés et a fortiori à l’injustice, je suis fabriqué comme ça. » Sur le front éditorial, il pourfend effectivement depuis de très nombreuses années la haine du juif déguisée en antisionisme et la détestation du mâle, du Blanc, du Français en particulier et de l’Occidental en général.
Autant de cibles de cette idéologie woke, qui assigne à chacun, et pour toujours, sa place de part et d’autre d’une frontière qu’elle a elle-même tracée entre « dominants » et « dominés ». C’est aussi cette impérieuse nécessité de défendre l’individu contre l’arbitraire qui a conduit Gilles-William Goldnadel à devenir avocat : « J’ai senti que je pouvais être un bon porte-parole pour des gens qui s’expriment moins bien que moi. »
Pour son dernier livre, il a choisi de quitter le registre du pamphlet, quelque peu encombré ces derniers temps du fait du zèle des nouveaux convertis à l’antiwokisme, pour se lancer dans la fiction. Le résultat, Journal d’un prisonnier, est une réussite. « Je voulais me marrer et piéger mon lecteur par le rire », explique l’auteur. Sa « ruse pédagogique » fonctionne à merveille. Il y a du Soumission de Michel Houellebecq, en plus drôle, dans le journal intime de Ghislain Gronadel, embastillé au Centre du Bien depuis l’arrivée au pouvoir de La Transe insoumise.
Notre héros doit son triste sort à la vigilance de l’un des alliés du nouveau régime, Arié Lévi de Pellepois, président de l’Union des Juifs progressistes antisionistes, qui l’a placé en tête de la liste des sionistes les plus dangereux. Gronadel est non seulement poursuivi pour génocide, mais aussi pour racisme anti-immigrés, islamophobie, masculinisme toxique, homophobie et transphobie.
Toute ressemblance avec des personnes ou des situations existantes ne saurait être totalement fortuite.
Face au procureur adjoint Eddy Plainiel, président du Syndicat de la magistrature équitable et plurielle et du Syndicat de la presse équitable et plurielle, Ghislain Gronadel tente d’inverser à son profit la logique victimaire de ses accusateurs. Le Comité de réparation des martyrs des génocides blancs restant sourd à sa requête, il va même jusqu’à se faire femme – sur simple déclaration de changement de genre – et obèse pour s’attirer la sympathie du Comité des victimes du sexisme de genre et du Comité de lutte contre la haine grossophobe. Sans plus de succès, on s’en doute.
Au début du Journal d’un prisonnier, une note prévient : « Toute ressemblance avec des personnes ou des situations existantes ne saurait être totalement fortuite. » Le lecteur reconnaîtra sans peine le fondateur de Mediapart Edwy Plenel derrière le procureur adjoint et la députée écologiste Sandrine Rousseau dans la « jugesse » Sardine Ruisseau. Il aura du mal à croire que les exemples les plus tragi-comiques, voire tragiques tout court, des méfaits du wokisme relatés par Gilles-William Goldnadel sont rigoureusement fidèles à la réalité.
Racisme antiblanc
Et pourtant ! Les dirigeants d’Évian ont vraiment présenté des excuses aux musulmans pour leur « maladresse », en 2021, après avoir diffusé sur Twitter, en plein ramadan, une campagne publicitaire incitant à boire un litre d’eau par jour. « Nous avons souhaité rapidement réagir pour rappeler que nous restons une marque ouverte et inclusive. Ce tweet n’appelait à aucune provocation et s’inscrit dans la ligne éditoriale de notre compte », ont-ils fait savoir, penauds. L’actrice Whoopi Goldberg, chroniqueuse d’un talk-show à succès sur la chaîne américaine ABC, a effectivement estimé que la Shoah n’était pas liée à la race, que c’était « un crime commis par un groupe blanc contre un autre groupe blanc ».
Et Tony Timpa, trentenaire blanc schizophrène et drogué, a bien été victime, en 2016, des mêmes violences policières qui ont conduit quatre ans plus tard à la mort de George Floyd, mais sans que personne ne s’en émeuve. L’arrestation de Timpa a été filmée par les caméras-piétons des policiers qui l’avaient plaqué au sol, comme celle de Floyd. Floyd hurlait « je ne peux pas respirer ! » ; Timpa, « vous allez me tuer ! ». Le meurtrier de Floyd et ses collègues qui sont restés passifs ont été condamnés à de lourdes peines de prison.
Les cinq policiers dont l’intervention a abouti à la mort de Timpa ont été poursuivis pour simple « usage abusif de la force ». L’un a pris sa retraite, les autres sont toujours en activité. « Un an après la mort de Floyd, le monde sportif mettait encore le genou en terre ; Timpa repose sous elle dans la froide indifférence ! s’écrie l’accusé Gronadel à son procès. Un esprit simple pourrait constater que le privilège blanc est une chimère. Un esprit blasphématoire pourrait au contraire dénoncer un privilège noir. » On aura reconnu le thème central de Réflexions sur la question blanche, que Gilles-William Goldnadel a publié en 2011 (éditions Jean-Claude Gawsevitch). Une époque où parler de racisme antiblanc vous valait la double accusation de mythomane… et de raciste.
Du Nouveau bréviaire de la haine, paru en 2001 (éditions Ramsay), à son Journal de guerre (éditions Fayard), publié trois mois après le pogrom perpétré par le Hamas le 7 octobre 2023, l’essayiste développe ce qu’il identifie comme l’« intuition » fondatrice de son combat : l’idée que la « sourde honte » de « partager la même couleur de peau que l’Antéchrist Hitler » s’est transformée dans l’inconscient collectif occidental postchrétien en détestation de sa propre civilisation, incarnée d’abord par le mâle blanc, puis « sublimée » dans la figure du juif.
Cette métamorphose de l’image du juif, de « veule apatride » en « blanc au carré », remonte selon lui à la victoire si insolente d’Israël lors de la guerre de 1967, dite guerre des Six-Jours parce que c’est le temps qui a suffi à l’armée israélienne pour triompher de l’Égypte, de la Syrie, du Liban, de l’Irak et de la Jordanie.
Une expérience vécue intimement par l’auteur. Né en 1954, le gamin de Gournay-en-Bray, un bourg ouvrier de Seine-Maritime situé à une cinquantaine de kilomètres de Rouen, comprend à l’école qu’il est « l’un des seuls juifs du coin » parce que ses camarades de classe le trouvent « différent » et le lui font sentir, « de façon pas toujours aimable ». « Avant 1967, raconte-t-il, on ne chantait pas partout qu’on était juif. Ce n’était pas un très bon moyen de se faire des amis. Après la guerre des Six-Jours, on est passé d’un excès à l’autre : on voyait des types rouler des mécaniques en France pour des victoires dans les sables du Sinaï dont ils n’étaient pas plus responsables que de la mort de Jésus ! »
Le jeune Goldnadel ne tombe pas dans ce travers. Il songe d’autant moins à se revendiquer juif que sa famille n’est ni pratiquante, ni croyante. « Du côté de ma mère, c’était la branche communiste, se souvient-il. On allait à la Fête de L’Huma. Mon père venait d’un milieu un peu plus intellectuel. Il avait perdu une sœur, déportée et morte à Auschwitz. » « On baignait dans la Shoah, mais on en parlait sans pathos et sans acrimonie vis-à-vis de la France, précise Gilles-William Goldnadel. Ma mère, qui était de Livry-Gargan, en zone occupée, racontait que les communistes et les gendarmes français avaient été “très bien”. Mon père, qui était en zone libre, disait, lui, que tous les Français de l’époque étaient antisémites. Quand il s’est engagé dans l’armée de Leclerc, en 1945, il a connu un juif qui prenait régulièrement des trempes parce qu’il s’appelait Cohen. »
«Alya symbolique»
Dans la famille Goldnadel, on ne va jamais à la synagogue, mais on aime Israël. Dès sa prime enfance, Gilles-William a adoré son grand-père maternel, né en Lituanie, « un grand résistant, décoré de la Légion d’honneur et de la croix de guerre, qui avait perdu un œil à Verdun. » Plus tard, il a été marqué par son enterrement, « entre le drapeau israélien et le drapeau français ». La guerre des Six-Jours n’a pas seulement changé l’image du juif, elle a aussi provoqué un schisme familial : le grand-père résistant a rompu avec le communisme – l’URSS était alliée à l’Égypte et à la Syrie –, une de ses sœurs lui est restée fidèle. Le petit-fils se rappelle que les uns et les autres « s’insultaient en yiddish », la langue des juifs d’Europe centrale. Il a même entendu sa grand-tante vociférer « Brent Israël ! » – « Qu’Israël brûle ! »
Si l’idée d’Israël appartient à l’imaginaire familial, Gilles-William Goldnadel ne découvre le pays que lorsqu’il sort de l’adolescence, à l’occasion de vacances passées à cueillir des avocats dans un kibboutz. Plus tard, il bourlingue du désert du Néguev à la Galilée sans vraiment avoir le coup de foudre. « C’est mon sens de l’injustice qui m’a fait aimer Israël, comme il m’a fait aimer la France, que je n’ai aimée passionnément que lorsque je l’ai sentie en danger, analyse-t-il. Avant, je ne me posais pas la question. » Il prend la nationalité israélienne en 2000, une « alya (terme biblique pour l’immigration d’un juif en Israël, NDLR) symbo lique » puisqu’il vit huit mois sur douze en France. En 2004, quand il se retrouve à la tête de France-Israël – la plus ancienne association prosioniste française, née en 1926 –, il la dote d’une devise qui résume sa propre conviction : « Quand je défends la France, je défends Israël. »
Le kibboutz de Degania, le plus ancien d’Israël, où le jeune Goldnadel a cueilli des avocats. SDP
Est-ce toujours compatible ? Gilles-William Goldnadel renvoie à une scène qui l’a « ému aux larmes » dans Les Vrais Protocoles des Sages de Sion (éditions Bookelis), livre de Jonathan-Simon Sellem sur les congrès sionistes qu’il a préfacé : « On est juste avant la Seconde Guerre mondiale. Le délégué hongrois se lève et décrit le déferlement apocalyptique de l’antisémitisme dans son pays. Il termine en annonçant qu’il va faire son alya mais que ça ne l’empêchera jamais de continuer à aimer la Hongrie et les Hongrois. Et à ma grande stupéfaction, tous les autres délégués se lèvent et lui font une ovation. » « Quand on aime son État-nation, on l’aime et on le défend toujours, notamment quand il est contesté, affirme le petit-fils de grands-parents polonais côté paternel, lituanien et bessarabien côté maternel. Comme le dit le grand philosophe israélien Yoram Hazony, dont j’ai également préfacé le livre sur les vertus du nationalisme, l’État-nation, c’est exactement la bonne dimension, plus grand que la tribu et moins vaste qu’un empire. »
Double allégeance
Mais peut-on revendiquer une double allégeance pour soi et la critiquer chez les autres, par exemple chez les immigrés ou descendants d’immigrés algériens en France ? « Le drame pour beaucoup d’Algériens, c’est que l’Algérie s’est construite dans la détestation de la France, et que le Français a été dépeint en Dupont Lajoie, répond le polémiste. Je n’en veux pas aux enfants de l’immigration de dire que les Français sont racistes : il faudrait qu’ils soient des saints laïcs pour refuser le confort d’une posture victimaire. En revanche, j’en veux aux intellectuels, français et algériens, qui leur tiennent ce discours. » « Il y a des exceptions merveilleuses comme Boualem Sansal, ajoute-t-il, qui aime passionnément à la fois la France et l’Algérie, raison pour laquelle il la critique. »
Classé à l’extrême droite par certains de ses détracteurs, ce dont il n’a cure, Gilles-William Goldnadel n’a rencontré qu’une fois Jean-Marie Le Pen, il y a plus de trente ans. Le fondateur du Front national rêvait d’être reçu en Israël et cherchait un intermédiaire pour plaider sa cause. L’avocat l’a éconduit « poliment » en lui expliquant qu’il lui en voulait moins en tant que juif qu’en tant que Français de ses saillies antisémites, « parce qu’elles rendaient inaudible son discours salvateur sur l’immigration ». « Je lui ai aussi suggéré de faire une minute de silence en hommage aux victimes de la Shoah, comme il l’avait fait en hommage aux millions de morts du bolchevisme lors de son premier passage à “L’Heure de vérité”, raconte-t-il. Il m’a dit qu’il allait réfléchir et ça a donné… le point de détail ! »
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