L’engrais israélien aux mains des terroristes :

une lecture du film allemand In the fade de Fatih Akin

 

Michel Arouimi

Au début du film In the fade (2017), la mort violente d’un père kurde et de son jeune fils, victimes d’un attentat xénophobe dans une villa allemande, et bientôt le suicide de sa femme, une jeune allemande que son mari semble avoir initiée à la drogue, ces morts peuvent donner l’idée d’un verdict sur les unions interethniques. Pourtant, le sacrifice sanglant de ces trois personnages semble dédié, non pas à une puissance occulte ou à quelque Dieu absent, mais à une entité politique maléfique, désignée par les sacs d’ « engrais israélien » qui ont servi aux deux explosions. Comme si le destin pitoyable de cette famille si moderne, se voyait brisé par le spectre d’une autre vision de la famille, qui perdure dans le pays dont le rôle se résume dans cet engrais. (Cette implication d’Israël dans la violence terroriste s’étend à la réputation de ce pays fertile qui, tout entier, se voit assimilé à la plus meurtrière des armes.)

La pensée dite traditionnelle, à laquelle Israël pourrait donner son nom, est ainsi ressentie comme un obstacle mortel à la réinvention du cadre familial, à laquelle s’emploie l’idéologie postmoderne. Ce rôle d’obstacle est réel, mais c’est cette pensée, même si ce scénario suggère le contraire, qui est menacée de mort par cette idéologie.

Dans ce film de Fatih Akin, réalisateur naturalisé allemand, les auteurs de l’attentat terroriste à la bombe, commis dans un quartier interlope de Hambourg, sont qualifiés de « nazis ». Il s’agit d’un couple de jeunes allemands, qui passent en effet pour vouer une sorte de culte à Hitler. Mais dans le procès qui leur est fait, parmi le détail des composants de la bombe, produits de l’industrie allemande, les « cinquante kilos d’engrais chimique israélien » suggèrent l’identification d’Israël et du nazisme, plus certaine que la culpabilité des accusés.

Ces jeunes gens seront acquittés au bénéfice du doute, au grand dam de l’épouse et mère des deux victimes, Katja, qui adopte leurs méthodes, autrement dit leurs recettes, pour une vendetta de sa façon. Cette vengeance, après hésitation, sera suicidaire : Katja se fait sauter avec les deux présumés coupables, dans la roulotte où ils se sont réfugiés sur une plage grecque. Leur jogging, avant ce dénouement macabre, évoque  la course sur la plage de Katja et de son mari, parmi les souvenirs du bonheur familial de celle qui porte un prénom dont l’origine grecque ajoute à ce brouillage du sens. Les jeunes allemands supposés coupables ont d’ailleurs des complices grecs, que la veuve Katja parviendra à rencontrer. Cette rencontre peut se lire comme un retour aux sources, dont le paradoxe n’est qu’apparent. La violence qui s’éveille bientôt en Katja n’a pas d’autre odeur que celle de l’engrais israélien, mal dissimulée sous les voiles grecs ou allemands qui le recouvrent. On peut interpréter cette énigme comme une critique des attaches de l’Occident moderne avec la culture de l’Ancien Testament. Katja ne fait qu’appliquer la loi du talion, même si son suicide en est la remise en cause.

Le mari assassiné, un kurde, délinquant repenti et parfaitement intégré, n’a pas fait siennes les méthodes du terrorisme. Le réalisateur innocente ainsi ses coreligionnaires (croyants ou pas) les plus dangereux, en rejetant la responsabilité de leurs crimes sur des allemands de souche, tentés par l’engrais diabolique. Ce paradoxe n’en est pas un : un effet de miroir associe la culture occidentale contemporaine et l’islamisme violent, unis dans la dégradation du sacré, avec des moyens que l’on peut qualifier de complémentaires ; la pensée occidentale niant l’Esprit, tandis que le terrorisme islamique exerce sa violence sur les corps. Le mari kurde est d’ailleurs « agnostique », et la religion est totalement absente des préoccupations de la mère vengeresse.

Le terrorisme musulman est donc l’objet d’une complète ellipse dans ce scénario qui se focalise sur les réactions violentes qu’il peut engendrer chez les nationalistes, en l’occurrence allemands. Les obscurités du scénario (le comportement des accusés et de leurs virulents amis ne révèle jamais leur culpabilité) expriment une confusion mentale qui, sous la caméra de ce réalisateur est plutôt la raison méconnue de toutes les formes du terrorisme musulman[1]. Or, l’idéologie de ce terrorisme se confond dans ce film avec celle de l’Occident déconstruit : l’héroïne qui se rebelle contre sa mère puis sa belle mère, qui lui tient des propos odieux, fraternise avec le père du supposé terroriste, qui a exprimé quelques excuses lors du procès de son fils… Le réalisateur est peut-être soucieux de suggérer les excuses approbatrices que mériteraient à ses yeux les terroristes musulmans. Quoi qu’il en soit, ces détails du scénario expriment l’adhésion participative de ce réalisateur à l’idéologie postmoderne occidentale, encline à dissoudre la frontière du bien et du mal, comme l’idée de la filiation culturelle dans le cadre familial.

Autre brouillage du sens, l’idée d’un terrorisme israélien, suggérée par l’engrais de l’explosif utilisé pour une bombe dont les composants métalliques sont d’origine allemande. La plage fatale (grecque) apparaît d’ailleurs comme le masque géographique d’Israël. Une séquence montre en effet l’héroïne achetant l’engrais chimique (israélien ?) dans un magasin grec, mais pas les autres composants de la bombe qu’elle fabrique elle-même. Si Katja se tue, c’est peut-être pour faire expier en elle la connotation exotique que le scénario prête à son prénom…

Le titre original Aus dem Nichts évoque trompeusement une sortie du néant ; le spectateur étant plongé dans ce dernier, au gré du nihilisme spirituel qui est celui du réalisateur, validé par les pays associés dans la production de ce film « germano-français ». (Le titre international (adopté pour le public français) « In the fade », est celui d’une chanson pop, écrite par les auteurs de la bande-son, qui donne un contenu attrayant à cette idéologie.)

[1] Je me suis efforcé de le :montrer en lisant de grandes œuvres littéraires, dans un ouvrage : Ecrire selon la rose (Hermann, 2016).L’article présent est d’ailleurs extrait d’un projet d’ouvrage, « Déconstruire au cinéma », dont j’ignore la date de publication.

Par Michel Arouimi

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