Santiago Amigorena en mai 2014. (ANDERSEN ULF/SIPA / SIPA)
Prix des libraires de Nancy à Santiago H. Amigorena
Le prix sera remis à Santiago H. Amigorena vendredi à l’ouverture de la 41e édition du Livre sur la Place de Nancy.
Vicente (Wincenty) Rosenberg, le grand-père de l’écrivain, arrive en Argentine en 1928 bien décidé à tirer un trait sur la misère et l’antisémitisme qui gangrène une partie de la société polonaise.
C’est un jeune dandy, toujours tiré à quatre épingles, que décrit Santiago H. Amigorena. Vicente se marie, devient le père de trois enfants, s’enrichit (un peu) dans le commerce de meubles.
A Varsovie sont restés sa mère, Gustawa, et son frère. Les faire venir à Buenos Aires? Vicente y pense et puis oublie.
Enfermée dans le ghetto
En décembre 1940, Vicente reçoit une lettre postée de Varsovie. « Mon chéri, tu as peut-être entendu parler du grand mur que les Allemands ont construit. Heureusement, la rue Sienna est restée à l’intérieur, ce qui est une chance, car sinon on aurait été obligés d’abandonner l’appartement et de déménager », écrit Gustawa.
Que se passe-t-il en Europe? Les rares autres lettres qui vont lui parvenir de sa mère enfermée dans le ghetto lui font craindre le pire.
« Les soldats allemands viennent la nuit et entrent dans les appartements. Ils tuent sans raison. Ils disent qu’ils font ce qu’on leur dit de faire. Certains sont ivres et ils viennent avec des haches. Mais la plupart ont des regards qui, avec l’hiver, sont devenus tristes comme les nôtres », raconte Gustawa dans la dernière lettre qui parvient à Buenos Aires.
Vicente est accablé. Rongé par la culpabilité d’assister impuissant au massacre des siens, il se mure peu à peu dans le silence. La nuit il joue au poker. Délaisse sa femme et ses enfants. Vicente est devenu le fantôme de sa propre vie, prisonnier à jamais de son « ghetto intérieur ». Jusqu’à sa mort, en 1969, il y restera enfermé.
Redonner la parole
Santiago H. Amigorena, 57 ans, né sept ans avant la mort de son grand-père, lui redonne enfin la parole. « L’antisémitisme a fait fuir d’Europe mes aïeux. Les dictatures latino-américaines m’ont fait fuir avec mes parents l’Argentine puis l’Uruguay pour retourner en Europe. J’ai dû quitter mon pays, ma langue maternelle, et mes amis. Comme mon grand-père, j’ai trahi: je n’ai pas été là où j’aurais dû être », écrit l’écrivain.
En le lisant, on comprend soudain son parcours. Les titres de ses précédents livres sont sans équivoque: « Une enfance laconique », « Une jeunesse aphone », « Une adolescence taciturne »…
En exergue du « Ghetto intérieur », l’écrivain explique: « Il y a vingt-cinq ans, j’ai commencé à écrire un livre pour combattre le silence qui m’étouffe depuis que je suis né (…) Les quelques pages que vous tenez entre vos mains sont à l’origine de ce projet littéraire ».
Source: www.swissinfo.ch
Son grand père a pu fuir à temps, à une époque où les pays neufs ne s’étaient pas encore refermés à l’émigration européenne. Mais, il a autant souffert moralement d’avoir assisté impuissant à l’assassinat de tous les siens.