Le référendum pour l’Indépendance du Kurdistan d’Irak et ses tragiques conséquences continuent de recevoir de l’écho dans les cercles kurdes du nord de la Syrie, du fait des liens nationalistes qui unissent les deux faces de Janus et sentiments partagés d’une même cause kurde. Parallèlement à l’échec cuisant enregistré par le GRK d’Erbil, pour des raisons qui ne tiennent pas que de l’invasion irako-iranienne de Kirkouk, mais aussi du fait de dissensions internes (direction bicéphale des Peshmergas, entre autres), les partis kurdes de Syrie se préparent à une  forme de délégation unitaire pour négocier avec le régime de Damas, la formation d’un Etat Fédéral à travers toute la Syrie.

Le Parti d’Union Démocratique (PYD) considère les cdéclarations du Ministre syrien des Affaires étrangères Walid Moallem, concernant la possibilité de négocier une région kurde potentiellement autogérée comme une « mesure progressive », bien que fort tardive.

Le conseiller présidentiel du PYD, Sihanouk Dibo, a déclaré qu’on doit maintenant « capitaliser le bilan » du Référendum d’Indépendance du Kurdistan d’Irak « de façon à empêcher les raisons qui ont nourri cet échec de refaire surface ailleurs, afin d’épargner une telle mauvaise expérience en Syrie ».

Les appels de la Région du Kurdistan àun référendum pour l’Indépendance découlent d’une relation faible avec le gouvernement central de Bagdad et de problèmes concernant la répartition des pouvoirs et des revenus du pétrole de la région, qui l’exporte de manière indépendante vers la Turquie.

Le désir d’adopter le modèle fédéral  comme un système permettant de gouverner les provinces de Syrie n’a fait qu’augmenter au sein de certains partis kurdes et de lerus composantes présentes dans les bastions du nord de la Syrie. Cette aspiration n’a fait que s’intensifier, du fait que les forces du régime syrien central s’est tout simplement retiré de cette zone en Novembre 2012. A la suite de ce retrait des forces syriennes, les forces kurdes comme le PYD ont formé  leurs propres forces d’auto-défenses (armée et police) et des conseils locaux. Les 16 et 17 mars 2016, les Kurdes et le PYD ont annoncé l’instauration d’un système fédéral dans le nord de Syrie.

La déclaration de Moallem sur RT TV le 25 septembre, s’aventure bien au-delà de l’approche traditionnelledu Parti Baath, qui croit en l’unité fondamentale de tous les territoires syriens sous l’égide de la loi centrale. ON peut même penser que cette déclaration est alignée sur la position de l’allié du régime syrien, la Russie, quant à l’instauration d’un Etat fédéral syrien, tout en maintenant l’unité du pays.

Il est probable que cette déclaration de Moallem s’inscrive plutôt dans un jeu politique plus complexe visant à faire pression sur le soutien de l’opposition, la Turquie, qui s’oppose vertement à toute exigence d’autogestion, pour l’obliger à faire des concessions politiques en faveur de Damas et aux dépends de l’opposition politique et militaire. Cette déclaration peut aussi vouloir dire que Damas goûte l’eau de l’alliance avec la Russie et l’Iran, ses plus proches contributeurs, concernant un projet d’Etat fédéral.

Le Vice-Ministre russe des affaires étrangères Sergeï Ryabkov soutient la proposition fédérale en Syrie et il a déclaré que la Russie appuie les résultats des négociations syriennes, dont l’établissement d’un Etat Fédéral.

Avec la libération de Raqqa le 20 octobre, et l’alliance arabo-kurde des Forces démocratiques Syriennes annonçant que la ville ferait partie d’une « “Syrie fédérale décentralisée,”, le PYD et ses alliés semblent avoir effectivement annexé la province à la zone fédérale et bénéficier de l’enthousiasme russe à l’idée, voire d’une approbation implicite du régime syrien à un ordre décentralisé – ou au moins de sa volonté de négocier, dans la mesure de sa perte de contrôle d’une Syrie indivisible…

Une source de l’opposition, Abdulbaset Sieda, un universitaire kurde de Syrie, ghomme politique et ancien Président du Conseil National Syrien, a déclaré : « Le régime ne sera pas celui qui décidera des règles futures appliquées en Syrie, mais il tem=nte de donner le change pour marquer son territoire et faire la preuve de son « contrôle ».

Sieda pense que les suggestions actuelles qu’évaluent le régime syrien, à propos d’un Etat Fédéral, sont fondées « sur les propres penchants de la Russie et la prise de conscience syrienne des attentes et exigences américaines. Le régime tente de rester à la même page que ses alliés, mais en même temps il travaille dur et fait tout pour faire échouer ce projet ».

Est-ce que ce système sera administratif, géographique, nationaliste, confessionnel ou religieux? Cette question doit être débattue, après avoir atteint un certain degré de solution politique en Syrie et elle devrait constituer un prélude à la formation d’un projet de constitution élaborée par une commission, qui doit être fondé sur le consensus de toutes les composantes syriennes ».

La position américaine souligne qu’une décision d’Etat fédéral devrait rester entre les mains des Syriens eux-mêmes. L’ancien adjoint au porte-parole du Département d’Etat américain Mark Toner a encore certifié l’engagement des Etats-Unis envers l’unité de la Syrie et a déclaré : « Si les Syriens souscrivent à un système fédéral, la décision leur revient (c’est leur affaire). Mais les Etats-Unis s’opposent à l’instauration de zones sous juridiction semi-indépendantes menaçant l’unité de la Syrie. Cela crée des zones ou cnatons à l’intérieur de la Syrie. Les Etats-Unis ne soutiennent pas le projet d’un système fédéral en Syrie, à moins que le peuple syrien lui-même y souscrive ».

L’administration autogérée kurde, Rojava comprend trois cantons : le canton d’Al-Jazira qui comprend Qamishli et Hasakah, dont sont parties les colonnes de l’opération « Tempête d’Al Jazeera » et qui actuellement atteint le sud-Est de Deir Ez Zor, jusqu’aux villages tribaux sunnites d’al Bagara, le Canton de Kobani qui comprend Ain al-Arab et Tell Abyad, et le Canton d’Afrin, qui comprend Afrin et Shahba.

Ces cantons constituent 37 à 40% de la surface globale de la Syrie et ils sont le foyer de 3-4 millions de citoyens du Nord de la Syrie, dont les Kurdes, des Arabes, des Turkmènes, des Syriaques, des Assyriens, des Circassiens et des Yazidis, sans même mentionner les Chrétiens araméens et les Musulmans. Ces cantons peuvent aussi se vanter de détenir des barrages d’importance cruciale sur l’Euphrate, des puits de pétrole en grand nombre comme ceux d’Al -Omar ou Jafra dont les FDS se sont emparés, bien avant que l’armée syrienne, appuyée par le Hezbollah ne puisse seulement apercevoir ces puits à l’horizon, et encore des bandes de terres conséquentes pour le développement agricole.

L’administration auto-gérée a déjà  organisé les élections des Conseils Locaux et s’est déjà préparée à lancer les élections municipales et régionales le 1er Décembre. Un conseil ocal a pour mission de gérer les services d’un village ou de son environnement à l’intérieur de la province et dans le cadre d’un modèle fédéral.

Selon Dibo, le PYD veut appliquer « le modèle fédéral géographique, plutôt que le régime nationaliste unique sur tous les territoires syriens » et il veut former « Quatre Etats Fédéraux fondés sur leur caractéristiques géographiques (et donc leur mode d’économie) – la fédération du nord, du sud, de la côte et du désert ».

Dibo affirme que le report d’une déclaration sur l’état de la Fédération accentue la crise syrienne du fait du « manque de solutions réalistes et raisonnables », faisant référence au système fédéral qui sauverait la Syrie de sa réalité intrinsèquement conflictuelle.

Dibo ajoute que : « à la lumière des victoires remportées, l’état fédéral effectue sa transition en partant d’une légitimité révolutionnaire vers une légitimité constitutionnelle. En se fondant sur ce principe, nous n’accepterons aucune violation des gains obtenus et engrangés. Chacun doit savoir que nous ne tirons pas avantage du principe d’une fédération pour obtenir de l’aide, parce que ce ne serait ni équitable ni acceptable ». Il faisait référence à toute manœuvre ou objection de la part du régime syrien ou de tout autre parti d’opposition en Syrie. Dibo a déclaré qu’il n’y avait là aucune intention de s’engager de de nouvelles batailles contre aucun Parti en Syrie.

Iln’est pas évident de savoir jusqu’à quel point le régime syrien pourrait aller dans l’approbation de lois fédérales décentralisées, sur une surface de 185.000 km², alors qu’à présent le régime ne contrôle guère plus de la moitié du pays. Ali Haidar, le Ministre d’Etat pour les affaires visant la réconciliation, a déclaré dans un communiqué : « “l’Avenir de Raqqa est non-négociable, excepté dans le cadre d’un modèle politique final pour l’Etat syrien ».

Le gouvernement de Damas fait en sorte de reporter le débat sur la loi fédérale jusqu’à ce qu’un accord final soit atteint. La position américaine reste vague, parce qu’elle se focalise sur l’élimination de l’Etat Islamique en Syrie.

Pendant ce temps, les acteurs politiques cruciaux en Syrie -La Russie, la Turquie et l’Iran – chantent leurs propres chansonnettes, à propos de ce modèle fédéral d’Etat. Sieda postule que : « Bien que la Russie et l’Iran marchent main dans la main en Syrie, -ce qui devient évident avec l’instauration des zones de désescalade- chaque pays a ses propres intérêts et orientations sur le long terme.

La Russie est intéressée par une forme d’Etat fédéral, mais en terme de contenu, elle se focaliserait plutôt sur un système de sécurité militaire qui puisse garantir ses intérêts en Syrie et, en définitive, dans la région. L’Iran ne veut pas ouvrir le débat sur la fédération par crainte de donner de l’inspiration à sa propre population kurde en Iran ».

Il ajoute : « La Turquie pense que le régime syrien va conserver dans sa manche la carte kurde afin de faire pression et de prolonger la politique passée du Président Bachar el Assad, qu’il utilise d’ailleurs encore quand il en a besoin ».

La Turquie va t-elle tiré partie de l’entrée de son armée dans la Province d’Idlib pour stopper tout projet fédéraliste en assiégeant le canton d’Afrin près d’Alep, en coordination secrète avec Damas contre les Kurdes? La Syrie est au bord d’un nouveau genre de conflit qui est susceptible d’intégrer des tandems bien étranges…

 

Mohammad Bassiki est un journaliste syrien et chercheur intéressé par l’analyse politique et économique au Moyen-Orient. Il est le fondateur de l’Unité d’Investigations syriennes et zancien rédacteur en chef de aliqtisadi.com. Les articles d’investigation de Bassiki couvrent le conflit Syrien et ses impacts, comme la corruption, les violations des droits de l’homme et l’économie parallèle. 

al-monitor.com

Adaptation : Marc Brzustowski

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