Glen W. Bowersock, Le berceau de l’islam: Mohammed, le Coran et les cultures de l’Antiquité (CH Beck, Munich).

C’est à un éminent spécialiste de la culture islamique des premiers siècles que nous avons à faire et qui nous offre dans ce volume plutôt compact le point le plus complet de l’état de nos connaissances sur la question.

Il s’agit d’un éminent historien, ayant enseigné à Harvard afin de rejoindre le cercle très fermé des professeurs à l’Institute for advanced studies de Princeton.

Il adopte d’entrée de jeu l’attitude de l’historien qui considère les faits, rapproche les données philologiques des attestations des premiers témoins et se concentre sur lieux et les protagonistes.

Le premier chapitre nous donne un tableau très riche de la péninsule arabique préislamique.

On y voit que le polythéisme ou le paganisme arabe n’était pas le seul acteur dans cette Arabie qui, au dire de Renan, a manqué de très près de devenir un haut lieu de la religion juive.

On apprend qu’une petite principauté était régie par les juifs, en alternance avec des chrétiens, et que les empires environnants, notamment l’Ethiopie, s’affrontaient dans cette Arabie que la venue de Mahomet allait transformer de fond en comble.

J’ai mentionné plus haut le polythéisme et le paganisme, mais certains ont même parlé de paganisme monothéiste ou de monothéisme mou en référence avec la réalité de la sensibilité religieuse des Arabes.

La ville sainte de la Mecque a abrité des cultes polythéistes avant de devenir la ville sainte de l’islam. C’était aussi un nœud de communications et une route de commerce sillonnée par les caravanes chargées d’essences, d’épices et d’autres marchandises.

Juifs, chrétiens et arabes (non encore islamisés) y vivaient côte à côte, ce qui n’excluait pas des périodes de vive tension.

Ainsi, nous obtenons une description historique de la ville sainte environ un siècle avant la naissance du prophète qui allait prêcher l’islam et bouleverser la vie et le devenir de toute la région.

Mahomet avait connaissance des cultes idolâtres, même ceux voués à des déesses dont les noms sont cités dans le Coran.

Mais ce qui m’a le plus frappé, c’est le rôle joué par l’Ethiopie qui était en majorité chrétienne et se voulait la protectrice des adeptes du Christ, au point de lancer des expéditions militaires pour leur venir en aide.

Le chapitre consacré aux relations entre l’Ethiopie et l’Arabie est hautement intéressant. On y comprend mieux les manœuvre de cette Ethiopie chrétienne qui suivait avec une certaine inquiétude ce qui se passait au VI-VIIe siècle chez son voisin.

Une première vague d’adeptes de l’islam, donc des partisans du prophète, s’est rendue depuis l’Arabie dans l’empire voisin et fut bien accueillie par les autorités chrétiennes.

Plus hypothétique est l’annonce d’une missive envoyée par Mahomet aux différents monarques pour les inciter à le suivre, à le reconnaître comme l’envoyé de Dieu (Rassoul l’Allah) et à embrasser la nouvelle foi.

Comme l’auteur, je doute fort qu’une telle correspondance ait pu exister ; en revanche, comme Mahomet ne fut pas le seul, à son époque, à se présenter comme un envoyé divin, je crois bien qu’il y eut un autre candidat au même titre, proposant à Mahomet d’œuvrer tous deux de concert…

Evidemment, cette offre fut rejetée par le principal intéressé qui ne pouvait admettre l’idée d’une telle répartition des rôles.

Ce qui m’étonne aussi, dans une certaine mesure, c’est le rôle assez important qui revenait alors aux communautés juives sur place : on les accuse même d’avoir massacré un grand nombre de chrétiens qui étaient leurs voisins…

Certes, il existait des tribus guerrières juives qui nouaient des alliances selon les circonstances politiques ou sécuritaires du moment, mais à en croire l’auteur, cela allait bien au-delà.

En 614 un événement aux conséquences importantes se produisit : les troupes de l’empire sassanide, les armées perses, se trouvaient devant les murailles de Jérusalem qu’elles occupèrent sans difficulté.

On prête aux habitants juifs de la ville sainte une secrète collaboration avec les envahisseurs qui leur auraient promis une grande bienveillance en échange. L’auteur analyse les conséquences de cette conquête pour les chrétiens qui furent très mal partagés.

Selon certains témoins oculaires, très mal disposés à l’égard des juifs, ces derniers se seraient réjouis des exécutions massives de chrétiens auxquels ils auraient promis d’intervenir auprès de l’armée perse afin de les sauver d’une mort certaine, à la condition, toutefois, qu’ils abandonnent leur religion; mais ajoute le narrateur, les chrétiens préférèrent mourir pour l’amour du Christ que de vivre dans l’irréligion…

Mais les fouilles archéologiques ont prouvé de manière définitive que le nombre de victimes et de charniers était largement exagéré.

Mais le plus intéressant dans cette affaire, c’est qu’aucune des deux puissances hégémoniques de l’époque –nous sommes au milieu du VIIe siècle de notre ère- à savoir Byzance et la Perse, allait devoir affronter un adversaire autrement plus coriace et plus dangereux que tout ce qu’elles avaient connu à ce jour.

Né vers 570, membre d’une tribu fort influente à la Mecque, Mahomet commençait à susciter la colère et l’opposition de certains milieux et cette animosité alla croissant, au point qu’il dut émigre (Hijra), quitter la ville et s’établir à Yathrib (Medine : madinat an nabi : la ville du prophète) où vivait une importante, et parfois très opulente communauté juive.

Au début, les choses se passèrent correctement mais l’instabilité aidant et les escarmouches entre les deux clans arabes (les adeptes de Mahomet et ses opposants) devenant plus fréquentes, Mahomet soupçonna les juifs de sa nouvelle cité de comploter contre lui et de chercher à attenter à sa vie.

La détérioration des relations avec les juifs incita un certain nombre de ces derniers à émigrer vers une oasis Chaybar. Les jours de ces communautés juives divisées et éparpillées sur le territoire de la péninsule arabique étaient désormais comptés.

Mais le prophète allait lui aussi quitter ce monde sans avoir songé à préparer la relève. S’ensuivirent trois décennies au cous desquelles des quatre califes qui lui succédèrent, un seul , le premier, mourut de mort naturelle, et les trois autres furent assassinés…

La mort du prophète menaçait de plonger la totalité de la communauté islamique dans un profond désarroi. Les autres visionnaires qui avaient contesté la vocation prophétique de Mahomet crurent leur heure venue, notamment le fameux Musailima, mais les collaborateurs les plus proches de l’Envoyé désignèrent Abu Bakr comme successeur.

Ce dernier n’hésita pas à se lancer dans des conquêtes militaires qui agrandirent encore un peu plus les territoires de la nouvelle foi. L’auteur a consacré quelques pages à l’entrée d’Omar dans la ville de Jérusalem.

Laissons de côté les descriptions désobligeantes du général de Mahomet qu’on trouve sous la plume de témoins chrétiens partiaux pour nous concentrer sur ce qui pouvait changer dans la vie des habitants de la cité du roi David.

A en croire l’auteur de ce livre, Omar sut négocier habilement la prise de la ville, ne porta pas atteinte aux édifices religieux des autres confessions et ne souhaita pas bousculer l’ordre existant.

On rapporte qu’il entendait prier sur le site même du second Temple, ce qui lui attira la grande inimitié de l’historiographe chrétien en question…

Mais Omar fut lui aussi tué par des opposants, tout comme le sera le quatrième calife, tous ayant assuré une sorte d’interrègne. Le calife désigné, membre de la dynastie des Omeyades, ouvrira la porte à un nouvel ordre régional, de même que le centre de gravité de l’empire évoluera vers Damas et plus tard, vers Bagdad.

Le mérite incontestable d’Omar est d’avoir tenté d’imposer une version officielle du Coran à l’ensemble des croyants. Mais il n’a pas réussi à éradiquer toutes les autres versions du texte sacré, dont certains extraits, différents de la version officielle, ont été retrouvés à Sanaa, au Yémen.

Omar, dit-on, a fait dissoudre dans de l’huile bouillante des passages lacunaires d’anciennes versions qui n’ont pas été repris dans le texte retenu par les générations suivantes.

Le tout dernier chapitre de ce livre est consacré à la mosquée al-Aqsa, que Omar voulait ériger sur le site de l’ancien temple. On sait les problèmes posés par cette mosquée, le troisième lieu sacré de l’islam qui fonde ses revendications sur la ville de Jérusalem en se réclamant de cet imposant édifice religieux.

C’est le calife Abd al malik qui a fait sortir de terre cette grande mosquée mais c’est Omar qui, des décennies auparavant, a fait rentrer l’islam en Terre sainte. Avec les suites que l’on sait. Mais cette ville de Jérusalem est celle à partir de laquelle Mahomet a effectué son voyage céleste et obtenu la vision du paradis et de l‘enfer.

Le compte rendu est déjà long mais je souligne l’importance des inscriptions à l’intérieur de la mosquée, portant sur la naissance de Jésus, le statut de sa mère Marie et la portée de sa carrière prophétique.

Mais même si le dignitaire musulman avait voulu opérer un léger rapprochement avec les chrétiens, la doctrine trinitaire marquait jusqu’où il pouvait aller… Et guère plus loin.

Toutes ces choses concernant la mosquée se sont produites au VIIIe siècle, certaines un siècle auparavant ; mais elles marquent jusque de nos jours la vie de notre monde.

Maurice-Ruben Hayoun

Le professeur Maurice-Ruben Hayoun, né en 1951 à Agadir, est un philosophe, spécialisé dans la philosophie juive, la philosophie allemande et judéo-allemande de Moïse Mendelssohn à Gershom Scholem, un exégète et un historien français. il est également Professeur à  l’université de Genève. Son dernier ouvrage: Joseph (Hermann, 2018)

 

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Elie de Paris

Le Judaïsme rabbinique, dit pharisien, qu’il relève des docteurs de Yeroushalaïm ou de Bavel, n’a jamais eu l’intention de convertir par la force. Ce qui est d’ailleurs rédhibitoire.
Et c’est ce judaïsme qui prévalait après la tragédie de Betar, et Massadah.
Si les Juifs d’Arabie, pacifiques, de medine ou de la mecque, avaient disposé de forces armées, ils auraient résisté aux massacres de l’usurpateur.