source ; Tsion ESENFELDLe récit de la semaine: Vendredi, le Rabbin a eu un accident
Vendredi, 15 heures, dans le centre de Paris.
J’ai achevé une visite à un de mes bons amis qui dirige un laboratoire : chaque semaine, je lui mets les Téfiline et nous bavardons un peu. C’est bientôt Chabbat et je m’apprête à rentrer chez moi à moto.
Cela fait 6 ans que j’habite en France, je suis un émissaire du Rabbi à St-Maur-des-Fossés ; la plupart des Juifs de St-Maur travaillent à Paris et c’est là que je m’arrange pour les rencontrer.
Il commence à pleuvoir très fort, la route devient glissante, je ralentis et ajuste mon casque.
Soudain, une voiture de sport aborde le carrefour, près de la place de la Nation. Le conducteur ne m’a pas remarqué, alors que j’avance à vive allure. L’accident est inévitable. Je choisis de freiner, je tombe tandis que ma moto glisse à côté de moi, d’autres voitures approchent : suis-je en train de vivre mes derniers moments ?
Silence. Une voiture s’arrête derrière moi et bloque la circulation. Je vérifie, il ne me manque aucun membre, D.ieu merci. Je parviens même à me relever et je tente de me dégager de la chaussée afin d’éviter de causer un bouchon.
Une femme de l’autre côté de l’allée se précipite vers moi : «Tout va bien ? Puis-je vous aider ?»
– Je crois que ça va ! dis-je en enlevant mon casque. Elle a l’air surprise, elle ne s’attendait sans doute pas à voir un homme barbu. Il n’y a pas tant de motards barbus à Paris…
– «Hakol Béséder» ? répète-t-elle alors, en hébreu avec un fort accent français. Maintenant c’est moi qui suis étonné…
– Venez, poursuit-elle, mettons la moto à l’abri et évaluons les dégâts ! Ceux-ci sont mineurs.
Elle se présente : Sophie Charbit. «J’habite dans le quartier. Je ne m’attendais certainement pas à voir un Juif, encore moins un rabbin…»
Sophie voudrait bien continuer à parler mais je suis obligé de l’interrompre : «Je dois partir, c’est bientôt Chabbat et j’ai encore un long trajet !»
Sophie semble surprise que Chabbat arrive. Et je suis surpris de sa réaction. Près de 4000 Juifs vivent dans cet arrondissement : même s’ils ne sont pas tous pratiquants, il est difficile d’imaginer qu’on ne sache pas que c’est la veille de Chabbat.
– Allumez-vous les bougies de Chabbat ?
Sophie me fixe d’un regard étrange. «Bougies de Chabbat ? Non, je ne les allume pas ! Je n’ai aucune famille ici et je ne respecte pas le Chabbat!»
– Ma femme et moi serions heureux de vous recevoir à la maison pour Chabbat ?
– Quel Chabbat ? demande-t-elle, étonnée.
– Ce soir, ce Chabbat !
– Non, je ne pense pas, réplique-t-elle avec un sourire gêné, j’ai autre chose de prévu. Mais je viendrai avec plaisir un autre Chabbat ! ajoute-t-elle et nous échangeons nos numéros de téléphone.
Je parvins à temps à la maison avant l’allumage des bougies. J’informai mon épouse que nous aurions peut-être une invitée supplémentaire : «Qui sait, remarque-t-elle avec une intuition toute féminine, peut-être cet accident était-il prévu par la Providence Divine juste pour qu’on l’invite…»
Mais Sophie ne vint pas ce Chabbat, ni le suivant. Quant à moi, j’avais égaré son numéro bien que j’aurais eu besoin de son témoignage pour remplir le constat. Et retrouver Sophie Charbit à Paris est comme chercher une aiguille dans une botte
de foin.
Quatre mois passèrent ; un jour, je reçus un texto d’un expéditeur inconnu, probablement une publicité. Mais bizarrement, je l’ouvris et répondis : «Qui est-ce ?»
A ce moment, mon portable sonna : «Rav Drookman? C’est Sophie Charbit ! Vous vous souvenez de moi?»
– Bien sûr ! Nous vous attendons pour Chabbat !
Ce vendredi soir, Sophie fut l’une de nos invités. Elle semblait très émue. Je racontai aux autres convives les circonstances de notre rencontre ; puis elle demanda à raconter sa version des faits : «J’ai 45 ans, je ne me suis jamais mariée et je suis seule à Paris. Cela fait plus de 20 ans que je n’ai parlé ni à ma mère ni à ma sœur.
C’est dur d’être célibataire ; mes parents n’étaient pas pratiquants mais gardaient certaines traditions: Kiddouch, les fêtes, Yom Kippour. Mais depuis que je vis seule, j’ai arrêté même cela !
Après de nombreuses années de solitude et de non observance, j’ai décidé de trouver du travail dans un environnement juif. Ainsi je me ferais de nouveaux amis, peut-être serais-je invitée…
J’ai trouvé une place de vendeuse dans le «Marais», en plein quartier juif. L’ambiance était sympathique. Mais il y avait un problème. Chabbat ! Vendredi, mes collègues se souhaitaient Chabbat Chalom et s’invitaient les uns les autres. Lundi, ils se demandaient mutuellement comment ils avaient passé Chabbat. Mais personne ne faisait attention à moi. Au bout d’un an, je suis devenue de plus en plus aigrie et en colère contre les Juifs et le judaïsme. Et j’ai trouvé un autre travail, avec des non-Juifs.
Mais il subsistait un problème : le vendredi soir, les bougies, le Kiddouch, mes souvenirs d’enfance… Dans un journal, je notai une annonce : la chorale d’une église recherchait des chanteuses, le vendredi soir justement. J’aime chanter…
Cela fait un an que je chante à l’église tous les vendredis soir ! J’en reviens si fatiguée que je ne pense plus aux bougies et au Kiddouch. Et cela aurait pu continuer longtemps si ce n’est votre accident. Un motard presque blessé qui me rappelle que c’est bientôt Chabbat ! Et qui m’invite alors qu’il ne me connaît pas !
Vous croyez que je vous ai été envoyée pour vous aider ? C’est vous qui m’avez été envoyé du ciel pour vous occuper de mon âme !…
Sophie ne chante plus à l’église. Elle passe tous les Chabbat chez nous ou dans d’autres familles Loubavitch.
Ce n’était donc pas un simple accident de moto…
Rav Hershy Drookman (St-Maur-des-Fossés)
www.chabad.org – Choftim
traduit par Feiga Lubecki
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